editorslinks

A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


149

13e année - N°149
Mars  1989
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 
AUTODAFE!

La prise de position satanique d'Ankara à propos des "Versets Sataniques" et les manifestations intégristes à travers la Turquie


        Le tollé général provoqué par Les Versets Sataniques de Salman Rushdie a également touché la Turquie. A l'inverse des autres pays à majorité musulmane, au début, la Turquie n'a pas connu de manifestations de masse contre ce livre. Mais depuis quelques semaines, les protestations contre la décision de la Cour constitutionnelle d'interdire les vêtements traditionnels islamiques sur les campus universitaires coincident avec la montée de violence en réaction aux "Versets Sataniques", qui a provoqué des manifestations de masse fondamentalistes en Turquie.
        La première réaction d'envergure au livre de Salman Rushdie a eu lieu le 23 février dernier, lorsqu'un leader islamique a appelé au meurtre de Rushdie pour avoir insulté l'Islam et le Coran. Halil Korkut, Mufti d'Osmaniye a déclaré dans une interview accordée au quotidien Cumhuriyet  qu'il voulait l'assassiner et qu'il était prêt à faire face à sa punition.
        Pendant ce temps, Gulcin Tavsan, prédicateur de la région de Mersin, a déclaré que ceux qui prennent le parti de Satan seront punis. Il a ajouté qu'il était prêt à assumer l'assassinat de Rushdie. Le journal a rapporté, qu'entre-temps, un avocat du Barreau de Mersin a accusé le candidat du parti du Bien-être (RP) au mandat de maire de la ville d'Adana, d'avoir appelé au meurtre de Salman Rushdie.
        Le 10 mars dernier, après les prières du vendredi, les manifestations de masse contre l'interdiction de la Cour Constitutionnelle ont pris un tour plus populaire. A Istanbul, Ankara et Adana, à la sortie des mosquées, les fidèles ont organisé des marches de protestation en criant des slogans hostiles au général Evren qui a introduit un dossier à la Cour Constitutionnelle demandant l'abrogation de la loi autorisant le port des vêtements islamiques dans les universités (Voir: Info-Türk  de février 1988). Certains d'entre eux criaient des slogans tels que: "Rushdie-Evren: même combats".
        Plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés devant l'entrée principale de l'université d'Istanbul, après les prières du vendredi, et là, ont ignoré les ordres de la police de se disperser. Des femmes en chador qui attendaient un peu à l'écart ne les ont pas rejoints lorsqu'ils se sont dirigés vers le Grand Bazar en demandant la démission d'Evren.
        Au lieu d'utiliser la force pour les disperser, la police les a supplié de respecter la loi. Finalement, elle a réagi près de Sultan Ahmet et a dispersé les manifestants. La police en a arrêté 25 mais ils ont tous été relâchés plus tard.
        A Adana, un groupe de 600 personnes dont des femmes, a également manifesté. Quand ils ont ignoré l'ordre de dispersion lancé par les policiers, des unités anti-émeute ont chargé. 20 personnes ont été arrêtées.
        A Bursa, après les prières du vendredi, des manifestants ont protesté contre l'interdiction du port du foulard ainsi que contre le livre de Salman Rushdie. La police a arrêté quatre personnes.
        A Ankara, une foule de 1.500 personnes s'est rassemblée devant la mosquée de Haci Bayram après avoir envoyé des télégrammes de protestation du bureau de poste de Kizilay à la Cour Constitutionnelle ainsi qu'au bureau du Premier ministre. Elle s'est dirigée vers la Place Ulus en criant des slogans tels que: "Briser la main qui veut enlever les foulards", "Mort à Rushdie" et "A bas le Britannique et le sionisme israélien".
        Lorsque la police les a enjoints de se disperser calmement, certains lui ont répondu: "N'êtes-vous pas aussi des musulmans? Rejoignez-nous!" Finalement la police a chargé avec des matraques et a arrêté 18 personnes.
        Le 12 mars, les manifestations ont continué à Istanbul et à Ankara. Dans la capitale, la police a usé de la force pour disperser les gens qui manifestaient à la sortie d'un meeting organisé par le journal fondamentaliste islamique Zaman  intitulé "Coran Symposium '89" qui a entraîné près de 1.500 personnes à la mosquée de Kocatepe après les prières du soir. Comme elles refusaient de quitter leur place lorsque les responsables de la mosquée ont annoncé la fin de la réunion, une soixantaine de femmes en chador se sont chargées de faire bouger la foule qui a commencé une marche de protestation dans les rues. De temps en temps, les manifestants se sont heurtés à la police en clament qu'ils ne manifestaient pas. Après avoir rallié la mosquée de Haci Bayram, la seconde en importance après celle de Kocatepe, les manifestants se sont dispersés.
        Les manifestations se sont poursuivies le 14 mars à Adapazari, une ville distante de 200 km au sud-est d'Istanbul. La police a arrêté 25 hommes et femmes. Plusieurs manifestants ont été gravement blessés par des coups de matraque. Le lendemain, la cour locale a confirmé l'arrestation de 6 d'entre eux, les 19 autres ont été relâchés.
        A Istanbul, le 14 mars, un groupe de femmes vêtues de vêtements islamiques s'est rassemblé en face du campus de l'Université et a recueilli des signatures pour une lettre de protestation. Elles ont ignoré les avertissements de la police leur demandant de quitter les lieux si elles ne voulaient pas être dispersées par la force. Cependant, la police n'a pas agit contre elles et les a laissées occuper l'entrée de l'université jusqu'au soir.

TEHERAN DERRIERE LES INCIDENTS?

        Depuis que la controverse au sujet des foulards a éclaté, la presse iranienne n'a pas cessé d'attaquer le président Kenan Evren ainsi que Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République et du principe du sécularisme.
        Le 13 mars dernier, près de 600 étudiantes voilées ont manifesté à l'Université de Téhéran. Elles brandissaient des banderoles écrites en turc, en signe de soutien aux étudiants islamiques de Turquie. Sur ces pancartes, on pouvait lire: "Nous protestons contre la proscription du costume islamique dans les universités turques", "Pas de femmes musulmanes non-voilées". Sur d'autres, mais cette fois écrits en persan, on pouvait également lire: "Les foulards sont le symbole de la liberté, leur absence celui de l'esclavage", "Les colonialistes ont peur des foulards", "L'Islam est notre voie". Les étudiants criaient également: "Khoméini leader, Allahu Akbar".
        Une étudiante voilée a également lu, lors de cette manifestation, une déclaration de 6 points attaquant Atatürk et Evren et enjoignant les citoyens iraniens de manifester contre tout officiel turc en visite en Iran et ce, tant que la loi interdisant le port du vêtements islamiques ne sera pas abrogée.
        Le 14 mars, à l'occasion d'une de ses émission, Radio Téhéran a, quant à elle, traité de "laquais des Etats-Unis et de l'Impérialisme" tous ceux qui s'opposent au port du foulard en Turquie.
        Suite à cela, Manouchehr Mottaki, ambassadeur iranien à Ankara, a été convoqué au ministère turc des affaires étrangères où on lui a signifié que les commentaires des masse-média iraniens ainsi que les manifestations qui ont eu lieu en Iran, sont considérés comme une ingérence dans les affaires intérieures de la Turquie.
        Erdal Inonu, leader du parti d'opposition populiste social-démocrate (SHP), a lancé un appel aux services secrets turcs (MIT) pour qu'ils prennent des mesure de prévention contre l'infiltration de la Turquie par des mouvements théocratiques venant des pays voisins. Il a poursuivi en ces termes: "Le régime de Khoméini est derrière ce mouvement. Il leur fourni même une aide financière. Il veut exporter son régime vers la Turquie."

CONTROVERSE AU SUJET DES MANIFESTATIONS

        Les manifestations des fondamentalistes islamiques ont accentué la pression exercée sur le gouvernement d'Ozal en faisant éclater au grand jour les tensions existant entre les différents centres du pouvoir dans la capitale turque.
        Alors que les militants fondamentalistes descendaient dans les rues, le général Necip Torumtay, chef de l'Armée turque, a rendu une visite inattendue au président Evren le 10 mars dernier pour l'informer que les forces armées suivent les derniers événements de près.
        Dans une interview accordée par téléphone au quotidien Cumhuriyet,  le général Torumtay a déclaré que la question de porter ou ne pas porter un foulard sur les campus universitaires était devenue un problème politique. A la question de savoir si une organisation politique secrète se cachait derrière les manifestations des étudiants fondamentalistes, le général  a répondu: "Je n'ai pas d'opinion précise, mais c'est possible".         On lui a également demandé si le Conseil de Sûreté nationale (MGK) allait tenir une session plus tôt que prévu en raison de ces manifestations (ce conseil est un organe semi-militaire composé des chefs de l'Armée et de certains ministres), Torumtay a répondu: "Je ne pense pas. De toute façon c'est au Président de la République de décider de la date de ces meetings. L'agenda de ces réunions est fixé par le secrétaire général du MGK qui est ensuite soumis à l'approbation présidentielle. Je ne suis donc pas apte à vous renseigner à ce propos".
        Malgré le ton modéré adopté par le chef de l'armée lors de cet interview, ses déclarations peuvent laisser penser aux cercles politiques et à la presse, qu'une intervention de l'armée ne serait pas impossible si les manifestations se poursuivaient.
        Le 12 mars, l'Etats major des Forces armées a publié une communication écrite qui rapporte que les réponses de Torumtay font l'objet d'interprétations diverses dans la presse et que: "Les forces armées turques sont entièrement soumises à la démocratie parlementaire et qu'elles sont conscientes de leur rôle et de leurs devoirs dans et envers le régime constitutionnel."
        Il dit également que les forces armées servent l'Etat démocratique et laïc comme une partie intégrante de la nation.
        Erdal Inonu, leader du SHP, a déclaré qu'il considère les déclarations de Torumtay à savoir que les forces armées ont suivi les incidents de près, comme "naturelles". Il a cependant précisé: "Mais nous sommes opposés à l'idée de résoudre de tels problèmes par une intervention de l'armée. Nous voulons trouver une solution démocratique".
        Le 11 mars, le premier ministre turc a rendu une visite au Président et ce, en plus de sa visite hebdomadaire du jeudi. Après une entrevue de 70 minutes, Ozal n'a fait aucune déclaration aux journalistes et est retourné à sa résidence officielle.
        Le 13 mars, Ozal assistait aux cérémonies pour le jour des médecins en compagnie du président Evren. Lors de son intervention, il a fait allusion à  la décision de la Cour constitutionnelle d'abroger la loi autorisant le port de vêtements islamiques sur les campus. Abordant ensuite la loi générale sur les services de santé qui a également été abrogée par la Cour constitutionnelle, Ozal a souligné que: "Depuis que notre constitution est si détaillée, on a pris la regrettable habitude de porter toutes les questions devant la Cour constitutionnelle".
        Evren n'est pas intervenu lors de cette cérémonie, mais le 13 mars dans un communiqué écrit distribué par son attaché de presse, Evren a déclaré qu'il n'approuvait pas l'intervention des forces armées dans des questions politiques. Le rapport continue en ces termes: "Le Président estime qu'il est naturel pour les institutions et les personnes qui croient en les mérites de la démocraties de se montrer sensible au sécularisme". Il dit également qu'Evren pense que le communiqué de l'Etats major, publié la veille, était claire et ne contenait aucune notion pouvant être mal interprétée.
        Le quotidien Hurriyet  du 13 mars rapporte que le premier ministre subit la pression de l'Armée depuis le début du mois de janvier, moment auquel les généraux les plus en vue de l'armée avaient assisté à un souper officiel en compagnie des fonctionnaires hauts placés de l'administration civile au cours duquel ils avaient exprimé leurs doléances.
        Toujours selon le quotidien Hurriyet,  les officiers avaient bien souligné que leurs critiques ne devaient pas être interprétées comme une tentative d'ingérence des militaires dans les affaires gouvernementales. Mais ils ont continué en disant que les forces armées sont concernées par l'émergence de mouvements religieux et par l'enseignement de la religion dans le pays. Ils estiment également que les normes laïques établies par Kemal Atatürk dans le domaine de l'éducation nationale devraient être respectées par le gouvernement dans sa politique d'enseignement. Ils se sont également plaints des tendances de quatre ministres en faveur des mouvements religieux.
        Toujours au cours de ce même souper, officiel, les généraux ont abordé le problème de l'inflation qu'ils estiment trop importante et risquant d'entraîner des troubles sociaux.
        Même Kaya Erdem, ancien vice-premier, qui a démissionné de son poste en janvier dernier suite à un conflit l'opposant à Ozal, a rompu le silence qu'il avait observé jusqu'ici en déclarant dans un rapport écrit que la controverse ne se limite pas simplement à savoir si oui ou non il faut se couvrir la tête, mais "elle remet en cause les principes de base de la République établis par Atatürk".
        Feyzullah Ertugrul, président de l'association des professeurs, a déclaré que tous les troubles récents sont des ramifications du régime du 12 septembre et de la Constitution qu'il a imposée à la Turquie. Il a poursuivi en disant que cette constitution a introduit les cours de religion obligatoires dans l'enseignement primaire et a favorisé l'ouverture de nombreuses écoles religieuses.
        D'autre part, Necmettin Erbakan, leader du parti intégriste RP, a déclaré que ces manifestations constituaient "une réaction populaire tout à fait légale". Il a aussi exprimé son opposition à la proscription des foulards. Quant à Oguzhan Asilturk, secrétaire général du RP, il a présenté les manifestants comme des "combattants glorieux".

LA POSITION TURQUE ET L'OCCIDENT

        Selon Mehmet Ali Birand, correspondant pour les affaires étrangères du quotidien Milliyet:  "L'attitude de la Turquie face à la tempête est observée de très près aussi bien à l'ouest que dans le monde musulman, parce que la Turquie est un pays musulman qui se prépare à devenir un membre à part entière de la communauté européenne qui n'a, jusqu'à présent, regroupé que des pays catholiques".
        Toujours selon Birand: "on demande à la Turquie si oui ou non elle aurait adopté la même attitude que la Grèce (qui a rappelé son ambassadeur à Téhéran) si elle avait été un membre de la CE, si oui ou non elle aurait fermé son ambassade à Téhéran et rejoint ainsi la mobilisation anti-iranienne de l'ouest. Les occidentaux se posent la même question. Ils pensent que la Turquie n'aurait pas agi de cette façon et cela démontre clairement où réside le problème de base des relations de la Turquie avec l'Europe".
        Birand ajoute: "L'affaire Rushdie fournit aux occidentaux la première occasion et ce depuis longtemps, de souligner les différences existant entre la Chrétienté et l'Islam. La presse occidentale, une partie de la société occidentale ainsi que son intelligentsia considèrent l'appel au meurtre de Khomeini sur la personne de Salman Rushdie et la destruction de son livre accompagnée de manifestations sanglantes comme un signe de de l'arriération de l'Islam. Même s'ils ne l'expriment pas ouvertement, ils observent ces événements avec un certain dédain".
        Birand continue en ces termes: "C'est un fait que la société turque s'est généralement comportée de façon rationnelle dans son attitude envers Salman Rushdie et son livre. Mais certaines classes de la société turque ont adopté une attitude très dure dans cette affaire, similaire à celle que l'on a pu observer dans les autres pays musulmans. C'est là que réside le dilemme turc".

ANKARA FACE AUX "VERSETS SATANIQUES"

        Avant que les manifestations de masse aient eu lieu en Turquie, on avait demandé à Ozal de commenter le livre de Rushdie à l'occasion de la visite officielle en Turquie de son homologue iranien, Mr. Mir Husein Moussavi. Le premier ministre avait alors refusé de répondre. Le porte-parole du Département des affaires religieuses avait également refusé de répondre aux questions pressantes des journalistes.
        Quant au général Evren, à son retour d'Inde, il avait laissé entendre que les "Versets Sataniques" de Salman Rushdie seraient probablement interdits de publication en Turquie. Evren a déclaré aux journalistes: "Mais je ne suis pas en position de dire ce qui va être décidé".
        Le Président a ajouté que certaines personnes se livrent à des actes vraiment extraordinaire pour acquérir une certaine notoriété dans le monde. "Ce n'est pas seulement une question de gloire. Il y a également des aspects financiers dans cette affaire. Cette personne (Rushdie) a recours à une sensation incroyable, en ce aidé par les masse-média du monde entier. Son livre se vend actuellement 200$. Que pouvait-il espérer de mieux pour sa promotion? Le Département des affaires religieuses étudie actuellement le livre. Les autorités compétentes vont sans doute le mettre à l'index, c'est au ministère de l'intérieur que revient cette décision".
        En ce qui concerne le soutien local à l'appel au meurtre de Rushdie lancé par Khomeini, Evren a déclaré: "La Turquie est une république laïque depuis 1923. La population turque ne va pas adopter l'attitude irraisonnable de certaines personnes car les nouvelles générations se caractérisent par une adhésion totale au principe de sécularisme d'Atatürk. La majorité qui est fidèle aux principes d'Atatürk ne va pas les laisser violer par une minorité".
        Pendant ce temps, Yusuf Ozal, ministre d'Etat et le plus jeune frère du premier ministre, a suggéré se saisir l'opportunité d'intensifier les relations commerciales avec l'Iran maintenant que ce pays se trouve isolé de l'occident.
        Lutfu Dogan, ancien chef du département et actuellement ministre, a déclaré que , bien qu'il considère le livre de Rushdie comme une tentative de jeter le discrédit sur la foi islamique et sur son livre sacré, il n'approuvait pas l'attitude Khomeini: "Le décret de Khomeini nuit à l'Islam. De même que sa décision de ne pas faire preuve de la moindre pitié envers Rushdie même si ce dernier se repentait. Dans notre religion, Allah est miséricordieux envers les repentants".
        Le Docteur Mehmet Hatipoglu de l'Ecole de Théologie de l'Université d'Ankara a déclaré que depuis 14 siècles, l'Islam fait l'objet d'attaques similaires. Il a ajouté: "Mais vous devez répondre à ces critiques de la façon même dont elles ont été formulées: c'est votre droit d'écrire un livre et démentir ces attaques. Vous n'avez pas à faire tomber des têtes. Je ne crois pas que ce soit là la bonne solution".
        Le livre de Rushdie n'a pas encore été traduit en turc, mais des négociations sont en cours entre l'agent de Rushdie à Londres et une maison d'édition locale. Mr Erdal Oz, directeur des Editions Can, a déclaré qu'il avait reçu "des menaces de la part des fanatiques" dans le but de l'empêcher de la publier. Il a également dit que les députés fondamentalistes parmi lesquelles on retrouve ceux de l'ANAP, le parti d'Ozal, vont certainement essayé d'empêcher l'entrée du livre en Turquie. Can a ajouté: "Je ne crois pas qu'il soit possible de le publier ici".

INVESTISSEMENTS ISLAMIQUES EN TURQUIE

        Derrière l'émergence du fondamentalisme se cache, sans nul doute, la croissance du pouvoir économique du capital islamique.
        Les activités économiques du fondamentalisme islamique en Turquie est de moins en moins contrôlable et ce, grâce à l'attitude favorable du gouvernement Ozal à leur égard.
        Les pays islamiques détiennent une part de 8% du capital étranger total investi en Turquie. Fin 1988, le nombre de compagnies fondées avec participation de capitaux islamiques atteignait 309, dont 134 à participation irakienne et 31 à participation saoudienne. Le capital total investi par les Etats islamiques est estimé à 64,3 milliards de LT (Cumhuriyet,  21.2.1989)
        L'un des partenaires turcs les plus importants de ces compagnies n'est autre que Korkut Ozal, frère du premier ministre turc. Il est le principal actionnaire des compagnies suivantes: Akabe Insaat, Ozal-Bayraktar Oil and Chemical Products Co., Hak Investment Co. and Akoz Commercial Advisory Co. Il détient également 0,1% du capital de Al Baraka, la principale compagnie internationale d'investissement d'Arabie Saoudite. (Milliyet,  12/1/1989)
        Le capitale islamique apparaît comme le plus empressé dans le domaine de la création de fondations. Le nombre de fondations nouvellement créées en Turquie est passé de 754 en 1984 à 1.237 en 1988. Les biens des 483 nouvelles fondations sont estimés à 300 milliards de LT. Au moins 10% d'entre elles ont été créées dans un but religieux. (Cumhuriyet,  6/2/1988)
        Le contrôle croissant que les fondations islamiques exercent sur l'enseignement constitue une menace sérieuse pour le caractère laïc de l'éducation en Turquie, qui est l'un des piliers de l'Etat républicain. Ces dernières années, les cours coraniques se sont multipliés à travers la Turquie, ils sont maintenant au nombre de 4.691, 633.000 enfants étudient le Coran en arabe par cœur, sans en comprendre la signification (Cumhuriyet,  21.1.1989). Ces cours, pour la plupart créés et administrés par des fondations islamiques, forment les enfants suivant les principes de la Shari'a (loi islamique).
        Quant aux écoles supérieures religieuses officielles (Imam Hatip Okullari), leur nombre est  monté à  384 en1988. Ainsi, le nombre d'étudiants qu'elles ont formé est passé de 178.000 en 1983 à 290.000 en 1988 (Cumhuriyet,  9.1.1989). La majorité d'entre eux sont logés dans les dortoirs des fondations islamiques. Récemment, un groupe d'Islamistes, dirigé par l'ancien directeur de la télévision, Saban Karatas, a pris l'initiative de fonder une université privée, Bezm-i Alem, pour étudier en profondeur les bases des principes islamiques. (Hurriyet  30/1/1989)
        La montée du fondamentalisme en Turquie s'illustre également par:
        Le nombre de personnes employées par la Direction des Affaires religieuses est passé de 53.582 en 1984 à 84.717 en 1988. Tous les ans, en Turquie, on construit au moins 1.500 mosquées. Dans cinq universités d'Ankara, on en a inaugurées cinq grandes et sept petites. La circulation quotidienne d'un journal quotidien islamique, Turkiye, est montée à 132.000 numéros et celle d'un magazine islamique pour enfants à 100.000 exemplaires. Le nombre de pèlerins turcs qui se rendent à la Mecque est passé de 30.450 en 1984 à 285.724 en 1988. (Cumhuriyet,  23.1.1989)

LA TURQUIE: CHAMPION DE LA DESTRUCTION DE LIVRES

        Pendant que la controverse au sujet des Versets Sataniques et de leur condamnation par Khomeini s'amplifie, le 2 mars dernier, la Cour Suprême de Turquie a confirmé le verdict d'un tribunal quant à la confiscation et la destruction de deux livres jugés "obscènes". Cette décision a provoqué des critiques aussi bien en Turquie que à l'extérieur.
        En application de la décision de la Cour Suprême, le "Tropique du Capricorne" d'Henry Miller ainsi que le "Sudaki Iz" (Trace sur l'eau) de l'écrivain turc Ahmet Altan ne seront jamais distribués en Turquie et les copies disponibles seront détruites. Par contre, la Cour Suprême a lavé deux livres d'un auteur turc de l'accusation de violer la loi contre l'obscénité.
        Ce verdict de la Cour Suprême, pronconçant la destruction d'œuvres littéraires, est le premier en neuf ans à être rendu par un organe judiciaire. Les autres cas de destruction de livres et d'écrits politiques relevés pendant la même période, étaient le fait de la police et du régime militaire.
        L'éditeur des deux livres concernés par la décision de la Cour Suprême, Erdal Oz, a déclaré à la presse qu'il s'agit clairement d'une atteinte à la liberté de pensée.
        Ahmet Altan, l'auteur de "Trace sur l'eau" a déclaré que ce verdict correspond à une condamnation à mort similaire à celle prononcée par Khomeini à l'égard de Salman Rushdie. Il a ajouté: "Je suis sûr que mon livre n'est pas obscène. On ne peut pas le condamner en entier en se braquant sur certains passages."
        La loi du censure a été adoptée en 1927 par le Parlement turc sous la présidence de Mustafa Kemal Atatürk. Elle avait pour but de protéger les enfants contre la mauvaise influence des livres religieux fanatiques. Mais aucune cour turque ne l'a jamais appliquée avant 1985, année où le Parti de la Mère Patrie (ANAP) l'a ressuscitée et a changé son application.
        Selon une enquête récente menée par le quotidien de gauche: Cumhuriyet dans son numéro du 25 février dernier, depuis que l'ANAP a pris le pouvoir en 1983: 458 publications ont été confisquées, 368 d'entre elles ont été détruites sur ordre d'une juridiction judiciaire et 90 attendent le verdict que décidera de leur sort.
        La même enquête rapporte que depuis 1983, 2.792 rédacteurs en chef, traducteurs, journalistes et éditeurs ont été jugés au cours de 1.881 procès. Près de 39 tonnes de publications ont été détruites et 40 autres attendent de l'être. Ce sont les magazines politiques qui forment la majorité des publications interdites depuis six ans, ils sont suivis des livres politiques. Le journal rapporte également la saisie de: 55 magazines populaires, 78 publications pornographiques, 5 cartes postales, 14 cassettes, 4 cassettes vidéo, 1 calendrier, 64 quotidiens, 48 hebdomadaires populaires, 5 atlas et 1 bottin téléphonique.
        Ces six dernières années, les journalistes, traducteurs et éditeurs ont été condamnés à une peine totale de 2.000 ans de prison, tandis que les "rédacteurs en chef" de magazines politiques publiés avant le coup d'Etat militaire de 1980, ont été condamnés à une peine totale de 5.000 années de prison et à des amendes s'élevant à des milliards de LT. 26 d'entre eux sont encore en prison. Actuellement, 303 procès contre 13 quotidiens sont encore en cours.
        Un communiqué du Ministre de la justice: Tinaz Titiz a protesté contre l'utilisation faite par la presse de l'expression "livres brûlés" dans ses articles concernant la destruction de publications illégales. il souligne qu'elles sont envoyées dans une usine d'Etat de recyclage de papier et que ces publications n'ont jamais été brûlées.
        Le verdict de la Cour Suprême a provoqué la réaction de plusieurs parlementaires et intellectuels en Europe et aux USA qui ont déclaré que la destruction de livres n'a pas sa place dans le monde contemporain.
        La Sous-commission du Congrès américain chargé de l'aide financière et militaire pour 1990 et 1991, a abordé, lors de ses débats, les problèmes de la destruction et de l'interdiction de livres, des allégations de torture systématique et de la durée de la détention préventive  en Turquie.
        Les critiques les plus vives concernaient la violations des droits de l'homme et des libertés fondamentales en Turquie. Donald E. Lukens (député de l'Ohio) a rapporté la décision de la Cour Suprême de faire détruire deux livres dont le 'Tropique du Capricorne" d'Henry Miller.
        Mr Wilkinson, porte-parole de la Maison Blanche a déclaré que l'administration américaine n'avait été informée que très récemment des interdictions de livres et a soutenu, à tort, que les décisions des cours turques à ce propos pouvaient encore faire l'objet  d'une cassation. Or, c'était un verdict définitif et irréversible auquel le député Lukens se referait.
        Ce dernier a également fait référence à des rapports d'organisations internationales comme Amnesty International qui prouvent l'existence d'une pratique systématique de la torture en Turquie.
        Wolfgang von Nostitz, membre ouest-allemand de la Commission parlementaire mixte turco-européenne a déclaré au quotidien Hurriyet que l'interdiction et la destruction de livre est anachronique. Il lui a fait part de son intention de porter l'affaire devant le Parlement européen. Il a également déclaré que la question sera abordée lors de la session de la Commission parlementaire mixte des 24,25 et 26 avril prochains qui se tiendra à Ankara.
        René Tavernier, président de la section française du PEN Club (l'Association Internationale des poètes, romanciers et auteurs de pièces de théâtre) a qualifié ce verdict de scandaleux.
        John E. Porter, membre du Comité de crédit budgétaire du Congrès américain, qui s'est rendu en Turquie en 88, a déclaré au quotidien Hurriyet  que la destruction de livres était une pratique également connue sous le régime nazi.

LES LIVRES INTERDITS DEPUIS 1955

        La liste suivante ne comprend qu'une partie de livres interdites depuis 33 ans:       
        1955-56:
        Karga ile Tilki d'Oktay Rifat, Grev d'Orhan Kemal, Melih Cevdet Anday's Yanyana (Side by Side), Fethi Naci's Insan Tukenmez (Man is Inexhaustible), Sukran Kurdakul's Giderayak (In the Last Minute), Metin Eleoglu's Sultan Palamut (Sultan Bonito), Arif Damar's Gunden Gune (From One Day to the Next), Ferruh Dogan's cartoon album Asrilesen Koy (Modernized Village).
        1960s:
        Ercument Behzat Lav's S.O.S in 1965, Asik Ihsani's Yazacagim (I Shall Write) in 1966, Nezihe Meric's Nazim Nikmet Butun Eserleri 1 (Complete Works of Nazim Hikmet Vol. l) in 1968, Hasan Huseyin's Kizilirmak (Red River), Sukran Kurdakul's Halk Ordulari (People's Armies).
        1970s:
        Sevgi Soysal's Yurumek (To Walk) in 1970, Ozkan Mert's Kuracagiz Herseyi Yeniden (We Will Build Everything Anew) in 1971, Tektas Agaoglu's Politika ve Felsefe (Politics and Philosophy) in 1973, Cetin Altan's BirAvuc Gokyuzu (A Handful of Paradise) in 1974, Ceyhun Can's Umut Devrimci Savasta (Hope in the Revolutionary Struggle) in 1974, Hasan Izzettin Dinamo's Kavga Siirleri (Battle Poems) in 1977, Yasar Mirac's Trabzonlu Delikanli (The Young Man From Trabzon) in 1979.
        After 1980:
        Yasar Mirac's Taliplerin Agidi (Ode to Talip) in 1980, Ataol Behramoglu's Ne Yagmur Ne Siirler (Neither Rain Nor Poems) in 1981, Talip Apaydin's Vatan Dediler (The Country, They Said" in 1981, Kente Inen Idris (Idris Who Went to Town) in 1981, Adalet Agaloglu's Fikrimin Ince Gulu (The Rose of My Mind), published in 1976, confiscated in 1981, Koktan Ankarali (Originally From Ankara) in 1982, Asim Bezirci's Anthology On Sair, On Siir (Ten Poets, Ten Poems), published in 1971, confiscated in 1982, Gulten Akin's Kirmizi Karanfil (Red Carnation), published in 1971, confiscated in 1982, Bertolt Brecht's Halkin Ekmegi (The People's Bread), the fifth edition confiscated in 1982, Nihat Behram's Hayati Tutusturan Acilar (Agonies That Set Life on Fire) in 1983, Fikret Otyam's Mayinlar Ciceek Acmaz (Mines Don't Bloom) in 1983, Ozan Telli's Ekmegim, Sarabim, Tuzum Askina (For the Laove of My Bread, Wine, Salt) and Ishakca in 1983, Necati Gungor's Yeryuzunde Iki Golge (Two Shadows on Earth) in 1983, Yllmaz Guney's Ogluma Mektuplar (Letters to My Son) in 1983, Mehmet Yasin's Sevgili Olu Asker (Dear Dead Soldier) in 1984, Vecihi Timuroglu's BirSurgunun Ezgileri (Tunes of an Exile) in 1984, Ahmet Altan's Sudaki iz (The Trace on Water) in 1986, Pinar Kur's Bitmeyen Ask (Endless Love) in 1986; and recently, Nihat Behram's Yurekleri Safakta Kivilcimlar (Sparks with Hearts in Dawn) and Iskencede Olum Guncesi (Diary of Death Under Torture), Ibrahim Acan's Yargilayan Savunma (Judging Defense), Tayfun Mater's Devrimci Yol Davasi Savunmalari (Defense of the Devrimci Yol Case).

PERSECUTIONS EN FEVRIER

    Le 7 février, le dernier numéro de la revue mensuelle Yeni Demokrasi  a été saisie à cause d'un article sur le terrorisme d'Etat au Kurdistan.
    Le 11 février, le rédacteur en chef de l'Encyclopédie du socialisme et de la lutte sociale, Mr Abdullah Onay, a été mis, en accusation pour avoir compilé certaines partie de l'œuvre de Wilhem Weitling sur le communisme éditée en 1846. Il risque une peine de prison allant jusqu'à 15 ans.
    Le 21 février, le professeur Yal•in Kücük, a été arrêté par la 4ème fois. Pour l'ensemble des procès ouverts contre lui pour ses articles, il risque une peine de 45 ans de prison.
    Le 2 février, le numéro 3 de la revue mensuelle Özgür Gelecek  a été saisie à l'imprimerie avant sa distribution. Son rédacteur en chef Bekir Kesen a été mis en accusation alors qu'il est déjà en prison pour un autre procès.
    Le 22 février, le rédacteur en chef de la revue mensuelle Emek Dünyasi,  Mr Osman Güneª, a été condamné à 6 mois de prison par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul pour avoir écrit un article sur la résistance ouvrière.

442 personnes privées de leur nationalité

    Malgré les critiques émises par les organisations internationales de défense des droits de l'homme, la Turquie continue à priver de leur nationalité, les personnes suspectées d'activités anti-régime ou qui refusent de prester leur service militaire.
    Dernièrement, le 14 mars, le consul des ministres a annoncé que 442 citoyens turcs vivant à l'étranger sont désormais privés de leur nationalité. De plus, tous leurs biens en Turquie sont confisqués par l'Etat.

Pas de passeport pour un cinéaste

    Le cinéaste turc ∫erif Gören n'a pas été autorisé à participer au festival de film de Berlin alors que son film "Polizei" était nominé pour le prix.
    Gören est également le co-directeur du film de Yilmaz Güney "Yol" primé par le festival de Cannes. Les autorités turques ont refusé de lui délivrer un passeport sous prétexte qu'il existe des poursuites légales contre lui pou avoir envoyé "Yol" en France sans autorisation et pour ses activités syndicales antérieures au coup d'Etat militaire.

La défense d'Ankara au sujet de la torture

    Le gouvernement turc prépare sa défense en réponse aux allégations de torture faites par divers groupes internationaux de défense des droits de l'homme, ainsi, le ministère des affaires étrangères a rédigé un rapport détaillé concernant les prisonniers morts en détention depuis 1980.
    Le ministère affirme qu'il va l'envoyé au siège d'Amnesty à Londres ainsi qu'aux missions diplomatiques turques à l'étranger. Le rapport a pour but de clarifier les circonstances de la mort, prétendûment sous la torture, de 144 prisonniers entre 1980 et 1988, comme AI le prétend dans son dernier rapport.
    Le ministère des affaires étrangères prétend que seulement 32 des 144 prisonniers sont effectivement morts sous la torture et que 102 autres se sont suicidés ou sont décédés dans d'autres circonstances. Ces dernières sont énumérées comme suit: 42 sont décédés des suites de maladies pulmonaires ou cardiaques, 22 suite à leur confrontation avec les forces de sécurité pendant leur détention préventive, 3 des suites d'une grève de la faim, et enfin, le dernier a été assassiné par un autre prisonnier. Il conclut en disant que les 10 restant sont vivants.
    Le gouvernement turc a attaqué avec virulence AI parce qu'elle avait publié une liste de 144  noms de prisonniers qui ont péri sous la torture, sans avoir contacté préalablement les autorités turques. Ankara accuse AI de voir leur ruiner les chances de la Turquie d'entrer dans la communauté Européenne en l'accusant de pratiquer la torture.
    Le ministère des affaires étrangères a également publié une liste de personnes présumées mortes sous la torture: 1 personne en 1979, 7 en 1980, 2 en 1981, 2 en 1982, 1 en 1983, 2 en 1984, 2 en 1985, 3 en 1986, 2 en 1987 et 3 en 1988. Le rapport souligne enfin que 61 officiels (50 civils et 11 militaires) ont été accusés d'avoir torturé des prisonniers et vont être jugés.
    Des groupes de défense des droits de l'homme ont déclaré à Ankara que le rapport du ministère des affaires étrangères ne restera pas longtemps sans être contesté. Ils mettent en évidence le taux particulièrement élevé de suicides en détention: 34 en tout et attirent l'attention sur le cas de Veysel Yildiz qui est censé s'être pendu durant un interrogatoire. Ils estiment que ce rapport n'explique pas comment le jeune homme a pu se suicider, le 1er avril 1988, sous les yeux des ses interrogateurs.
    Le rapport du ministère des affaires étrangères est paru juste au moment où s'ouvrent les négociations entre la Turquie et la CE.

Réunions d'AI en Belgique
    En Belgique, diverses sections d'AI ont organisé des conférences dont le thème principal était les droits de l'homme en Turquie.
    La 1ère conférence, organisée par la section de Roexelare, a eu lieu le 21 février dernier. Après avoir projeté des dias prises dans le Kurdistan turc, Pierre Tavernier, porte-parole d'AI et Dogan Özgüden, directeur d'Info-Türk, ont fourni à l'auditoire, des informations sur les récentes violations des droits de l'homme en Turquie. Une conférence similaire a eu lieu à Temse le 10 mars.
    Le 22 février, une autre conférence, organisée par AI à l'Université Libre de Bruxelles (ULB), a à nouveau fourni la preuve de l'attitude hypocrite des autorités turques.
    AI avait invité un représentant de l'ambassade turque en Belgique, dans le but d'obtenir des éclaircissements sur le point de vue d'Ankara au sujet des critiques des autres conférenciers.
    Ankara a toujours accusé AI de ne tenir compte que des vues des opposants au régime turc et de ne jamais écouter les réponses qu'elle avait à formuler.
    Après avoir recu l'invitation d'AI, l'ambassadeur de Turquie à Bruxelles à demandé si Dogan Özgüden allait également prendre part au débat. Sur la réponse affirmative d'AI, l'ambassadeur a décliné son invitation sous prétexte qu'un représentant du gouvernement turc ne peut en aucun cas s'assoir à la même table qu'un opposant du régime, privé de la nationalité turque.
    Lors de la conférence organisée par AI à l'ULB, le professeur Robert Ancieux, le porte parole d'AI, Pierre Tavernier, le juriste Marie Forêt et 2 journalistes turcs: Hadi Vluengin et Dogan Özgüden ont commenté la situation actuelle des droits de l'homme en Turquie. Özgüden a repproché au régime d'Ankara sa lâcheté puisqu'il n'a pas eu le courage d'écouter les critiques et d'exposer sa position en public.

Des médecins rapportent des cas de torture

    Un médecin de la prison de Diyarbakir a soumis un rapport à la cour locale de Sûreté de l'Etat dans lequel il déclare avoir remarqué des traces laissées par la torture sur 10 détenus arrêtés en décembre dernier à Cizre dans le cadre de l'affaire du meurtre de deux policiers.
    Des bruits selon lesquels les suspects étaient torturés par la police avaient déjà courru. Les avocats des détenus avaient introduit une pétition auprès de la Cour locale de Sûreté de l'Etat demandant que les prisonniers subissent un examen médical. Mais la Cour avait jugé qu'elle n'était pas compétente et avait envoyé le dossier à Mardin, province où les tortures étaient présumées avoir été perpétrées, pour être revu par le procureur local.
    Selon le rapport du Dr Turgut Dogancali, les détenus ont été examinés le 17 février et des traces de torture ont été relevées sur leur corps. Le rapport contient les informations suivantes:
    o Abbas Seyrek: écorchures sur la plante du pied gauche.;
    o Ibrahim Sarica: écorchures sur les mains et les pieds;
    o Seyfettin Vesek: écorchures sur les mains et les pieds;
    o Hasan Baykara: trace de coups données avec un instruments pointu, derrière la tête et de brûlures sur l'abdomen et les mains;
    o Bedrettin Vesek: traces de coups sur les jambes;
    o Nimet Elcitorunu: blessures sur les mains;
    o Abdurrahman Ugan: traces de brûlures sur la cheville droite;
    o Yusuf Ecevit: conjoinctivité;
    o Semªettin Piskin: le plus mal en point selon le rapport, cicatrice sur le pénis et fissure anale.

Autres cas de torture
    Le 12 février, à Istanbul, un procureur public a annoncé, lors d'une conférence de presse, que son propre fils; Siar Risvanoglu, a été torturé par la police après avoir été arrêté alors qu'il était en possession de quelques tracts du TBKP.
    Selon le quotidien Cumhuriyet  du 20 février 1989, dans la province de Sanliurfa, un groupe de kurdes a été torturé par la police après avoir été arrêtée. Un des prisonniers, Hüseyin Sutpak, en est ressorti paralysé alors qu'un autre, Aburrezak Tay, après avoir été relâché se suicidait, dans un moment de dépression.

Grèves de la faim dans les prisons
    En février, des actions de protestation ont à nouveau éclaté dans 3 prisons.
    Les grèves de la faim qui avaient eu lieu dans toutes les prisons de Turquie s'étaient terminées sur la promesse des autorités pénitentiaires de cesser les traitements dégradants et de respecter la dignité des prisonniers.
    Mais ces promesses n'ont pas été tenues partout, c'est pour cette raison que 203 prisonniers politiques à Eskisehir, 84 à Gaziantep et 59 à Ankara ont à nouveau entamé une grève de la faim. A Ankara, parmi les prisonniers qui protestent contre les mauvais traitements collectifs, on retrouve deux hauts responsables du TBKP: Nabi Yagci et Nihat Sargin.

Le DISK se réorganise
    Abdullah Bastürk, président de la conférence syndicale disparue, a annoncé, le 13 février dernier, la reconstitution de la Confédération des syndicats progressistes (DISK) "en conformité avec les conditions actuelles" lors d'une cérémonie commémorant le 22ème anniversaire de sa fondation.
    Elle a eu lieu à Istanbul avec la participation des travailleurs, de sympathisants de gauche et de chanteurs folkloriques Arif Sag, chanteur folklorique et député populiste social-démocrate (s|) était également présent.
    Bastürk, également député SHP, a purgé une peine de prison de 4 ans après le coup d'Etat de 1980 pour avoir transformé le syndicat en un groupe subversif clandestin ayant pour but de remplacer le régime par une dictature du prolétariat.
    Dans son discours d'ouverture, il a déclaré: "tout le monde sait que si la DISK était restée légale, le gouvernement ne pourrait pas oppresser les travailleurs comme il le fait actuellement. Aussi longtemps que les droits des travailleurs seront violés, la Turquie ne réussira pas à devenir membre à part entière de la communauté européenne. Alors que le général qui a pris le pouvoir proscrivait la DISK et suspendait presque tous les droits des travailleurs, ils commissionnaient l'autre grande organisation du travail pour défendre ce qu'ils faisaient aux travailleurs".
    Bastürk a continué en déclarant que le général a également céder les biens de la confédération et les a soumis à l'administration de trusts à l'administration de trusts formés d'anciens officiers et de gouvernements. Les biens de la DISK se montent actuellement à plus d'un billion de LT (500 millions de dollars). "Je déclare ici et maintenant que nous n'allons pas laisser notre propriété aux mains de ces artels. Ces biens ont été achetés avec de l'argent gagné à la sueur du front des travailleurs et non pas avec les billions acquis grâce à la corruption".
    Son discours a été interrompu plus d'une fois par des travailleurs criant des slogans tels que: "Liberté pour la DISK".
    La DISK a été fondée en 1967: elle comprenait plus e 500.000 membres répartis dans 25 syndicats. Un de ses anciens leader, Kemal Tükler, était parmi les 5.000 victimes de l'ère de terreur qui a précédé le coup d'Etat de 1980.
    Après le coup d'Etat militaire, un procès de masse des membres de la DISK a commencé: il allait durer 8 ans. 1.477 personnes ont été jugées pour avoir "tenter d'établir une dictature d'une classe sociale sur les autres". La plupart d'entre eux, dont Bastürk, risquaient la peine de mort.
    Le procès a pris fin en 1987 avec la relaxation de tous les prévenus. L'établissement légal du verdict a pris un temps record: plus d'un an. On pense qu'il sera soumis cette année à la Cour d'appel militaire.
    Bastürk qui a passé quatre ans en prison a déclaré qu'il n'y a pas de dénouement en vue pour le procès de la DISK qui va connaître son 10ème anniversaire en décembre prochain. Il a ajouté: "Nous devons créer les circonstances et les outils qui vont nous permettre de défendre nos droits grâce à une organisation. Nous devons trouver les bases sur lesquelles nous allons construire ensemble notre nouvelle organisation. Il n'y a aucun obstacle légal qui pourra empêcher la DISK d'à nouveau fonctionner.

Action des syndicats US contre Ankara

    Au début du mois de mars 1989, des représentants des leaders syndicaux américains ont annoncé leur intention de demander que la Turquie soit rayée de la liste des pays autorisés à importer des marchandises détaxées aux EU en raison des violations continues des droits des travailleurs turcs.
    Les officiels de la Fédération américaine du Travail et Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO) ont annoncé que leurs évaluations prouvaient que la Turquie n'a pas adhéré aux conventions de l'organisation internationale du Travail  (OIT) concernant les activités syndicales.
    Selon l'"US Trade and Tariff act" de 1984, certains Etats sont autorisés à importer des biens aux EU à des conditions tarifaires référentielles, mais ils sont ?????? se conformer aux standards internationaux concernant les droits des travailleurs et des syndicats.
    Dans la pétition de l'AFL-CIO demandant le retrait de la Turquie de la liste de commerce préférentielle, les officiels dénoncent le fait que le gouvernement turc a promis des réformes mais n'y a pas donné suite.
    Les officiels considèrent que la législation turque du travail viole les conventions de l'OIT sur le droit d'association et le droit à la négociation de conventions collectives du travail.
    Leur dernière pétition continue en ces termes: "En laissant la Turquie continuer à bénéficier des avantages octroyés par l'US Trade and Tariff Act, on renforce simplement ce pays dans son attitude".
    Une fois que ce rapport lui sera soumis, l'US Trade Représentative pourra revoir sa position.
    L'AFL-CIO lui a déjà soumis plusieurs pétitions similaires au cours de ces deux dernières années mais elle a toujours refusé de revoir sa position à l'égard de la Turquie.
    Les officiels de l'AFL-CIO on établi ce rapport en consultation avec les syndicats locaux et après avoir fait une étude de la politique du gouvernement.
    En 1988, les organisation on recommandé le retrait de plusieurs pays de la liste comme le Chili, l'Indonésie, le Paraguay, Singapour, le Guatemale, Taïwan et la Thaïlande.