Un
prisonnier politique de 15 ans,
en Turquie... et en 1989!
Depuis des années, les
Communautés européennes et leurs membres recourent à tous les moyens
pour encourager le retour des travailleurs immigrés turcs dans leur
pays. Depuis l'arrêt de l'immigration en 1974 jusqu'en 1984, soit une
période de 10 ans, 1.199.718 citoyens turcs ont quitté l'Europe pour la
Turquie. 512.770 d'entre eux étaient âgés de moins de 18 ans.
Ces jeunes gens qui pour la
plupart sont nés en Europe et y ont étudié, se sont trouvés confrontés
à une situation dramatique dans leur pays où ils ont dû faire face à
une éducation anti-démocratique, islamiste et chauviniste. Le numéro de
novembre 1988 d'Info-Turk s'est attaché à expliquer ce drame.
Les coupures de presse que nous
reproduisons ici sont plus explicites:
Melih Calaylioglu, âgé de 15 ans,
est un de ces enfants d'immigré qui a quitté la RFA pour retourner en
Turquie. Comme il en avait l'habitude dans les écoles européennes, il a
exprimé ses idées sur les problèmes sociaux et politiques de la
Turquie à l'occasion des cours qu'il suivait au Lycée de Karatas
d'Izmir. La direction de l'école l'a dénoncé à la police parce que ses
opinions n'étaient pas conformes à ce qui est imposé par le régime.
Le 4 octobre 1988, il a été
arrêté par la police et accusé de propagande communiste au sein de
l'école. Il a comparu devant la Cour de Sûreté de l'Etat d'Izmir et le
procureur a réclamé contre une peine de prison allant jusqu'à 8 ans.
Le 29 décembre 1988, la Cour a
décidé de le soumettre à l'examen d'un médecin légal qui décidera si
oui ou non, il se livrait consciemment à la propagande communiste. Le
verdict de la cour sera basé sur le rapport du médecin.
Tout cela se passe alors que les
organes exécutifs et parlementaires des Communautés européennes
entament un processus d'accélération de l'établissement des relations
avec le régime turc! Le Comité parlementaire mixte turco-européen a
déjà tenu sa première session à Strasbourg.
Peut-être pensent-ils que la
Turquie ne mérite qu'une démocratie de second choix et que toutes les
pratiques anti-démocratiques du régime turc ne constituent pas un
obstacle majeur au développement des relations turco-européennes.
Mais que penser du drame de
Melih, comme de celui des autres qui ont été obligés de quitter les
pays européens et ce, en application de leurs politiques de
rapatriement?
Ne sont-ils pas des enfants de l'Europe plutôt que
des enfants de la Turquie? Les
organes européens ne se sentent-ils pas responsables de ce drame et de
tant d'autres?
Journalistes toujours en prison
Selon le numéro du 15 janvier du
quotidien Cumhuriyet, 23 journalistes sont actuellement en
prisons. Ci-dessous sont énumérés leur nom, le journal pour lequel ils
travaillaient et leur peine de prison:
Veli Yilmaz (Halkin Kurtulusu)
748 ans,
Kazim Arli (Oncu) 22 ans et 6
mois.
Abdullah Erdogan (Kitle) 36 ans,
Irfan Asik (Partizan) 111 ans,
Feyzullah Ozr (Kitle) 17 ans et 6
mois,
Huseyin Ulgen (Genc Sosyalist) 12
ans et 3 mois,
Ali Rabus (Birlik Yolu) 17 ans,
Erhan Tuskan (Ilerici Yurtsever
Gençlik) 123 ans,
Candemir Ozler (Savas Yolu) 23
ans et 10 mois,
Mehmet Ozgen (Bagimsiz Turkiye et
Devrimci Militan) 41 ans,
Nevzat Acan (Halkin Kurtulusu
Yolunda Gençlik) 21 ans et 7 mois,
Alaattin Sahin (Halkin Yolu) 130
ans,
Osman Tas (Halkin Kurtulusu) 661
ans et 2 mois,
Fikret Ulusoydan (Halkin Sesi) 66
ans,
Ilker Demir (Kitle) 30 ans,
Haci Ali Ozler (Emegin Birligi)
Remzi Kuçukertan (Devrimci
Proletarya) 17 ans et 6 mois,
Kubilay Akpinar (Gunese Cagri) 7
ans et 6 mois,
Ertugrul Mavioglu (Yeni Cozum) 3
ans,
Surreya Uri (Durum)
Mehmet Resat Guvenilir (Emegin
Birligi) 29 ans et 9 mois,
Guzel Aslaner (Halkin Birligi)
146 ans,
Trois autres journalistes ont été
condamnés par défaut à différentes peines de prison, les cours ont
délivré des mandats d'arrêt pour qu'ils soient immédiatement arrêtés en
cas de capture: il s'agit de Mustafa Tutuncubasi (Halkin Sesi),
condamné à 42 ans; Dogan Yurdakul (Aydinlik) à 18 ans et Aydogan
Buyukozden (Aydinlik) à 136 ans.
L'année dernière, cinq
journalistes ont été libérés après avoir purgé leur peine: Fuat
Akyurek, Mustafa Colak, Galip Demircan, Ersan Sarikaya et Muhittin
Goktas.
Mustafa Yildirimturk, éditeur
responsable de Halkin Kurtulusu, s'est échappé de prison en 1988,
alors qu'il purgeait une peine de 155 ans. Il se trouve actuellement en
RFA où il jouit du statut de réfugié politique.
Journalistes traduits en justice
Durant l'année 1988, les
procureurs publics ont entamé plus de 500 actions pénales ou civiles
contre des journaux quotidiens et autres périodiques.
303 d'entre elles concernent les
quotidiens suivants:
Tan a subi 71 poursuites
judiciaires, Gunaydin 54, Gunes 47, Sabah 40, Hurriyet 36, Milliyet 20,
Cumhuriyet 17, Ulus 11, Milli Gazete 6, Turkiye 1.
Quant aux périodiques
hebdomadaires ou mensuels, ils ont dû faire face à près de 200 actions
légales. Ainsi l'hebdomadaire 2000e Dogru a été impliqué dans 43
actions légales différentes, quant aux revues mensuelles suivantes,
elles ont toutes été impliquées dans des actions pénales: Yeni Cozum 8;
Emek Dunyasi 4; Gunese Cagri 3; Emegin Bayragi 3; Vardiya 2; Yeni
Demokrasi 6; Cagdas Yol 3; Medya Gunesi, Ilk Adim, Bulten, Toplumsal
Kurtulus, Yeni Oncu, Gençlik Dunyasi et Demokrat Arkadas 1 chacune.
Mme Fatma Yazici, éditeur
responsable de 2000e Dogru, a déjà été condamné à 2 ans et 4 mois
de prison. M. Perincek, rédacteur en chef du même hebdomadaire, a quant
à lui, été condamné à 17 mois et 15 jours de prison.
En plus des périodiques
politiques cités plus haut, des magazines comme Playboy, Playmen,
Bravo et Erkekçe ont fait l'objet d'actions légales pour
avoir publié des articles ou des photos considérés comme "nuisibles aux
mineurs d'âge" et ce, en vertu d'une loi qui a été adoptée par la
majorité gouvernementale au Parlement.
Actions récentes contre la Presse
Le 1.12: deux rédacteurs du Hedef
Publication House, Nurettin Karakoç et Mehmet Demir, ont été arrêtés.
Le 5.12: la Cour de Cassation a
ratifié la peine de prison de 3 mois et 15 jours prononcée contre
Necmettin Kurucu, rédacteur au quotidien Inanis de Zonguldak.
Le 6.12: Felemez Ak, éditeur
responsable du mensuel Toplumsal Kurtulus, a été arrêté.
Le 8.12: le procureur de la
République a ouvert une action légale contre le célèbre chanteur
folklorique Cem Karaca. Cette action vise sa nouvelle cassette qu'on
accuse de porter atteinte aux sentiments religieux.
Le 9.12: l'éditeur Asuman Ozcan a
comparu devant la Cour de Sûreté de l'Etat pour avoir publié l'œuvre de
Losovski sur les syndicats. Elle risque un emprisonnement de 7 ans et 6
mois.
Le 14.12: le dernier numéro du
mensuel Yeni Açilim est confisqué et Selik Calik, son rédacteur
en chef, interrogé par le procureur de la Cour de Sûreté de l'Etat
d'Istanbul.
Le 15.12: le procès de deux
éminents intellectuels a commencé à la Cour de Sûreté de l'Etat
d'Ankara. Il s'agit du juriste Halit Celenk et de l'éditeur Muzaffer
Erdost.
Le 20.12: le rédacteur en chef de
2000e Dogru, M. Dogu Perincek, a été condamné à 17 mois et 15
jours de prison, par une cour criminelle d'Istanbul pour avoir écrit un
article sur les idées d'Ataturk concernant Dieu et l'Islam. L'éditeur
responsable Fatma Yazici, a été condamnée à verser une amende de
135.000 LT pour avoir publié cet article. Deux rédacteurs du quotidien
Yeni Nesil, Bunyamin Ates et Sabahattin Aksakal, ont été
condamnés à 17 mois de prison chacun, pour l'avoir cité.
Le 21.12: six journalistes, Nadir
Nadi Usta (Yeni Asama), Hatice Onat (Emegin Bayragi), Metin Faruk Tamer
(Isçi Dunyasi), Riza Resat Cetinbas et Mehmet Ali Cakiroglu (Yeni
Demokrasi) et Can Gulsenoglu (Medya Gunesi) ont été mis en accusation
par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara pour avoir publié un
communiqué de presse à l'encontre du gouvernement irakien qui utilise
des armes chimiques sur des populations kurdes. Ils risquent des peines
allant jusqu'à 6 ans de prison.
Le 22.12: Haydar Kutlu,
secrétaire général du Parti communiste unifié de Turquie, a été une
fois de plus mis en accusation par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara
pour un livre compilant ses articles et ses discours.
Le 27.12: le numéro de décembre
du mensuel Yeni Cozum a été confisqué et trois membres de sa
rédaction, Recep Guler, Ilker Alcan et Meral Coskun ont été mis en
garde à vue. La police a également arrêté un groupe de 42 personnes qui
ont protesté contre ces arrestations.
Le 28.12: la police a saisi, sur
ordre de la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara, 3.000 copies du livre
"Le Journal de la mort sous torture", écrit par poète Nihat Behram. Ce
livre dénonce les tortures meurtrières commises par la police. La même
cour a ordonné la confiscation de 15.000 copies d'un autre livre du
même auteur. Behram est un des intellectuels turcs privés de leur
nationalité turque, en raison de leurs opinions. Il vit actuellement en
Allemagne fédérale.
Le 29.12: le docteur Ismail
Besikçi, éminent sociologue turc, a été arrêté par la police pour une
interview qu'il avait accordée au mensuel Ozgur Gelecek. Il a
passé plus de 10 ans de sa vie en prison pour ses travaux académiques
critiquant la politique répressive de l'Etat envers le peuple et la
culture kurdes.
Le 30.12: la police a saisi des
milliers de cartes de vœux, illustrées par des dessins de Picasso et
des vers de Pablo Neruda et Nazim Hikmet.
Le Général Evren et les Intellectuels
Le 9 janvier dernier, le général
Evren a donné une réception au palais présidentiel dans le but de
charmer l'opinion publique et plus particulièrement les intellectuels.
Les artistes turcs les plus éminents y étaient conviés, ainsi que des
sportifs et des journalistes.
Bien qu'ils aient été invités à
la soirée, un grand nombre d'entre eux, parmi les plus distingués n'y
sont pas allés comme l'humoriste septuagénaire Aziz Nesin, le metteur
en scène Atif Yilmaz, le musicien Ilhan Irem, l'acteur Genco Erkal, les
poètes Melih Cevdet Anday et Cahit Kulebi, les écrivains et romanciers
Adalet Agaoglu, Ferit Edgu, Furuzan, Tarik Dursun et Ilhan Berk.
Nesin, qui est également
président de l'Union des Ecrivains Turcs (TYS) a déclaré après avoir
reçu son invitation: "Un jour, il m'avait décrit comme un traître,
maintenant il essaie d'être sympathique. Je ne joue pas à ce jeu-là".
Lorsqu'en 1984, 1.380
intellectuels turcs avaient envoyé une pétition à Evren en guise de
protestation contre les injustices et les pratiques anti-démocratiques
de son régime, il avait déclaré qu'il n'avait pas besoin de ces
intellectuels qui, dans le passé, avaient trahi leur patrie. Suite à
cela, Aziz Nesin avait poursuivi Evren en justice pour calomnie. Comme
les tribunaux turcs ont refusé de prendre sa plainte contre Evren en
considération, Nesin a saisi la Commission Européenne des Droits de
l'Homme.
Le procès politiques de la fin 1988
Le 4.12: à Istanbul, un assistant
et 12 étudiants universitaires ont été arrêtés pour avoir distribué des
tracts de l'organisation illégale de gauche: Dev-Yol, ainsi que pour
avoir organisé des manifestations non autorisés.
Le 5.12: trois professeurs et 12
autres personnes sont détenus à Ankara.
Le 7.12: arrestation à Ankara de
14 membres présumés du Parti communiste de Turquie/Union (TKP/B)
Le 14-12: la police d'Istanbul a
arrêté 12 personnes soupçonnées d'appartenir au TKP/B.
Le 16.12: le tribunal de la loi
martiale N°2 d'Istanbul a condamné 4 membres de l'Armée de Libération
du Kurdistan du Nord (TKKKO) à la prison à vie, un autre à 16 ans et
trois autres à 11 ans chacun.
Le 19.12: à Mardin, 5 membres
d'une organisation illégale ainsi que 24 de ses sympathisants sont
arrêtés.
Le 20.12: la Cour de Sûreté de
l'Etat d'Ankara a condamné 7 membres d'Acilciler (Groupe d'Urgence) à
des peines de prison allant jusqu'à 16 ans et 8 mois. L'un des
condamné, Hilal Aydin, purgera 2 ans et 1 mois de sa peine dans
l'isolement le plus total.
Le 21.12: l'ancien maire de
Diyarbakir, Mehdi Zana, a été traduit devant le Tribunal de la Loi
Martiale de Diyarbakir pour une déclaration en faveur du Parti des
ouvriers du Kurdistan (PKK).
Le 22.12: la Cour de la Loi
Martiale de Diyarbakir a condamné 4 membres présumés du Mouvement de
libération nationale du Kurdistan (KUK) à des peines de prison allant
jusqu'à 2O ans. Le même jour une procédure a été ouverte contre 3
membres présumés du PKK.
Le 23.12: la Cour de Sûreté de
l'Etat d'Ankara a mis en accusation 20 personnes, sympathisants et
parents de prisonniers politiques, pour avoir organisé une occupation
non autorisée des locaux de l'Assemblée Nationale. Tous risquent des
peines de prison allant jusqu'à 3 ans.
Le 27.12: à Ankara, 12 personnes
sont arrêtées pour avoir distribué des tracts et avoir accroché des
pancartes sur les murs.
Le 28.12: le procès de 9 membres
présumés du PKK a commencé à la Cour de Sûreté de l'Etat d'Izmir. Le
procureur public a demandé la peine capitale pour 5 d'entre eux.
Le 31.12: les forces de Sûreté
annoncent l'arrestation de 11 membres présumés du PKK dans le district
de Suruc dans la province de Sanliurfa.
Des chefs de la pègre libérés
Alors que des milliers de
prisonniers politiques sont maintenus en captivité, on assiste à la
libération, un par un, des figures de proue de la pègre turque. Le
nombre de ceux qui ont été libérés, ces derniers 12 mois s'élève à 68.
Le 3 janvier dernier, la Cour
militaire de Diyarbakir a acquitté un membre bien connu du "milieu",
Dundar Kiliç, ainsi que ses 18 amis. Ainsi, le grand nettoyage
déclenché par le régime militaire début des années '80 arrive à sa fin.
Kiliç, âgé de 52 ans, risquait la
peine de mort pour contrebande de stupéfiants. En effet, de 1979 à
1983, il a fait sortir du pays 74 kg d'héroïne et 317 kg de haschich.
Il était également accusé d'avoir violé la loi martiale et d'avoir fait
disparaître un certain nombre de ses ennemis. La Cour a jugé qu'il
n'existait pas de preuves suffisantes prouvant la validité des charges
pesant sur les inculpés.
Après sa libération, Kiliç a fait
la déclaration suivante: "On m'a privé de ma liberté pendant 5 ans
grâce à un complot ourdi contre moi par Attila Aytek (ancien directeur
du département contrebande de la police) et par Mehmet Eymur (ancien
chef de la section contrebande des services secrets turcs)". Kiliç
rejette également la responsabilité de son arrestation sur des hommes
d'affaires et des hommes de presse. Il a ajouté: "Chacun d'entre eux va
payer pour cela. Je dispose d'informations qui vont secouer tout le
pays".
Trouble dans les prisons turques
Un malaise subsiste dans les
prisons turques, et ce malgré le fait que les détenus aient arrêté
leurs grèves de la faim sur la promesse d'une prochaine amélioration
des conditions carcérales.
Mais, dès le début du mois de
janvier, suite à la découverte d'un tunnel de 18 mètres de long creusé
par les détenus, l'administration de la prison de Sagmalcilar, à
Istanbul, a renforcé la sécurité en ajoutant de nouvelles restrictions
à celles déjà existantes. Cela a provoqué des protestations de la part
des prisonniers, de leurs familles et amis.
Les détenus ont rapporté qu'ils
étaient battus par les gardes et les soldats qui ont utilisé du gaz
lacrymogène lors des fouilles dans les salles de la prison. La plupart
des prisonniers politiques ont été isolés, ils n'étaient pas autorisés
à voir leurs parents en raison de la décision de l'administration
pénitentiaire de suspendre leur droit de visite.
Un détenu libéré récemment a
raconté que les prisonniers faisaient des barricades dans les couloirs
pour empêcher les officiers de la sécurité de poursuivre leurs actions
punitives.
Le 11 janvier dernier un groupe
de personnes s'est réuni devant la prison pour protester contre les
conditions de vie des prisonniers. Les forces de sécurité les ont
attaqué et ont arrêté deux hommes et une femme.
Un juge critique la constitution de 1982
Le président de la Cour Suprême
Administrative, Orhan Tuzemen, a émis des critiques, le 12 décembre
dernier, au sujet du système constitutionnel introduit par les
militaires. C'est le deuxième juge de haut-niveau qui s'élève contre la
constitution au cours de ces derniers mois.
Tuzemen a déclaré à la presse,
quelques jours avant de se retirer que la constitution de 1982 est
intolérable du fait qu'elle est le produit du coup d'Etat militaire de
1980 et que ce système constitutionnel reflète la logique qui est à la
base de la prise de pouvoir par les militaires. Il a également rappelé
que ceux qui sont parvenus au pouvoir de cette façon, considèrent leurs
paroles comme supérieure à la Constitution et qu'ils gouvernent de
façon telle que tout ce qu'ils décident devrait être considéré comme un
amendement constitutionnel.
Tuzemen a déclaré qu'il était
contre les crimes de conscience et qu'il était partisan de la liberté
d'expression de toutes les idées dans la société turque. Il a également
dit que le général Evren n'a pas réellement tout essayé pour mettre fin
aux troubles qui ont entraîné le coup d'Etat militaire, et ce malgré la
loi martiale qui avait été décrétée. Tuzemen a continué en évoquant les
concessions faites aux réactionnaires avec l'introduction de cours de
religion obligatoires dans les écoles.
En septembre dernier, le
président de la Cour de Cassation, Ahmet Cosar, avait déjà critiqué le
système légal turc lors de la session d'ouverture de l'année judiciaire.
Le parti socialiste légitimé
Le 6 décembre 1988, la Cour
constitutionnelle a rejeté la demande du Procureur de la République de
dissoudre le Parti socialiste (SP) sur base d'une violation, par ce
parti, des règles constitutionnelles. Le Procureur avait déclaré que le
programme et les statuts du SP "avaient pour but d'établir la dictature
d'une classe sociale sur la société turque."
Le SP est le premier parti
politique fondé par des personnes d'obédience marxiste.
9 des 11 juges de la Cour
constitutionnelle se sont prononcés contre les arguments du Procureur.
Le président du SP, Ferit
Ilsever, a déclaré que cette décision contribue à l'établissement de la
démocratie en Turquie, et ce malgré les efforts de certains cercles
pour bannir un parti socialiste de la scène politique.
L'IHD acquitté par la justice
Le 13 décembre dernier, le
président de l'Association des droits de l'Homme de Turquie (IHD),
Nevzat Helvaci, ainsi que 10 de ses membres exécutifs ont été lavés de
toute accusation d'impliquer l'association dans des activités
politiques. Une cour criminelle d'Ankara a également rejeté la demande
de dissolution de l'organisation faite par le Procureur.
Lors des débats, le juge a
déclaré que le fait de mener une campagne pour la suppression de la
peine de mort et pour l'amnistie générale, ne constitue pas une
activité contraire aux objectifs de l'IHD.
Cependant, le 6 décembre dernier,
lors d'une autre action administrative dans la province d'Izmit, le
gouverneur a interdit à la branche locale de l'IHD de poursuivre ses
activités sur base du fait que les grèves de la faim organisées en
guise de protestation contre les conditions de vie des prisonniers ont
eu lieu dans les locaux de l'association. Le procureur a annoncé que
des poursuites légales allaient être entamées contre les dirigeants
locaux de l'IHD.
Une année difficile pour l'économie turque
Selon le quotidien Dateline
du 7 janvier, 1989 sera une "dure année" pour l'économie turque.
L'inflation constitue le problème le plus important de la Turquie,
dernièrement elle a connu une hausse de 90%, causant des troubles dans
l'économie, altérant la distribution des revenus et obligeant l'Etat à
emprunter.
Un vaste programme de restriction
qui a été approuvé par le Fonds monétaire international et par la
Banque Mondiale est en cours d'application. Ainsi, le 1er janvier, des
nouvelles taxes ont été instaurées. A cause de ce programme, la
stagnation qui est apparue au milieu de l'année 1988, va affecter tous
les secteurs.
Le nouveau programme pour
1989 ne prévoit aucun nouvel investissement. Cette année, les
fonds seront uniquement réservés aux investissements en cours, forçant
ainsi l'Etat, qui est le plus gros demandeur sur le marché, à
restreindre sa demande. Une chute d'activités dans les secteurs
industriel et de la construction pourrait mener à une stagnation plus
importante.
L'Etat supporte un lourd fardeau
de dettes intérieures et extérieurs. A la fin de l'année 1988, ces
dernières se montaient respectivement 10 milliards de dollars et
à 36 milliards de dollars. Craignant de ne pas pouvoir faire face au
service de la dette, le gouvernement turc a adopté un budget qui lui
est consacré. Près de la moitié du budget soient 19 milliards de
dollars, sera consacré au remboursement des dettes intérieures et
extérieures. Cela implique que la Turquie doit produire plus et doit
éviter de consommer toute sa production.
Le prix des produits des
entreprises d'Etat vont être augmentés, mais cette hausse va se
répercuter sur le secteur privé qui dépend d'eux. Cela va donc
provoquer une augmentation des biens produits par le secteur privé.
Les banques vont regretter 1988,
qui est considérée comme une bonne année. Elles auront les pires
difficultés à placer des fonds collectés à un taux d'intérêt de 85%.
Elles vont également subir l'impact de la crise que traverse
actuellement les industriels, les commerçants et les marchands.
Ce sont les travailleurs et les
fonctionnaires qui souffrent le plus de la hausse de l'inflation et de
la baisse des salaires. En 8 ans, leur pouvoir d'achat a diminué de 50%.
Depuis des années, la
distributions des revenus est injuste. Mais depuis 1984, la disparité
ne cesse d'augmenter. Les plus touchés par ces injustices sont les
ouvriers, les fonctionnaires et les agriculteurs. Leurs revenus
diminuent, alors que le revenu national de la Turquie augmente.
La part du revenu national des
ouvriers et des fonctionnaires est passée de 21,4% en 1984 à 16,1% en
1988. Quant à la part des agriculteurs, sur la même période, elle
est tombée de 20,1% à 16,5%. La plus grosse part du revenu national
revient à une minorité. Ainsi, les revenus provenant de loyers et de
transactions financières est passé de 38,5% en 1984 à 67,4% en 1988.
En 1989, les fonctionnaires
n'obtiendront que 40% d'augmentation. Il semble que cette année va
connaître des dialogues difficiles entre ouvriers et employeurs. Comme
ces derniers s'attendent à une stagnation, ils vont se montrer prudents
lors des négociations collectives.
Quant aux fermiers, qui se
serrent la ceinture depuis 1980, leur situation ne va pas s'améliorer
puisque l'accord passé avec le FMI ne prévoit qu'une augmentation de
40% des produits agricoles.
Croissance du militantisme ouvrier
Pour l'année 1989, les dirigeants
syndicaux prévoient une croissance du militantisme parmi les ouvriers,
ces derniers exercent une forte pression sur les syndicats dans le but
d'obtenir des gains concrets grâce aux négociations collectives.
L'année passé 2,8 millions de
jour de travail ont été perdus quand 30.548 ouvriers ont poursuivi des
actions de grèves dans 503 lieux de travail.
L'année 1989 s'ouvre, dans les
entreprises d'Etat, sur des négociations collectives pour près de
650.000 ouvriers. Pour 14.000 ouvriers, l'année nouvelle a commencé par
un mouvement de grève. Les syndicats ont déjà annoncé le prochain
mouvement qui impliquera 3.000 travailleurs. Depuis que les
négociations collectives ont échoué pour 52.000 ouvriers on s'attend à
ce qu'ils débutent une action de grève dans les mois à venir.
La constitution de 1982, édictée
par les militaires, limite les droits des syndicats à la grève, à la
participation aux négociations collectives et à la représentation des
travailleurs. Près de 500.000 travailleurs du secteur public n'ont pas
le droit de s'organiser ni de faire la grève. Cette interdiction est
basée sur le fait qu'ils produisent des services essentiels. Les autres
travailleurs du secteur public qui sont syndiqués risquent toujours de
voir leurs revendications comparaître devant le Conseil Suprême
d'arbitrage qui n'est autre qu'un organe contrôlé par le gouvernement.
De plus, la Confédération des
syndicats progressistes (DISK) est toujours interdite et ne peut donc
pas prendre part aux relations du monde du travail.
Malgré la promesse faite par le
gouvernement turc à l'Organisation Internationale du Travail (OIT)
d'améliorer la législation sociale, aucune amélioration n'est
intervenue en 1988.
Un nouveau scandale financier
Un nouveau scandale financier a
entraîné la démission de Kaya Erdem, vice-premier ministre, et du
banquier Bulent Semiler, l'un des jeunes bureaucrates le plus
prometteur de l'entourage de Ozal.
Au centre de ce scandale, on
retrouve l'homme d'affaires Kemal Horzum, qui est actuellement jugé à
Ankara pour avoir détourné des fonds estimés à 80 millions de dollars
de la banque Emlak, propriété gouvernementale.
Dans son numéro du 12 décembre
1988, le quotidien Hurriyet soutient que Horzum entretenait des
relations avec un "membre influent du cabinet". Horzum aurait ouvert
des comptes en Suisse au nom du frère de ce ministre et ce, dans le but
de les utiliser comme exportations fictives.
Bien que le journal n'ait pas
nommé ce ministre, il a reproduit une silhouette qui laisse peu de
doute sur son identité: il s'agit, en effet, de Kaya Erdem,
vice-premier ministre.
Ayant été prévenu que le rapport
se basait sur les indications de Bulent Semiler, alors directeur
général de la Banque Emlak, Erdem a demandé à Ozal s'il devait se
débarrasser de Semiler ou continuer à gouverner sans la collaboration
de son vice-premier ministre. Là-dessus, Semiler, suivant la suggestion
d'Ozal, a démissionné de son poste directeur de la Banque Emlak , mais
le premier ministre l'a immédiatement nommé son principal conseiller
pour les affaires bancaires.
Entre-temps, le quotidien
Hurriyet a publié des extraits de conversations téléphoniques de
Horzum qui ont été enregistrées par le service d'écoute des services
secrets nationaux (MIT). Ces derniers révélaient que l'homme d'affaires
avait raconté à un de ses amis, le 14 février 1988, qu'il avait obtenu
un rendez-vous d'Erdem.
Sur ce, Erdem a démissionné de
son poste et dit dans sa lettre de démission: "Les événements ont
révélé de sérieuses divergences d'opinion entre le premier ministre et
moi-même. Elles portent sur nos conceptions respectives de la vie
politique et du gouvernement".
Erdem était le collaborateur le
plus proche d'Ozal depuis le coup d'Etat de 1980. Lorsqu'Ozal a été
nommé vice premier ministre dans le premier gouvernement militaire,
Erdem était nommé en même temps ministre des Finances.
En juin 1982, alors que la
Turquie traversait un crash boursier, Ozal et Erdem avaient dû
démissionner de leurs postes gouvernementaux.
Un an après, les deux hommes ont
décidé de créer le Parti de la Mère Patrie (ANAP) et de tenter leur
chance en politique.
Les conséquences de ce nouveau
scandale risquent de porter préjudice à la carrière politique d'Ozal.
Le fait que des conversations
téléphoniques de Horzum aient été enregistrées a à nouveau attiré
l'attention sur les pratiques illégales des services secrets. Le SHP,
principal parti de l'opposition turque, a soumis au Président de la
Chambre une série de questions écrites demandant si les forces de
sécurité sont autorisées à enregistrer les conversations téléphoniques
des particuliers et si le premier ministre est mis au courant de ces
écoutes.
Des troupes turques en Europe centrale
Le premier ministre turc a
déclaré en décembre dernier lors d'un déjeuner au Club national de la
Presse de Washington que la jeunesse turque pourrait jouer un rôle
primordiale dans la défense ouest-européenne dans le siècle à venir. Il
a continué en disant que la population turque se monte actuellement 55
millions. Au début du 21ème siècle, elle atteindra 70 millions. Il a
estimé qu'il devait souligner le fait que cette population sera
extrêmement jeune et que déjà, actuellement 42% de celle-ci est âgé de
moins de 14 ans. Il a comparé la population turque à celle de la RFA
qui comptera plus de personnes âgées que d'enfants à la même période.
Entre-temps, un rapport publié
conjointement par des experts de l'OTAN et par des membres du Congrès
américain pose que les troupes turques pourraient être déployées en
Europe centrale dans le but d'y contrer la suprématie des troupes du
Pactes de Varsovie. Ce rapport, intitulé " OTAN-Pacte de Varsovie,
équilibre des forces conventionnelles" précise que l'autorité militaire
de l'OTAN ne peut pas utiliser les forces militaires turques de manière
effective et propose le déploiement de certaines unités turques en RFA
et ce, en vertu d'un accord bilatéral qui interviendront entre ces deux
alliés de l'OTAN.
La déclaration d'Ozal ainsi que
ce rapport ont causé un débat au sein de l'opinion publique turque.
L'ancien premier ministre turc Suleyman Demirel, actuellement leader du
parti d'opposition de la Juste Voie (DYP) a réagi à la déclaration
d'Ozal en déclarant qu'il ne voulait pas que des jeunes turcs servent
de légionnaires étrangers en Europe.
D'autre part, la presse turque a
fait déjà plusieurs fois état de l'intention des autorités
ouest-allemandes d'engager de jeunes immigrants turcs dans le but de
remédier au manque d'effectif des forces armées allemandes.
Le Fondamentalisme gagne du terrain
Après la prise d'influence sur la
direction du parti au pouvoir (ANAP) par l'Alliance Sacrée (coalition
des Pan-Turquistes et des fondamentalistes islamiques), c'est au tour
du 2ème parti de droite représenté au Parlement, le Parti de la Juste
Voie (DYP) de Suleyman Demirel, ancien premier ministre, de glisser
vers le fondamentalisme.
Le député DYP Ertekin Duruturk,
très proche de Demirel, a, en effet, déposé un projet de loi à
l'Assemblée nationale turque, demandant que le musée Ayasofya
(Sainte-Sophie) soit reconvertie en mosquée et que le Coran soit lu
dans la section des reliques sacrées du Palais de Topkapi.
L'église Sainte-Sophie avait été
construite en 537 par l'Empereur Byzantin Justinien. Elle est passée
d'Eglise à mosquée en 1453 après la prise d'Istanbul par Mehmet le
Conquérant. En 1934, un décret d'Ataturk l'avait convertie en musée.
Dans son projet de loi, approuvé
par le groupe parlementaire DYP, Duruturk dit: "Ceux qui ont fait taire
en 1934, les appels à la prière lancés depuis les minarets d'Ayasofya
ont également détruit une tradition vieille de 417 années qui voulait
que le Coran soit lu dans la chambre des reliques sacrées du Palais de
Topkapi. Cette décision constitue un remords de conscience pour la
nation turque".
La même demande avait été faite
lors de la convention de l'ANAP de juin 1988 (Voir Info-Turk de
décembre 1988).
Le show anti-occidental de l'Alliance Sacrée
La dernière pomme de discorde en
date entre les deux factions rivales de l'ANAP, porte sur la question
de savoir si le gouvernement doit assurer les frais d'hébergement des
danseurs des troupes étrangères se produisant en Turquie, ou, au
contraire, utiliser ces fonds pour la promotion des Turcs qui ont fait
l'histoire.
La controverse a éclaté le 21
décembre dernier, lors d'un débat parlementaire sur le budget du
ministère de la Culture et du Tourisme. Un député de l'ANAP, Talat
Zengin, a déposé un projet de loi demandant que le gouvernement utilise
les 500 millions de LT (280.000 dollars) initialement prévus pour les
dépenses des danseurs des troupes étrangères en Turquie, pour financer
la promotion des personnalités historiques turques. Les membres
dirigeants de l'Alliance Sacrée, pacte qui unit les Pan-Turquistes aux
fondamentalistes islamiques au sein de l'ANAP (voir Info-Turk de
décembre 1988) ont appelé ouvertement les députés à soutenir le projet
de loi de Zengin.
Comme le projet de loi a été
rejeté par la majorité parlementaire, l'ANAP a essayé d'apaiser la
colère des conservateurs en consacrant 500 millions de LT
supplémentaire à la promotion des personnalités turques ainsi que de la
musique turque dans le budget du ministre de la Culture et du Tourisme.
Dispute au sujet des couvre-chefs islamiques
Doit-on permettre aux étudiantes
universitaires de porter des turbans ou non? Cette question, débattue
depuis cinq ans, reste une des plus controversées de la vie politique
turque. Elle est apparue suite à un conflit existant entre les
principes laïcs d'Ataturk et les diktats du Coran.
Jusque dans les années '70, même
dans les écoles religieuses Imam Hatip où l'on forme les membres du
clergé, les filles étaient tête nue. En 1968 lors de la résurgence du
mouvement religieux, une fille s'est pour la première fois couvert la
tête à la faculté de Théologie de l'Université d'Ankara. D'autres ont
suivi. Elles protestaient de cette façon contre la formation donnée
dans les universités laïques.
En 1983, le Conseil Suprême de
l'Education (YOK) a prohibé de porter le turban pour les étudiantes et
la barbe pour les étudiants.
En novembre 1988, la majorité
gouvernementale a adopté une nouvelle loi autorisant les étudiants
universitaires à assister aux cours en tenue islamique.
Evren a opposé son veto à cette
loi le 1er décembre, mais la majorité ANAP aidée par les éléments
conservateurs du DYP ont fait passer pour une deuxième fois la même
législation au Parlement. La loi a été publiée au journal officiel le
27 décembre 1988.
Réfugiés kurdes meurent de froid
A la fin de l'année 1988, l'hiver
particulièrement rude qui sévit dans la région orientale de la Turquie
a provoqué la coupure des routes, isolant ainsi 1.000 villages, et a
causé le décès de trois réfugiés kurdes vivant dans des camps de toile
à Hakkari.
Dans les provinces d'Erzurum, de Kars, d'Agri, de Mus, de Bingol, de
Tunceli, de Van et d'Hakkari, la température est tombée en dessous de
-10°C et dans certaines régions, surtout les montagneuses, la couche de
neige a atteint trois mètres.
A l'heure actuelle, plus de
40.000 réfugiés kurdes irakiens vivent dans des camps de tentes en
Turquie orientale. Depuis le mois d'août, plusieurs milliers de
réfugiés kurdes ont préféré aller en Iran et plusieurs centaines
d'autres sont retournés en Irak, profitant d'une promesse d'amnistie
faite par le régime de Bagdad.
Les discussions entre la Croix
Rouge turque et le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations-Unies
concernant l'aide à accorder aux réfugiés, ont tourné court lorsque la
Turquie a demandé une aide d'un montant de 20 millions de dollars. Le
commissariat à déclaré qu'il ne pouvait pas attribuer plus de 5
millions de dollars. L'accord impliquait que la Turquie accorde aux
Nations-Unies un droit de regard sur la distribution de cette aide. Le
porte-parole du Ministère turc des affaires étrangères a déclaré qu'ils
ne voyaient pas l'utilité d'accorder un tel droit au Haut Commissariat
pour une aide aussi minime.
Archives sur la question arménienne
Le 2 janvier, le Ministre des
affaires étrangères a annoncé que dans les 4 ou 5 mois à venir, les
chercheurs turcs et étrangers auront accès aux archives ottomanes
relatives au massacre et à la déportation des Arméniens qui ont eu lieu
au début du siècle.
Le 4 janvier, lors d'une
conférence de presse, le premier ministre Ozal a répondu à une question
demandant si l'étude de ces archives avait révélé un quelconque
document allant à l'encontre de la position de la Turquie: "Cela n'a
pas d'importance si on découvre une preuve quelconque contre la
Turquie, nous l'accepterons comme un fait historique. Nous n'avons pas
ouvert les archives ottomanes aux chercheurs parce que nous étions sûrs
qu'elles ne contenait rien contre nous. En d'autres termes, ces
archives peuvent révéler des faits favorables ou défavorables aux
Ottomans".
Le pouvoir ottoman a fait l'objet
de l'accusation qu'il a massacré ou déporté plus d'un million et demi
d'Arméniens lors des deux premiers décades du 20ème siècles.
La classification des documents
datant de 1691, date où pour la première fois les archives ottomanes
font allusion aux Arméniens, à 1895, est déjà faite. Les experts se
consacrent actuellement aux archives de la période 1895 à 1923, date à
laquelle la Turquie est devenue une République.
400 experts, désignés par le
gouvernement turc, sont en train de dépouiller plus de 100 millions de
papiers et 240.000 carnets de notes. Durant ces derniers mois,
seulement 5% des papiers et 40% des carnets de notes ont été classés.
Le Dr. Mete Tuncay, bien connu
pour ses analyses critiques des positions officielles de la Turquie, a
déclaré que les experts qui fouillent ces archives depuis les quatre
dernières années, ont fait disparaître les documents qui ne vont pas
dans le sens de l'idéologie de l'Etat. Le Dr. Tuncay a poursuivi en
disant que le gouvernement n'ouvrira ces archives qu'aux scientifiques
dont il est sûr qu'ils supporteront la version officielle comme
Stanfort Show.
De plus, il estime qu'en ce qui
concerne les archives ottomanes, la Turquie n'est qu'une héritière
parmi au moins 24 autres nations qui formaient l'Empire Ottoman. Il
estime donc que de telles archives doivent être soumises à un contrôle
multi-national.
Extradition illégale de cinq exilés
Les autorités turques ont encore
fait la preuve de leur attitude hypocrite lorsqu'elles ont extradé cinq
des 8 exilés volontaires de gauche et arrêté les trois autres. Ces
derniers étaient revenus chez eux le 10 décembre dernier, à l'occasion
du 40ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme.
Lorsque ces 8 personnes sont
arrivées de Londres, Copenhague et Francfort, elles ont été
accompagnées par la police dans des pièces isolées de l'aéroport
d'Istanbul.
Cinq d'entre-elles ont été immédiatement renvoyées par le premier vol;
il s'agit des syndicalistes Nafiz Bostanci, Murat Tokmak, Ekrem Aydin
et Turan Ata ainsi que de Madame Beria Onger, avocat et présidente de
l'Association des Femmes Progressistes (IKD). La police a justifiée
cette extradition en prétextant qu'ils ne sont plus des citoyens turcs.
Les parlementaires et les journalistes européens qui
accompagnaient les exilées sont repartis avec eux.
Des policiers appartenant à la
brigade anti-émeute interdisaient l'accès à l'aéroport et ont ainsi
maintenu les parents et les supporters des exilés à l'écart.
Les trois autres exilés ont été
détenus car ils sont toujours de nationalité turque alors que les cinq
autres l'avaient perdue en vertu des décrets pris par le gouvernement
après le coup d'Etat de 1980. Il s'agit de Nurettin Yalçin (ingénieur),
de Yuksel Selek (dirigeante de l'IKD) et de Haluk Tan Ipekçi (dirigeant
de l'Association de la Jeunesse progressiste).
Kemal Anadol, député
social-démocrate a rappelé des autres cas de retour comme celui de
Yahya Demirel, neveu de l'ancien premier ministre Demirel, contre
lequel un mandat avait été lancé pour fraude, et celui de Cem Karaca,
chanteur folklorique. Tous deux avaient été acceptés dès leur retour.
Dans une déclaration antérieure,
le premier ministre Turgut Ozal avait dit que tous ceux qui étaient en
exil ou qui avaient été privés de leur nationalité turque, pouvaient
revenir sans crainte en Turquie, et s'il existait une poursuite légale
contre, qu'ils pouvaient compter sur la justice turque.
Ces derniers événements prouvent
qu'Ozal ne tient pas parole, sans parler de la violation flagrante des
normes de droit international.
Amnesty International accuse le gouvernement turc
Dans son dernier rapport, paru le
4 janvier dernier, Amnesty International met en cause le gouvernement
turc. Selon elle, il a déployé d'énormes efforts sur le plan
diplomatique pour améliorer son image de marque à l'étranger, mais il
n'a pris aucune mesure concrète pour améliorer le respect des droits de
l'homme sur son territoire.
Ce rapport est paru, quatre jours
après qu'Ozal ait déclaré, dans son discours de nouvel An, que les
critères occidentaux de respect des droits de l'homme ont été adoptés
en Turquie. Il rapporte que Amnesty International a reçu
quotidiennement ces deux derniers mois, des preuves que l'on pratique
toujours la torture en Turquie. Ce rapport constate que ces abus sont
les derniers en date dans le catalogue des violations des droits de
l'homme ouvert en Turquie en 1980. Ils découlent de milliers de cas de
torture et de plus de 2O0 décès intervenus alors que la victime
se trouvait en état d'arrestation.
Le premier ministre turc a exclu
l'existence de toute pratique systématique de la torture en Turquie,
dès son arrivée au pouvoir en 1983.
Cependant, Nevzat Helvaci,
président de l'Association des droits de l'homme de Turquie (IHD)
a confirmé le rapport d'Amnesty. Il a déclaré qu'il reçoit
quotidiennement des plaintes similaires concernant la violation des
droits de l'homme. Il confirme que les morts suspectes de prisonniers
n'ont pas cessé.
Quant au bâtonnier de
l'Association des Barreaux turcs, Teoman Evren, il a estimé dans une
déclaration récente que le système judiciaire turc favorise des
inégalités qui entraînent la pratique de la torture, les arrestations
arbitraires et l'emprisonnement d'innocents. Sa déclaration révèle que
selon le système légal turc, une personne peut être détenue pendant 15
jours avant d'être autorisée à voir son avocat. Il continue en
affirmant que parfois les détenus mentent sous la torture,
contrairement à ce qui se passe dans les pays où la torture
n'existe pas. Il pense que si on autorisait les avocats à voir leurs
clients immédiatement après leur arrestation, cela réduirait le nombre
de cas de torture puisque les policiers auraient peur d'être découverts.
Il y a approximativement 5.000
prisonniers politiques en Turquie. Depuis le coup d'Etat du 12
septembre 1980, 70.000 personnes ont été jugées pour avoir violé les
articles 141 et 142 du code pénal turc. De ces 70.000 personnes, 50.000
ont été condamnées et 5.000 sont encore emprisonnées.
Toujours selon M. Evren, il
existe de nombreux cas de détenus qui sont en prison depuis 8 ans sans
avoir été condamnés. Il accuse les juges d'ordonner des arrestations
arbitraires et de tolérer que la police outre-passe son autorité.
Ainsi, récemment, Mehmet Dogan, âgé de 29 ans, a été remis en liberté
après 7 ans de captivité au terme d'un procès au cours duquel le
procureur avait requis la peine capitale pour meurtre. Après sa
libération, ses premières paroles ont été: "J'ai perdu 7 ans de ma vie.
Qui va payer pour elles?"
Un tribunal international condamne le régime turc
Le tribunal international
condamne le régime du 12 septembre en Turquie, après avoir entendu de
nombreux témoins turcs à Cologne les 10-11 décembre 1988, est arrivé à
la conclusion que le régime mis en place par les militaires est
coupable de violation des droits de l'homme.
Le tribunal était composé des
personnalités suivantes:
L'écrivain Ingrid
Segerstedt-Viber, l'historien Hjordis Levin, le membre de VPK Tommy
Franzen (de Suède); le juge Martin Hirsch, les écrivains Helmut Frenz
et Max von der Grun, le professeur Norman Paech, le membre du Parlement
Ellen Olms, les activistes des droits de l'homme Tilman Zulch et
Susanne Rieger, le membre de Medico International Hans Brandscheidt, la
féministe Anitta Kalpakka (de RFA); le Ministre de la Culture Ernesto
Kardenal (de Nicaragua); le député et écrivain Jean Zigler, les
juristes Mautinot Laurent et Christian Ferrazino (de Suisse); le membre
du Parlement européen Jef Ulburghs (de Belgique); l'écrivain Karam
Khella (d'Egypte); l'écrivain Bahmand Nirmuand (d'Iran); le
syndicaliste Auke Idzenga (de Philippines); Philipe Mogkadi (de Pan
African Congress).
Lors de sa session, le tribunal a
écouté les témoignages du journaliste Dogan Ozguden, de l'écrivain Omer
Polat, du poète Nihat Behram, du représentant du DISK Yucel Top, du
président de l'Association des enseignants Gultekin Gazioglu, du
juriste Seraffetin Kaya et de nombreuses victimes de la répression et
des tortures.
Dans son verdict, le Tribunal a
déclaré:
- toutes les pratiques
politiques, administratives et légales du régime doivent être annulées;
- une amnistie générale doit être
adoptée pour tous les prisonniers politiques, la peine de mort doit
être abolie. Les tortures et traitements inhumains dans les prisons
doivent être arrêtés.
- le droit à l'auto-détermination
doit être reconnu à tous les peuples vivant en Turquie. Les exilés
politiques doivent être autorisées à retourner dans leur pays;
- tous les responsables de la
répression doivent être jugés et punis;
- le droit d'organisation doit
être reconnu à tous les syndicats et partis politiques;
- les pays européens ne doivent
pas inviter les membres de la junte militaire qui sont coupables de
violations des droits de l'homme. La Turquie doit respecter les
conventions internationales qu'elle a signées;
- l'adhésion de la Turquie aux
Communautés européens doit dépendre de son engagement à respecter les
droits de l'homme;
- toute aide au régime actuel en
Turquie doit être arrêtée.
IPI critique le régime de la presse en Turquie
Dans son rapport 1988 sur la
liberté de la presse, l'Institution internationale de la Presse (IPI),
dont le siège se trouve à Londres, a qualifié les relations existant
entre la presse et le gouvernement en Turquie "d'extrêmement tendues".
L'IPI souligne également les
lourdes peines de prison infligées aux journalistes et aux éditeurs de
publications de gauche. Le rapport estime que les peines de prison
requises pour les journalistes s'élève au total à 5 mille ans.
L'IPI critique également le
Parti de la Mère Patrie (ANAP) qui exerce des pressions économiques sur
les journaux en augmentant le coût de l'impression.
L'Association des Droits de l'Homme de Turquie candidate au prix
européen pour 1989
L'Association des droits de
l'Homme de Turquie (IHD) a été proposée pour le Prix Européen des
Droits de l'homme 1989 décerné par le Conseil de l'Europe.
Dans sa lettre adressée au
Secrétaire général du Conseil de l'Europe, datée du 30 décembre 1988,
la Concertation Paix et Développement, concertation des mouvements de
la paix et d'aide au développement de la Communauté Française de
Belgique, pose:
"Les campagnes de sensibilisation
de l'opinion publique turque et internationale aux problèmes des Droits
de l'Homme en Turquie ont été menées ces trois dernières années par
l'Association des Droits de l'Homme de Turquie. Les thèmes principaux
ont été:
"1. une campagne contre la
torture des prisonniers politiques en 1987
"2. une campagne sur les
conditions de détention en Turquie en 1988
"3. une campagne pour l'abolition
de la peine capitale en 1988.
"L'existence et la représentativité de cette
Association des Droits de l'Homme nous a été révélée par une émission
de la télévision belge à l'occasion du 40ème anniversaire de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
"C'est pourquoi les organisations
membres de la Concertation Paix et Développement représentatives de
toute tendance philosophique et politique, estiment que le choix de
cette Association des droits de l'Homme en Turquie pour le Prix
Européen des Droits de l'Homme pourrait être un encouragement décisif
pour l'approfondissement du processus de démocratisation de la vie
publique en Turquie, Etat membre du Conseil de l'Europe."
Première session de la Commission parlementaire mixte CEE-Turquie en 8
ans
La Commission parlementaire mixte
CEE-Turquie qui avait été suspendu après le coup d'Etat militaire de
1980, a repris ses travaux à Strasbourg les 17, 18, 19 janvier
derniers. Sa présidence était assurée par un libéral belge, M.
Luc Beyer et par un député turc, M. Bulent Akarcali. Dès sa première
séance, la commission s'est engagée dans un long débat sur la question
des droits de l'homme en Turquie.
Le dialogue se poursuivra à
Ankara du 24 au 26 avril prochains. Lors d'une conférence de presse, M.
Fellermaier (FRA), vice-président de la délégation du Parlement
européen, a déclaré que le Parlement espérait à cette occasion,
soulever un certain nombre de questions sur le respect des droits de
l'homme en Turquie. Il a précisé, qu'un questionnaire sera soumis aux
ministres turcs de la Justice et de l'intérieur.
Quant à M. Beyer, il a déclaré
que le débat sur la démocratie et le respect des droit de l'homme en
Turquie qu'il avait présidé à Strasbourg s'était caractérisé par "une
ouverture, une sincérité et un pluralisme" réels au sein des deux
délégations.
Il a poursuivi en saluant le fait
que la Turquie a ratifié la convention sur la répression de la torture,
mais a souligné qu'on ne sera satisfait "que dans la mesure où les
torturés et les prisonniers politiques cesseront de l'être."
Il a ajouté que les délégations
turque et européenne ont également évoqué lors de leur session de
Strasbourg les problèmes du Code pénal turc, des procès de masse, du
retour des hommes politiques exilés ainsi que celui des Kurdes, "en
appelant un chat un chat". A ce propos, il a noté les divergences de
point de vue existant entre les membres de la délégation parlementaire
turque.
L'attitude des représentants du
principal parti de l'opposition turque, le SHP, était la plus
étonnante. N'ont-ils pas réagi négativement aux critiques de leurs
collègues européens? Leur secrétaire général, M. Deniz Baykal a déclaré
qu'ils n'avaient pas besoin de leçon de la part des députés européens à
ce propos, mais il a cependant reconnu que les droits de l'homme ne
sont pas toujours respectés par le gouvernement turc.
En ce qui concerne l'application
de l'Accord d'Association, la délégation parlementaire européenne a
soulevé le problème de l'accès au marché turc. A ce sujet, M.
Fellermaier a évoqué l'imposition des taxes et autres restrictions par
les autorités turques qui, de cette façon, reprennent d'une main ce
qu'elles avaient donné de l'autre. M. Akarcali a, pour sa part, déclaré
qu'en ce qui concerne le textile, la Turquie pourrait très rapidement
réduire au minimum ses importations en provenance de la Communauté si
celle-ci abandonnait ses quotas. Il a ajouté: "Nous sommes capables de
relever des défis".
La Commission parlementaire mixte
a également pris la décision de demander au Conseil d'Association
CEE-Turquie de préparer un rapport sur les relations gréco-turques
comme elles sont prévues par l'Accord d'Ankara de 1963. Il n'a pas
seulement évoqué la candidature de la Turquie aux Communautés
européennes mais également l'application de l'Accord d'Ankara et plus
particulièrement le différend commercial entre la Turquie et les CE.
Il est notoire qu'une des figures
de proue de la délégation parlementaire turque n'est autre que M.
Mehmet Keçeciler, chef de l'aile fondamentaliste du Parti de la Mère
patrie (ANAP), opposant farouche à l'adhésion turque aux CE et partisan
tout aussi farouche de l'adhésion de la Turquie à la Communauté
Islamique (voir "Dangereuse Escalade de l'extrême-droite en Turquie",
Info-Turk, décembre 1988).