Un
professeur de droit constitutionnel assassiné
Terreur intégriste en
Turquie
La terreur politique qui avait
déjà causé le coup d'Etat militaire de 1980 a à nouveau frappé en
Turquie. Le 31 janvier 1990, un éminent professeur de droit
constitutionnel a été assassiné à Ankara. Assassinat politique qui a
été revendiqué par un groupe de intégristes islamiques...
Le professeur Muammer Aksoy, âgé
de 73 ans, défenseur acharné du sécularisme, a été abattu à l'intérieur
de l'immeuble à appartements dans lequel il vivait, alors qu'il
revenait de son bureau. Des inconnus appelant divers journaux ont
déclaré que le professeur Aksoy a "été puni par les musulmans en raison
de son attitude hostile envers l'Islam". Les correspondants anonymes
ont revendiqué la responsabilité du meurtre au nom d'une organisation
demeurée inconnue jusqu'à ce jour: "Le Mouvement Islamique".
Les enquêteurs ont déclaré que le
meurtre, perpétré de sang froid, était l'œuvre de professionnels.
Le professeur Aksoy était l'un
des rédacteurs de la Constitution de 1961, le texte constitutionnel le
plus libéral et démocratique que la Turquie ait jamais connu et ce,
depuis la proclamation de la République en 1923.
En 1977, Aksoy a été élu au
Parlement turc et a représenté la Turquie au Conseil de l'Europe. Il a
également présidé le Barreau d'Ankara en 1981 et était, au moment de sa
mort, président de l'Association turque de Droit. Récemment, il avait
été élu président d'une autre association formée dans le but de
préserver les idéaux et les réformes de Kemal Atatürk, fondateur de la
République.
Le meurtre de Aksoy est survenu
le lendemain de l'assassinat d'un policier, abattu devant sa maison.
Mehmet Kazim Cakmakci était l'agent de la circulation qui figurait sur
la photo qui a fait la une des journaux turcs, il menaçait de son arme
la foule des manifestants du 1er mai 1989. Des correspondants anonymes
ont revendiqué le meurtre de Cakmakci en l'accusant de la mort d'Akif
Dalci, le jeune homme tué le 1er mai de l'année passée.
Le ministre d'Etat et
porte-parole du gouvernement, Mehmet Yazar, a déclaré que ces deux
incidents étaient liés et qu'ils étaient tous deux des actes de
terrorisme.
De nombreuses personnalités
turques estiment que le pays est à nouveau confronté à un complot
visant à déstabiliser le régime.
Avant le coup d'Etat de 1980, de
nombreuses personnalités publiques et intellectuels comme des
professeurs d'université, ont été abattues de la même façon. Leurs
meurtriers n'ont jamais été retrouvés. Un éminent professeur, Hifzi
Veldet Velidedeoglu, a déclaré: "Je me sens concerné car notre pays
pourrait à nouveau plonger dans les ténèbres à cause de la montée de la
terreur".
Les actes de violence politique
des groupes d'extrême-droite ont repris depuis plusieurs années, en
même temps que la montée du mouvement intégriste en Turquie. Le 3 mai
1987, un étudiant était assassiné par les Gardiens de l'Islam
pro-saoudiens dans la province orientale de Van parce que les étudiants
ne jeûnaient pas pendant le mois saint du Ramadan.
Le 25 octobre 1988, le second
secrétaire de l'Ambassade d'Arabie Saoudite à Ankara, Abdulgani
Beddawi, a été abattu devant son domicile d'Ankara par un groupe
pro-iranien: le Jihad Islamique Hijaz. La même organisation a perpétré,
le 16 octobre 1989, un attentat à la bombe contre le bureau de
l'attaché militaire de l'Ambassade d'Arabie Saoudite à Ankara qui a
gravement blessé un diplomate saoudien, Abdurrahman Al Shrawi.
(Pour la montée de l'intégrisme
islamique en Turquie, voir: Extreme Right in Turkey, Info-Türk, 1988,
Brussels, et Intégrisme Islamique en Turquie et Immigration, Info-Türk,
1987, Bruxelles).
L'intervention de l'Armée Soviétique
en AZERBAIDJAN réactive le Pan-TOURANISME
L'intervention soviétique en
Azerbaidjan et les autres troubles ethniques dans les Républiques
méridionales d'URSS ont provoqué la montée du Pan-Touranisme qui a pour
but de réaliser l'unification de tous les peuples d'origine turque au
sein d'un Empire turc à l'échelle mondiale.
Ce mouvement, né au début du
siècle après le déclin de l'Empire ottoman, a toujours compté des
défenseurs dans les cercles nationalistes ainsi que parmi les
politiciens de droite et les officiers de l'Armée turque.
Pendant plus de 20 ans, le
mouvement a été conduit par l'ancien colonel Alparslan Türkes. Avant le
coup d'Etat militaire de 1980, ce dernier avait formé un groupe
militants, les Loups Gris, et ce, en tant que dirigeant du Parti
d'Action Nationaliste (MHP). Les Loups Gris sont responsables des
violences politiques qui ont mené au coup d'Etat du 12 septembre 1980.
Bien que Türkes ait été arrêté et jugé après le coup d'Etat pour la
terreur politique dont le MHP était responsable, depuis 1987, il est à
nouveau autorisé à mener des activités politiques à la tête du Parti
nationaliste du Travail (MCP), un nouveau parti extrémiste fondé par
ses anciens collaborateurs. (Pour le contexte historique et les
récentes développements du Pan-Turkisme et du Pan-Touranisme en
Turquie, voir: Extreme Right in Turkey, Info-Türk, 1988, Bruxelles).
Türkes et ses Loups Gris ont
profité de la réaction contre l'intervention soviétique en Azerbaidjan
pour étendre leur influence aussi bien dans les grandes villes turques
que dans les capitales européennes.
Lors d'un meeting à Istanbul,
Türkes a déclaré devant une foule de 7.000 personnes: "Les Soviétiques
ne se tireront pas de leur intervention sanglante en Azerbaidjan en
toute impunité. Le sang versé par nos frères d'Azerbaidjan annonce
l'aube de la libération de ce pays".
Les manifestants brandissaient
des pancartes avec des slogans traitant le leader soviétique, Mikhail
Gorbachev, de meurtrier. Les autres slogans chantés par les
manifestants appelaient l'armée turque à aller à la rescousse des Turcs
d'Azerbaidjan, condamnaient les communistes et ceux qui s'opposent au
port du foulard sur les campus universitaires.
Pendant la manifestations, alors
qu'un certain nombre de participants commençaient à marcher sur le
consulat soviétique d'Istanbul, ils ont été arrêtés par la police. De
petits groupes se sont heurtés aux forces de l'ordre alors qu'ils
essayaient de forcer le barrage de police.
Lors des meetings organisés à
Yozgat, fief du MCP, à Bursa et Adana, les manifestants ont exigé que
le Conseil de Sûreté Nationale déclare la guerre à l'Union Soviétique
et ont brûlé une effigie de Gorbachev en chantant "Allah-u-Akbar"
(Allah est Grand) et en criant: "Les Loups Gris à Bakou".
En Europe, les deux organisations
des Loups Gris, la Fédération Turque et la Fédération Turco-Islamique,
ont organisé des manifestations de masse contre l'intervention
soviétique en Azerbaidjan. Lors d'un meeting organisé à Bruxelles
auquel participaient plus de 7.000 personnes, les Loups Gris ont mis le
feu aux drapeaux soviétique et américain en clamant que les deux
super-puissances avaient eu une attitude hostile à l'encontre des
peuples d'origine turque à travers le monde.
Quant aux autres groupes
politiques, ils ont également condamné l'intervention soviétique en
Azerbaidjan, mais le Président de la République turque, Turgut Özal, et
son gouvernement ont été très prudents dans leurs déclarations et ce
dans le but de ne pas détériorer les relations économiques et
commerciales de la Turquie avec l'URSS qui se développent depuis
quelques années.
Özal, dans sa première
déclaration après les événements, a dit que les Turcs d'Azerbaidjan
étaient des chiites et qu'ils étaient beaucoup plus proches, sur le
plan culturel, de l'Iran que de la Turquie.
Les remarques d'Özal ont provoqué
de nombreuses réactions des politiciens turcs, l'accusant de se
compromettre dans ce massacre à la fois sur le plan de la politique
étrangère que sur celui des prérogatives présidentielles. Erdal Inönü,
leader du parti populiste social démocrate (SHP), a insisté sur
l'existence de citoyens turcs chiites en Turquie et a déclaré que les
remarques du Président étaient discriminatoires.
Bülent Ecevit, leader du Parti de
la Gauche Démocratique (DSP), a accusé Özal d'avoir, par ses remarques,
donné le feu vert à Moscou pour envahir l'Azerbaidjan. Il a poursuivi
en ces termes: "La Turquie devrait se préparer à envoyer du matériel
militaire en Azerbaidjan et à prendre d'autres mesures en vue
d'empêcher les attaques contre les Turcs d'Azerbaidjan".
Bien que tous les leaders
politiques aient adopté une position critique à l'égard de
l'intervention soviétique en Azerbaidjan, c'est le mouvement
Pan-Touraniste qui a enregistré une montée sans précédent en Turquie,
devenant ainsi un élément de déstabilisation aussi bien au Moyen-Orient
et dans les Balkans que dans le Caucase et en Asie Centrale.
Améliorations en Bulgarie
Le 29 décembre 1989,
l'assimilation forcée de la minorité turque de Bulgarie était arrêtée
par la nouvelle direction du parti communiste bulgare.
Les nouveaux dirigeants du parti
ont déclaré que l'administration de l'ancien leader, Todor Zhivkov,
avait commis une erreur politique en utilisant la force pour instaurer
une société monolithique et que la nouvelle administration allait
s'efforcer de la corriger.
En fait, comme nous l'avons
expliqué dans les bulletins précédents d'Info-Türk, cette pratique
anti-démocratique était une violation flagrante des droits de l'homme
et a uniquement servi au renforcement du Pan-Turkisme en Turquie. De
plus, l'économie bulgare traverse une grise grave.
Certains dirigeants locaux du PC
bulgare ont protesté contre la restauration des droits de la minorité
d'origine turque et des manifestations de masse ont eu lieu à Sofia,
Razgrad, Haskovo, Varna et Russe. La manifestation qui a eu lieu dans
la capitale a réuni 10.000 personnes qui ont marché vers le Parlement
en criant des slogans tels que: "Les Turcs en Turquie!", "La Bulgarie
n'est pas Chypre!".
En dépit de ces manifestations,
le Comité Central du PC bulgare a maintenu sa décision et a soumis le
projet de restauration des droits de la minorité bulgare au Parlement
bulgare.
Bilan décennal des mesures draconiennes du 24 janvier
Cette année marque le 10ème
anniversaire des mesures du 24 janvier imposées par le Fonds Monétaire
International et mises en pratique par les militaires en 1980. Ces
mesures draconiennes accompagnée d'une terreur d'Etat sans précédent
qui ont, pendant dix ans, soumis la Turquie à des changements
importants sur les plans économique et social. Ce sont les gens à
revenus fixes qui ont le plus souffert de cette situation économique
critique. Le salaire minimum a augmenté 28 fois mais les prix des
produits alimentaires de base ont au moins augmenté 50 fois. Ces
mesures du 24 janvier, dont la plupart ont été revues durant ces 10
ans, ont presque toutes été introduites sous la houlette de Turgut Özal.
Inflation:
L'inflation de 107,2% consécutive
aux mesures du 24 janvier instaurée début 1980 ont institué un record
dans l'histoire de la République turque. Bien que l'augmentation des
prix ait été maintenue en dessous des 50% pendant la période allant de
1981 à 1987, sauf en 1984, ils ont flambé en 1988 pour atteindre un
taux d'inflation de 69,6% fin 1989.
L'augmentation des prix de
produits alimentaires:
Pain, de 6 à 350 LT la miche
(augmentation: 58 fois); fromage blanc, de 155 à 12.000 LT le kg
(augmentation: 77 fois); viande, de 235 à 10.000 LT le kg
(augmentation: 43 fois); lait, de 30 à 1.300 LT le litre (augmentation:
44 fois); riz, de 39 à 2.700 LT le kg (augmentation: 69 fois); Produits
énergétique: gaz, de 125 à 11.350 LT le m3 (augmentation: 91 fois);
essence, de 22 à 1.259 LT le litre (augmentation: 57 fois); bois, de
1.000 à 150.000 LT la tonne (augmentation: 150 fois).
Salaires:
Selon l'index des salaires réels
et des appointements et en prenant 100 comme valeur fixe pour 1979, les
salaires des travailleurs du secteur privé ont continuellement plafonné
en dessous du niveau de 1979 pendant ces 10 dernières années.
Selon cet index, en 1988, les
salaires des travailleurs du secteur privé ont diminué de 50,4% et ceux
du secteur public de 51,3%. Les appointements ont connu une légère
augmentation en 1989, à savoir: de 50,4% à 63,9% pour le secteur
public et de 51,3% à 67% pour le secteur privé. Ces chiffres indiquent
que les travailleurs du secteur public gagnent actuellement 36,1% de
moins qu'en 1979 et ceux du secteur privé en gagnent 33% de moins.
Le salaire minimum net est passé
de 5.400 LT à 149.750 LT en 10 ans soit une augmentation de 28 fois.
Chômage:
Le nombre des chômeurs est passé
de 1,7 million en 1979 à 3 millions en 1990.
Répartition des revenus:
La distribution des revenus est
devenues moins équitable en conséquence du déclin des salaires réels.
Selon un sondage de l'Institut d'Etat de Statistiques (DIE), en 1987,
76% du revenu national allait à 40% des familles, les 24% restants se
partageaient entre les 60% restants des familles.
Budget:
Le déficit budgétaire turc
s'accroît d'année en années, de telle sorte que les prévisions ne sont
jamais atteintes. Ainsi, en 1979, le déficit budgétaire était évalué à
60 milliards de LT, en 1989, selon des chiffres officieux, il a atteint
7 billions de LT. La proportion des taxes indirectes dans les chiffres
totaux indique qu'une augmentation d'inégalité sur le plan des taxes.
Croissance:
L'économie a chuté en 79-80 avec
une baisse au produit national brut de 0,4% en 1979 et de 1,1% en
1980. Le taux de croissance annuel varie de 3 à 5,9% entre 1981 et 1985
pour augmenter en 1986: 8,1% et 1987: 7,4%. Ce taux se montait à
5,2% en 1988 et était estimé à 1,1% dans les premiers mois de 1989.
Balance des paiements:
Les mesures du 24 janvier prises
dans le but d'augmenter les exportations ont été effectives; les
exportations ont rapidement augmenté en 1980 et en 1981. Cependant, le
déficit du commerce extérieur n'a pas été comblé à cause de
l'augmentation rapide des importations. Le déficit commercial extérieur
qui se montait à 5 milliards de dollars en 1980, a atteint, pour la
première fois, 3 milliards de dollars en 1988.
Balance des comptes courants:
Suite au déficit du commerce
extérieur, la balance des comptes courants a grimpé jusqu'à 3,2
milliards de dollars en 1980 pour, ensuite, être déficitaire jusqu'en
1988. En 1988, elle bénéficiait d'un surplus de 1,5 milliard et dans
les 10 premiers mois de 1989, ce dernier se montait à 747 millions de
dollars.
Crédits, prêts:
A la mi-1981, les taux d'intérêt
ont été libérés. Cette compétition entre les banques à mener certaines
à patauger et d'autres à la banqueroute. Les banquiers privés qui ont
géré des opérations libres ou des restrictions légales ont causé les
chaos. les règlements ont été changées depuis. Maintenant, bien que les
banques peuvent décider de leur taux d'intérêt, elles ne peuvent pas
les appliquer sans l'approbation de la Banque Centrale.
Capitaux étrangers:
Les investissements étrangers en
Turquie se montaient à 228 millions de dollars en 1979. Dès la mise en
application des mesures du 24 janvier qui autorisaient l'utilisation
des dettes non commerciales non garanties ainsi que des comptes de
devises convertibles comme l'investissement étranger, les dettes ont
été remboursées accélérant ainsi l'entrée de capitaux étrangers. Depuis
1980, 4.633 milliards de LT ont été investis en Turquie sous forme de
capitaux étrangers.
Dettes extérieures:
La dette extérieure qui se
montait à 13,6 millions de dollars en 1979 est passée à 38,3 milliards
de dollars en 1987. Elle a diminué jusqu'à 36,3 milliards de dollars en
septembre 1989.
Le commentaire de la Commission européenne sur la situation économique
et sociale en Turquie
La situation économique et
sociale en Turquie a fait également l'objet d'une étude détaillée par
la Commission des Communautés Européennes. C'est sur base de ce rapport
que la Commission a décidé, le 17 décembre 1989, d'avertir les
gouvernements des Etats membres de ne pas entamer de négociations avec
la Turquie sur son adhésion à la Communauté. Ce rapport de 127 pages,
intitulé l'Economie Turque: Structures et Développements, a été rédigé
par le Groupe de travail interdépartementale sur la Turquie , suite à
ses missions en Turquie de 1988 et 1989. Ci-dessous, nous reproduisons
le chapitre final du rapport intitulé: Défi Principal pour le Futur:
"En introduisant sa demande
d'adhésion à la Communauté européenne, la Turquie lance un défi de
taille considérable.
"Pour la Communauté, la Turquie
serait l'Etat membre le plus étendu en superficie et, plus important,
au début du siècle suivant, de loin le plus grand par la taille de sa
population. D'autre part, le niveau actuel de son développement
économique se situe quelque part derrière celui des Etats membres qui
ont rejoint la Communauté le plus récemment.
"Il existe plusieurs défis pour
les politiques économique et sociale turques.
"Adhérer à la Communauté implique
la transformation de l'économie turque en une économie d marché ouverte
et moderne. A cet égard, les événements vécus au cours de cette
décennie sont encourageants en ce qui concerne quelques aspects
fondamentaux. Depuis 1980, la stratégie de la politique économique a
été clairement orientée dans cette direction. L'économie a été
libéralisée de façon significative tant sur le plan intérieur que
vis-à-vis de l'extérieur. Elle a également prouvé sa capacité de
répondre à ces changements ainsi qu'en témoigne un taux de croissance
agrégé rapide et, davantage encore, un accroissement spectaculaire des
exportations de produits industriels. Bien qu'il reste beaucoup à
faire, la volonté politique d'avancer dans cette direction semble
exister.
"Il faut souligner cependant, que
ce processus de libération économique dans l'optique d'un renforcement
de la compétivité de l'industrie turque, est encore loin d'être complet
selon les normes en cours dans la communauté européenne. Les taxes à
l'importation, combinant droits de douane et différents types de taxes
spéciales sont très élevées et ont encore augmenté depuis 1980,
compensant dans une certaine mesure les effets de l'élimination des
restrictions quantitatives. Le processus de privatisation des
Entreprises Economiques d'Etat a seulement commencé et progresse très
lentement. Les distorsions dues au système complexe des subventions à
l'exportation et autres stimulants fiscaux sont nombreuses; elles ont
une importance significative.
"Plusieurs d'entre elles seraient
sans doute incompatibles avec la législation communautaire. Elles le
sont déjà d'ailleurs avec le protocole additionnel à l'Accord
d'Association.
"L'équilibre macro-économique est
loin d'être atteint. Tandis que la croissance économique rapide a
freiné l'augmentation du chômage, aggravé par l'accroissement
démographique élevé et que la Communauté n'a pu alléger en raison du
peu d'emplois disponibles, des déséquilibres financier et monétaire
graves subsistent.
"Au cours des deux dernières
années le taux d'inflation s'est de nouveau accéléré pour atteindre
environ 75%, stimulé par un nouvel accroissement des déficits des
autorités publiques et par l'expansion monétaire concomitante. Le taux
de change a été géré jusqu'en 1988 de manière à assurer une
amélioration réelle de la compétivité. Ceci est compréhensible compte
tenu de la situation précaire de la dette extérieure turque. Cependant
cela signifie également que la politique monétaire ne dispose que d'une
faible marge d'action pour lutter contre l'inflation. Bien que des
mesures monétaires et budgétaires restrictives aient été prises en
1988, une thérapie fondamentale de stabilisation doit encore être
élaborée et mise en œuvre.
"D'autre part, selon les
statistiques disponibles, la balance courante de la balance des
paiements s'est considérablement améliorée en 1988: pour la première
fois depuis plusieurs années, elle a enregistré u solde positif. Ceci
favorise évidemment une réduction progressive de la lourde dette
extérieure.
"Un processus de croissance
économique soutenue à long terme requiert également de lourds
investissements non seulement dans le domaine de la recherche et de la
technologie, mais également en capital humain et physique de manière à
assurer une convergence progressive vers le niveau de développement
moyen de la Communauté. L'investissement dans l'éducation est
finalement le plus fondamental pour des raisons à la fois économiques
et sociales. A cet égard, la Turquie connaît d'énormes besoins.
"Les politiques sociale et de
l'emploi sont encore, à de nombreux égards, très peu développées en
Turquie, par rapport à la situation observée dans la Communauté, même
dans les Etats qui en sont devenus membres au cours des dernières
années. Ceci est le cas notamment de l'organisation du marché de
travail, du système éducatif et des prestations de la sécurité sociale.
Par ailleurs, il apparaît nécessaire qu'une économie en voie de
développement n'ait pas à supporter précipitamment des coûts de
sécurité sociale excessifs. Il y a ici, par conséquent, une tâche
délicate de programmation à moyen ou à long terme pour préparer de
façon équilibrée des progrès dans les domaines de la politique sociale
et de l'emploi, sans toutefois gêner la restauration d'une position
extérieure saine ou créer de nouveaux déséquilibres sur le propre
marché de l'emploi de la Turquie.
"Enfin, il convient de ne pas
perdre de vue que la demande d'adhésion de la Turquie est adressée à
une Communauté Européenne, qui évolue elle-même à un rythme
significatif en matière économique, politique et institutionnelle. En
ce qui concerne les politiques économiques de la Communauté européenne,
celles-ci concernent principalement le programme 1992 de libéralisation
complète des marchés des biens, des services, des capitaux et du
travail, ainsi que certains développements politiques majeurs qui y
sont associés, par exemple dans le domaine des fonds structurels, de la
dimension sociale et de l'intégration monétaire.
"De manière générale ces
développements relèvent le niveau d'ambition des ajustements auxquels
la Turquie devra faire face.
"En ce qui concerne le programme
1992 pour l'achèvement du marché intérieur, il est sans doute possible
pour la Turquie de s'engager de manière autonome dans l'ajustement de
ses politiques intérieures en harmonie avec ces nouvelles mesures de la
Communauté. Il existe des indications selon lesquelles le gouvernement
turc envisage un tel processus parallèle à 1992. Une telle approche
présente des avantages évidents aussi bien en termes d'efficacité des
politiques micro-économiques qu'en termes de préparation politique en
relation avec la Communauté.
"En ce qui concerne les fonds
structurels, la Turquie observe l'importance de l'effort que la
Communauté a consenti en 1988 en faveur de ses nouveaux Etats-membres;
elle présume sans doute qu'elle recevrait un traitement comparable en
tant que membre de plein droit de la Communauté. Une telle hypothèse
pourrait entraîner des changements considérables dans la position
relative des autres pays-membres vis-à-vis de ces fonds.
"En ce qui concerne la dimension
sociale du marché intérieur il est probable qu'elle constituera un
facteur plus important à l'égard de la demande turque que dans le cas
de tous les autres élargissements antérieurs. A cela il y a une double
raison: la dimension sociale de la Communauté prendra un profil plus
marqué, alors que la situation initiale de la politique sociale turque
est moins avancée que celle des pays-membres actuels. La Communauté
adoptera sans doute à l'avenir des normes minimales de politique
sociale qui n'entraînent pas au départ de contraintes réelles à l'égard
des Etats-membres existants, mais qui le feraient certainement à
l'égard de la Turquie.
"Par analogie, les travaux en
cours pour l'union économique et monétaire, auront comme conséquence
que dans ce domaine également la Communauté pourrait devenir beaucoup
plus ambitieuse en ce qui concerne les ormes de stabilisation monétaire
attendues de nouveaux Etats-membres.
Ressources humaines et marché du
travail
"Lors de sa constitution par
Mustafa Kemal (Atatürk), en 1923, la République de la Turquie comptait
10 millions d'habitants. En 1985, ce chiffre était de 50 millions et on
s'attend à ce que la population turque atteigne plus de 70 millions en
l'an 2000. Cette évolution démographique contraste avec celle de la
Communauté dont la population passerait de 322 millions en 1985 à 330
millions seulement en l'an 2000.
"Au cours des dernières années
(1980-85), la population turque s'est accrue de 2,5% par an en moyenne
(contre 0,25% dans la Communauté). Ce taux se décompose en un taux de
natalité de 3,2% et un taux de mortalité de 0,7% (les chiffres de la
Communauté sont de 1,25% et de 1% respectivement).
"Il faut s'attendre à ce que ce
taux de croissance de 2,5% par an se maintienne jusqu'à la fin du
siècle. En effet, si le taux de fertilité (nombre d'enfants par femme
en âge fertile) est en baisse (encore 3,9% en Turquie contre 1,7%
dans la Communauté en 1985), à cause notamment de la part de plus en
plus grande de la population urbanisée, le taux de mortalité et
notamment de la mortalité infantile (encore 8% en Turquie contre 1,7%
dans la Communauté en 1985), devrait également régresser. Ceci
implique, qu'il n'y aurait pas de baisse significative dans la
croissance démographique avant la fin du siècle. Le VIème plan
quinquennal prévoit une croissance démographique de 2,16% par an durant
la période 1990-1995, la mortalité infantile tomberait à 5%). Si
au-delà de l'an 2000, la croissance démographique se poursuivait au
rythme de 2,0% par an, la population turque pourrait atteindre 100
millions en l'an 2020.
"Il résulte de ce qui précède que
près de 40% de la population turque est âgée de moins de 15 ans (60%
moins de 20 ans) contre 20% dans la Communauté. A l'inverse, moins de
5% de la population est âgée de 65 ans ou plus contre 13% dans la
Communauté. Les pyramides démographiques de la Turquie et de la
Communauté sont totalement différentes et le resteront sans doute
encore longtemps.
"La Turquie compte 62 habitants
au km2, la Communauté 143 (75 en Grèce et en Espagne et 110 au
Portugal), la densité étant très faible dans les provinces orientales.
"Plus de la moitié de la
population vit dans des villes de 10.000 habitants ou plus (moins de
25% en 1950). Près de 15 millions (c'est-à-dire 30%, comme dans la
Communauté) habitent dans des agglomérations de plus d'un million
d'habitants, dont les plus importants sont:
Istanbul: 5,9
millions
Ankara: 3,5
millions
Izmir:
2,3 millions
"La partie européenne de la
Turquie compte environ 7 millions d'habitants, alors qu'elle ne
représente qu'un trentième de la superficie de la Turquie. C'est aussi
la partie de la Turquie où, avec la côte ouest, la densité de la
population est la plus élevée.
"En avril 1988, environ 2,4
millions de personnes de nationalité turque vivaient à l'étranger (dont
plus d'un million de travailleurs). Ils sont principalement établis en
République fédérale d'Allemagne (1,5 millions dont 0,6 million de
travailleurs). Leurs envois de fonds constituent, avec les recettes
provenant des activités touristiques, une source importante de rentrées
de devises pour couvrir le déficit commercial de la Turquie.
"Après avoir connu plus de
100.000 départs annuels de travailleurs (136.000 en 1973),
essentiellement vers l'Europe, l'émigration s'est pratiquement arrêtée
au milieu des années 1970. Au début des années 1980 et grâce à des
mesures incitatrices prises par certains gouvernements des pays de
l'Europe Occidentale de nombreuses familles turques émigrées sont même
retournées au pays (entre 1979 et 1987 plus de 1,3 million de personnes
de nationalité turque sont rentrées en Turquie en provenance de la
seule République Fédérale d'Allemagne). Ces dernières années on
enregistre une légère reprise de l'émigration (plus de 40.000 en 1987)
principalement à destination des pays arabes (Arabie Saoudite, Lybie,
Iraq). Cette nouvelle émigration est beaucoup plus temporaire que la
précédente. Les travailleurs, en grande majorité qualifiés et
spécialisés, ne sont pas accompagnés de leur famille.
"Au cours des dernières années un
nombre important d'Iraniens (probablement plus d'un million) ont trouvé
refuge temporaire en Turquie dans l'espoir d'obtenir un visa pour les
Etats-Unis ou un pays d'Europe Occidentale. Ils habitent certains
quartiers d'Istanbul, d'Ankara et d'Izmir. Un grand nombre d'entre eux
vivent en marge de la société. D'autres ont crée des affaires
prospères. Dans le courant de 1989 un nombre important des Bulgares
d'origine turque (estimé à 300.000) ont émigré en Turquie.
Emploi et chômage
"Sur une population de 32,4
millions en âge de travailler (chiffre de 1987) près de 16 millions
sont occupés dans les diverses branches de l'économie turque et 2,9
millions sont au chômage, tandis que 750.000 personnes sont enrôlées
dans l'armée ou la gendarmerie. Les chiffres correspondants pour la
Communauté sont de 220,4; 123,1; 15,7; 2,9 millions.
"Plus de la moitié de la
population active turque est encore occupée dans l'agriculture (contre
8% seulement dans la Communauté), mais l'intense industrialisation du
pays modifie ces données à une allure rapide de sorte qu'en l'an 2000
cette part descendrait à un tiers. A une légère baisse de l'emploi dans
l'agriculture correspond une croissance rapide dans l'industrie et les
services (de l'ordre de 5% ces dernières années), alors que dans la
Communauté seul le secteur des services crée encore des emplois.
"Depuis 1980 la population en âge
actif a cru de 2,8% par an en Turquie (1% dans la Communauté), ce qui
nécessite une croissance économique rapide, de l'ordre de 7%) si l'on
veut empêcher que le taux de chômage n'augmente de façon dramatique.
"De 1980 à 1987 le nombre de
personnes occupées a augmenté de 1,4% par an, soit exactement la moitié
de l'accroissement de personnes en âge de travailler. On observe
d'ailleurs en Turquie une baisse dans le taux de participation de 63%
en 1980 à 58% en 1987 du fait sans doute du découragement des personnes
à la recherche d'un emploi devant le peu de débouchés offerts comparé
aux demandes d'emploi, alors que dans la Communauté ce taux est en
légère augmentation.
"Il est difficile de comparer des
taux de chômage d'un pays à l'autre à cause des problèmes de
définition. Dans le cas de la Turquie, il s'agit du nombre de chômeurs
inscrits aux services de l'emploi, mais compte tenu du fait qu'il n'y
existe pas de système d'allocations de chômage, l'enregistrement n'est
pas obligatoire, ce taux était de 6% fin 1988. Il apparaît cependant
que le taux de chômage estimé est supérieur en 1988 à celui de la
Communauté: 15,3% (ou de 12,5% ou 9,8%) selon les statistiques turques
et 15,9% selon celles de l'OCDE, avec une tendance observée à la hausse.
Système éducatif et formation
professionnelle
"Le système d'enseignement turc
comprend actuellement quatre étapes:
"- l'enseignement primaire
obligatoire (de 7 à 11 ans);
"- trois années d'enseignement
secondaire (12 à 14 ans);
"- trois à quatre années de lycée
(générale ou professionnel) - (15-17/18 ans);
"- deux à six années d'université
(ou assimilées).
"Si l'enseignement a une durée
obligatoire de 4 ans en Turquie, celle-ci varie de 9 à 12 ans selon les
systèmes éducatifs des différents Etats membres de la Communauté.
"L'enseignement, en Turquie, est
organisé par l'Etat et est gratuit. Il existe, cependant, quelques
lycées privés.
"Durant l'année scolaire 1987/88,
la quasi-totalité (98%) des enfants concernés (6,8%) suivaient
l'enseignement primaire, environ 57% (soit 2,1 millions) de 12 à 14 ans
l'enseignement secondaire et 34% (soit 1,2 million) l'enseignement de
lycée ou son équivalent. Un peu plus de 11% des adultes (soit 481.000)
suivaient l'enseignement universitaire. Environ 60% des enfants qui
terminent l'enseignement primaire entrent dans le secondaire et 75% de
ceux-ci au lycée ou son équivalent. Par contre, un quart seulement des
diplômés des lycées peuvent suivre l'enseignement supérieur.
"Il est extrêmement difficile de
comparer les taux de scolarisation entre pays. Il apparaît, toutefois,
que la Turquie accuse un certain retard par rapport aux pays de la
Communauté tant au niveau de l'enseignement secondaire qu'à celui de
l'enseignement universitaire.
"Le taux d'analphabétisme en
Turquie est estimé à 34,4% (chiffre de 1980), à comparer aux 20,6% du
Portugal (1981), 9,5% de la Grèce (1981) et 7,1% de l'Espagne (1981).
"Pour garantir son développement
économique par une rapide industrialisation, la Turquie a un besoin
croissant de main-d'œuvre qualifiée. Une attention particulière est dès
lors de plus en plus accordée à l'enseignement technique et à la
formation professionnelle continue. Des enseignants sont formés afin
que pourcentage des enfants qui suivent l'enseignement technique
puisse passer de 15% à l'heure actuelle à 22% en 1991. Des moyens
budgétaires sont mis à disposition à cet effet. Environ 1 million de
personnes suivent chaque année des cours de formation professionnelle
en dehors du système l'enseignement classique.
"Les universités ne disposent ni
de bâtiments ni de professeurs en nombre suffisant pour permettre à
tous ceux qui le souhaitent de suivre les cours. Aussi un examen
général d'entrée est organisé chaque année qui permet d'établir un
classement de tous les candidats. Les mieux placés peuvent choisir la
faculté, les moins biens classés se voient obligés d'accepter les
facultés où il reste des places disponibles. Seulement la moitié des
candidats obtient ainsi une place. Ceux qui ne réussissent pas peuvent
suivre les cours par télévision et présenter les examens.
Marché de travail et droits
syndicaux
"A l'exception des
fonctionnaires, des militaires, des enseignants privés et des
apprentis, les travailleurs turcs peuvent faire partie d'une
organisation syndicale. Sur un total de 3,4 millions de travailleurs
sous contrat de travail, environs 2 millions ou 63% font ainsi partie
d'un syndicat (début 1988). Il existe trois confédérations syndicales
en Turquie, dont le TÜRK-IS avec 1,8 million de membres, est la plus
grande.
"On devient membre d'un syndicat
par acte notarié de sorte qu'il ne peut y avoir de discussion sur le
nombre d'adhérents. En effet, pur être représentatif un syndicat doit
remplir deux conditions: représenter au moins 10% des travailleurs dans
une branche industrielle, au niveau du pays, et au moins 50% des
travailleurs occupés dans l'entreprise. Cette double exigence imposée
par la loi est contestée au sein du BIT (Bureau International du
Travail) à Genève.
"Des contrats collectifs sont
conclus, soit au niveau de l'entreprise, soit, à défaut, au niveau de
la branche industrielle (privée ou publique). Ces contrats, conclus en
principe pour deux ans concernent principalement l'évolution des
salaires (avec, de plus en plus, une clause d'adaptation semestrielle à
l'inflation), les conditions de travail et les avantages
extra-salariaux. Ceux-ci sont très importants en Turquie. Ils
représentent en général 150% du salaire à proprement parler
(contribution à la sécurité sociale, congés payés, primes divers pour
chauffage, habillement, nourriture, etc…). En 1987, quelques 2.343
contrats collectifs ont été conclus couvrant près d'un million de
travailleurs (1,6 million en 1988). L'objectif principal de ces
contrats collectifs est de maintenir le pouvoir d'achat des
travailleurs (compensation pour inflation). Les augmentations des
salaires réels dépendent souvent de l'accroissement de la productivité
du travail dans les entreprises et dans les secteurs.
"Il est légalement interdit de
faire la grève (ou d'effectuer des lock-outs) dans des secteurs
considérés comme vitaux pour l'économie du pays (eau, gaz, électricité,
pétrole, pétro-chimie, transports publics, pompiers, pompes funèbres,
hôpitaux, écoles, banques et services notariés). Ces secteurs couvrent
environ 10% des travailleurs syndiqués. Il existe également une
interdiction de grève pendant 10 ans dans les zones franches dès leur
constitution.
"Si une grève légale est
considérée comme dangereuse pour la santé publique ou la sécurité
nationale, un décret ministériel peut la suspendre pour 60 jours. A
défaut de solution durant cette période, le Conseil Supérieur
d'Arbitrage peut intervenir pour négocier ou imposer un accord, ce qui
fut le cas pour 282 accords couvrant 46.241 ouvriers durant la période
1984-87. Ce point est également contesté par le B.I.T. E 1988, on a
enregistré néanmoins quelque 2 millions de jours ouvrables perdus à
cause des grèves.
"La durée maximale de travail en
Turquie est de 45 heures par semaine. La loi prévoit l'égalité des
salaires entre hommes et femmes. Elle définit un salaire minimal à
l'embauche (250.000 LT ou environ 105$ par mois au 1.8.1989, auxquels
s'ajoutent des avantages extra-salariaux).
"Elle prescrit également des
compensations en cas de licenciement: par année de service il y a un
préavis de 15 jours et une indemnité de 30 jours de salaire (y compris
les avantages extra-salariaux, le tout exempt d'impôt). Des systèmes
plus avantageux peuvent être négociés dans les contrats collectifs, où
est généralement agrée le principe que le dernier embauché est le
premier licencié (last in, first out).
"La Constitution turque garantit
les droits syndicaux, la liberté de négocier des conventions
collectives et le droit de grève. Toutefois, les limites imposées par
la Constitution elles-même, les lois d'application et la pratique dans
la mise en œuvre vident dans une large mesure ces droits de leur
substance. Aussi la part des travailleurs turcs qui sont en mesure de
négocier des conventions collectives ou de faire grève est de facto
très réduite.
"Il convient de souligner par
ailleurs qu'en Turquie le travail d'enfant est autorisé légalement à
partir de l'âge de douze ans et que les femmes ne peuvent souscrire un
contrat de travail qu'avec l'autorisation de leur époux. La situation
de la femme turque sur le marché de travail semble généralement
difficile. Sur un total de 6,4 millions d'employés on n'enregistrait en
1985 que 950.000 femmes, soit 15%.
Evolution des revenus réels
"Durant la période 1980-88, le
PNB et la consommation privée intérieure se sont accrus en volume de
5,4% par an alors que la population augmentait de près de 2,5% par an.
"La consommation privée par
habitant a donc augmenté de 3,1% par an, quoique les salaires réels
soient pratiquement restés à leurs niveaux de 1980 (après une chute de
40% de 1978 à 1980 due à la brusque augmentation de l'inflation). Les
revenus réels dans l'agriculture n'ont pas augmenté non plus. Il en
résulte donc que l'accroissement du revenu disponible a bénéficié
principalement à la rémunération du capital et de l'entrepreneur. La
part des agriculteurs et des salariés dans le PNB aurait diminué de
plus de 60% de la fin des années 1970 à 30% environ en 1988. Cette
évolution a sans aucun doute accentué encore la très forte inégalité
dans la distribution des revenus.
"Les coûts salariaux réels
annuels ont baissé près de 50% en Turquie durant la période 1979-85,
alors qu'ils n'ont que légèrement diminué dans la Communauté (3,5%).
"Comparé à la Communauté, le coût
salarial horaire dans l'industrie manufacturière turque serait de
l'ordre de 13% de celui de la Communauté (de 11% dans le secteur du
tabac à 18% dans le secteur des boissons).
"A cause de la pression
démographique, de l'existence d'un taux de chômage relativement élevé,
de la difficulté de trouver du travail à l'étranger et de l'absence
d'un système d'allocations de chômage en Turquie, l'offre de
main-d'œuvre dépasse de loin la demande, en forte progression
d'ailleurs. Il en résulte une pression à la baisse dans la formation
des salaires même pour les secteurs où des contrats collectifs peuvent
être conclus.
Sécurité sociale
"Le système de sécurité sociale
n'est pas très développé en Turquie. Il n'y a pas d'allocations de
chômage ni d'allocations pour enfants à charge. La moitié seulement de
la population est couverte contre les risques de maladie et d'accidents
du travail et pour une pension.
"Il existe trois types
d'institutions de sécurité sociale en Turquie:
"- la Caisse de Retraite des
fonctionnaires de l'Etat (et des municipalités), qui paie les pensions
de retraite, de survie etc… aux employés de l'Etat, qui doivent
contribuer eux aussi au financement de la Caisse (1,5 million de
personnes couvertes);
"- l'Institut d'Assurance Sociale
pour les personnes liées par un contrat de travail à un ou plusieurs
employeurs qui couvre les travailleurs contre les risques d'accidents
et de maladie et attribue également les pensions de retraite et de
survie (3,7 millions de personnes couvertes);
"- le "Bag-Kur" (caisse de
sécurité sociale pour les indépendants —y compris les agriculteurs— qui
peuvent s'y affilier sur une base volontaire) (2 millions de personnes
couvertes); ainsi que des caisses privées de banques, de compagnie
d'assurance, de la bourse, etc. (25 au total, couvrant moins de 100.000
personnes).
"Toutes les caisses de sécurité
sociale sont alimentées par les contributions des employeurs (19,5 à
27% du salaire) et des employés (14%; 11% pour les fonctionnaires) avec
des minima et des maxima (assiettes de 126.000 et 640.000 LT par mois
en 1988). L'Etat n'accorde pas de subsides. Toutes fonctionnent suivant
la méthode de la capitalisation. Elles assurent également une
assistance sociale (prêts à la construction, prêts d'études, avances
extraordinaires, etc…).
"En Turquie, la pension est
acquise dès l'âge de 55 ans pour les hommes et 50 ans pour les femmes
et, en tout cas, après 25 ans de service et 5.000 jours de
contribution. Elle s'élève à 60% du salaire des cinq dernières années,
avec des minima et des maxima. Les institutions de la sécurité sociale
disposent de leurs propres hôpitaux qui procurent les services
gratuitement. Il existe également des cliniques privées.
"Il est dans l'intention du
gouvernement turc de promouvoir le système d'assurance privées afin de
couvrir 75% de la population pour la fin du VIème plan (1994) et
d'introduire rapidement un système d'allocations familiales, voire
d'allocations de chômage.
"Il existe en Turquie des offices
de placement pour les demandeurs d'emploi et diverses institutions
sociales pour l'enfance, les handicapés, les vieillards, les pauvres.
"L'absence d'un système de
sécurité sociale développé contribue au bas niveau du coût de la main
d'œuvre en Turquie où les salaires sont déjà fort bas par rapport à
ceux en vigueur dans les pays de la Communauté et y compris en Grèce et
au Portugal. L'avantage comparatif de la main d'œuvre bon marché de la
Turquie se verra sans doute imposer quelques limites dans l'optique
d'une éventuelle adhésion dans la mesure où la Communauté définira des
"socles" sociaux dans le cadre du grand marché intérieur."
La campagne d'AI contre la peine de mort en Turquie
Amnesty International a lancé une
campagne contre la peine de mort en Turquie. AI annonce que 415
personnes ont été exécutées en Turquie entre 1937 et 1984. Dans son
bulletin de Février 1990, AI demande qu'on écrive à Kaya Erdem,
président du Parlement Turc, et à Alparslan Pehlivanli, président du
Comité de Justice, pour demander que toutes les peines capitales
prononcées en Turquie, soient annulées. Ci-dessous figure le texte du
Rapport d'AI, intitulé: L'injustice mène à la potence.
"En Septembre 1989, Turgut Özal
déclarait, devant l'Assemblée Générale du Conseil de l'Europe à
Strasbourg, que la Turquie avait l'intention de réduire de moitié le
nombre des délits punissables de la peine de mort prévu par le Code
Pénal turc.
"La Turquie est le seul
Etat-membre du Conseil de l'Europe à avoir mener à bien des exécutions
capitales dans les années 1980. Après plus de cinq ans après que la
dernière exécution capitale soit intervenue, la peine de mort devrait
être aussi abolie juridiquement.
"Depuis des siècles, en Turquie,
la peine de mort à été l'ultime punition. A l'exception de brefs
moratoires, elle a été utilisée depuis la fondation de la République en
1923 jusqu'en 1984, année ù la dernière exécution a eu lieu. Entre 1937
et 1984, au moins 415 personnes ont été exécutées dont 14 étaient des
femmes.
"Dans l'histoire récente de la
Turquie, on note que les exécutions tendent à être consécutives aux
coups d'Etat militaires. Les dirigeants militaires ont tendance à
intimider leurs opposants en pendant leurs leaders. Ainsi, après le
coup d'Etat de 1960, le 1er ministre Adnan Menderes et deux de ses
ministres avaient été pendus. Après l'intervention militaire de 1971,
les leaders du mouvement radical des étudiants qui était apparu à la
fin des années '60, à savoir: Deniz Gezmis, Hüseyin Inan et Yusuf
Aslan, avaient également été exécutés par pendaison.
"Entre 1973 et 1980, il y a eu un
moratoire de facto: les tribunaux continuaient à prononcer des peines
capitales mais l'Assemblée Nationale Turquie (TBMM) ne les ratifiait
pas. Le moratoire a très vite été abandonné après le coup d'Etat du
12.9.80. Le 12 septembre, cinq généraux du Conseil National de Sécurité
prennent le pouvoir et soumettent le pays tout entier à la loi martiale.
"Le Coup d'Etat était consécutif
à la période de violence politique de la fin des années '70 au cours de
laquelle 5.000 personnes avaient été tuées. La plupart d'entre elles
étaient des membres des organisations politiques de gauche ou de droite
qui s'affrontaient dans des combats très violents. Les militants des
organisations de droite, les Loups Gris, déclaraient soutenir les
forces de sécurité de l'Etat. Pendant la période où les généraux
étaient au pouvoir, la peine de mort étaient prononcées non seulement
contre des militants de gauche ou de droite, mais également contre des
prisonniers de droit commun Entre octobre 1980 et octobre 1984, 50
personnes ont été exécutées dont 27 pur des crimes politiques et 23
pour des crimes de droit commun. Les deux dernières exécutions en
octobre 1984, ont été ratifiés sous un gouvernement civil.
"Près de 800 personnes ont été
condamnées à mort par des tribunaux militaires depuis l'introduction de
la loi martiale en décembre 1978 et des sentences capitales sont encore
prononcées par des cours civiles et militaires. Il n'y a plus eu
d'exécution depuis octobre 1984, mais le nombre de personnes passibles
d'être exécutées et ayant épuisé toutes les voies de recours internes
s'élevait à 249 en novembre 1989. Il suffit que ces sentences soient
ratifiées par la TBMM et par le Président pur qu'elles oient exécutées
à n'importe quel moment.
"En Turquie, la peine de mort
frappe les prisonniers politiques de manière disproportionnée. La
plupart des 800 personnes condamnées à la peine capitale l'ont été pour
des raisons politiques. La majorité d'entre elles ont été condamnées à
mort par des cours militaires et dénoncent le caractère arbitraire de
leur procès. La juridiction des cours militaires s'étend aux civils si
leurs crimes ont mené à "l'instauration de la loi martiale". Certains
de ces procès continuent malgré le fait que la loi martiale ont été
levée depuis juillet 1987.
"Les procès devant les tribunaux
militaires ne sont pas conformes aux standards reconnus
internationalement pour qu'un procès soit équitable sur au moins quatre
plans:
"o Les cours militaires ne sont
pas indépendantes du Pouvoir Exécutif aussi bien au plan juridique que
dans la pratique.
"o Les Cours militaires ont, à
plusieurs reprises, négligé d'enquêter sur les allégations attestant
que les documents produits devant elles et prouvant la culpabilité du
défendeur ont été obtenus sous la torture.
"o Les droits des prisonniers à
bénéficier d'une défense ont été restreints. Beaucoup n'ont pas eu le
temps et les facilités requises pour préparer leur défense: certains
n'ont pas eu le droit de s'entretenir en privé avec leur avocat et ont
été condamnés à mort in absentia.
"o Les avocats chargés de la
défense des prisonniers politiques sont continuellement importunés. AI
connait de nombreux cas de prisonniers politiques ayant été condamnés à
mort sans avoir bénéficié d'une représentation légale appropriée ainsi
que certains cas de défendeurs n'ayant pas eu d'avocat du tout.
"Les preuves qui ont été obtenues
sous la torture sont régulièrement produites afin de prouver la
culpabilité des prisonniers politiques lors de leur procès et ce, en
violation de l'article 15 de la Convention de NU contre la torture à
laquelle la Turquie est partie depuis août 1988. Cet article stipule
que les déclarations obtenues sous la tortures ne peuvent pas être
utilisées comme preuve contre le défendeur, devant un
tribunal."
La torture en Turquie: la réponse du système légal
Le 8 décembre 1989, le Barreau de
New York a publié simultanément à Istanbul et à New York, un rapport
intitulé: Torture en Turquie: la réponse du système légal. Il a été
rédigé par quatre juristes qui formaient la délégation de son Comité
International des Droits de l'Homme qui a visité la Turquie du 28 mai
au 8 juin 1989. La délégation a conclu que malgré la ratification par
la Turquie de la Conventions des Nations Unies contre la Torture et
malgré l'interdiction en Droit Turc, la torture est couramment
pratiquée dans les stations de police turques et que la réponse du
système légal turc à cet état des choses est un échec total.
La délégation a également estimé
que les rapports annuels du Département d'Etat américain sur les Droits
de l'Homme en Turquie sont dépassés et inadéquats. Le Département
d'Etat ainsi que l'Ambassade des USA en Turquie n'ont pas réussi à
faire suspecter la résolution du congrès contre la torture car ils
n'ont pas pris en compte les actions intentées au sujet de telles
pratiques.
La délégation a poursuivi en
estimant que, en tolérant l'existence de pratiques de tortures dans les
stations de police, le gouvernement turc s'engageait "dans une
violation flagrante et importante de droits de l'homme
internationallement reconnus" et que le Congrès devrait invoquer la
section 502B du "Foreign Assistance Act". Ce dernier permet au
Secrétaire d'Etat d'obtenir toute information utile sur les droits de
l'homme en Turquie, fait état des mesures prises par les EU pour
promouvoir les droits de l'homme en Turquie et fait état que, bien que
notant les violations dont ces droits font l'objet, il existe des
circonstances extraordinaires qui nécessitent une assistance
continuelle à la Turquie sur le plan de la sécurité.
Selon ce rapport, la torture est
possible car les prisonniers sont maintenus "incommunicado" en
détention par la police pendant une période allant jusqu'à 15 jours
(cela peut atteindre 30 jours dans certaines provinces du sud qui sont
toujours en état d'urgence) avant d'être finalement menés devant un
procureur qui décidera de retenir ou non de charges criminelles contre
eux.
Lorsque les prisonniers sont
détenus "incommunicado", il leur est impossible de dénoncer les
tortures qui leur sont infligées lors de leur détention. Ils n'ont pas
le droit d'intenter une procédure d'habeas corpus et ne peuvent voir ni
leur avocat, ni leur médecin, ni leur famille, ni le procureur. La
détention "incommunicado" protège les bourreaux des accusations du
monde extérieur.
Les méthodes de torture utilisées
par les force de sûreté turques tendent à minimiser le plus possible
les risques de détection. Parmi elles, on retrouve: la "falaka" (coups
administrés sur la plante des pieds), la pendaison palestinienne
(pendaison de la victime par les poignets avec les mains liées dans son
dos), électro-chocs, arrosage avec de l'eau glacée sous pression.
Une des anciennes prisonnières
interrogées à Istanbul a décrit une scène au cours de laquelle elle a
vu qu'on infligeait des électro-chocs à un de ses amis en même temps
qu'on l'arrosait. Elle a poursuivit en ces termes: "Elle tremblait
tellement qu'elle ne tenait plus debout. Lorsque les policiers se sont
rendus compte qu'elle les regardait, ils l'ont battue. Elle a également
subi des électro-chocs. Elle a raconté aux quatre juristes: "Je pensais
que mon corps brûlait. Mes battements de cœur s'accéléraient, et je
tremblais. J'avais l'impression qu'on me coupait en morceaux". Elle a
subi ces chocs alors qu'elle était attachée en pendaison palestinienne
qu'elle décrit comme la plus pénible: "Je pensais que mes bras allaient
se casser".
La Délégation a découvert que
lorsqu'un prisonnier est libéré après avoir été détenu "incommunicado"
par la police, et qu'il est autorisé à porter plainte, il est souvent
impossible de retrouver les documents permettant de prouver qu'il y a
eu torture. Les traces physiques ont pu s'estomper et si elles sont
encore visibles, les médecins refusent très souvent d'en attester. Les
autorités turques se servent de ce manque de preuves comme excuse pour
ne pas enquêter au sujet des allégations de torture des détenus. Ces
derniers ainsi que leurs avocats sont ennuyés et harcelés lorsqu'ils
maintiennent leur plainte. Les Cours turques retiennent les confessions
obtenues sous la torture malgré l'interdiction contenue à l'article 14
de la Convention des Nations Unies contre la torture.
Dans les rares cas où une enquête
fait suite à une allégation de torture et même à des poursuites, cela
prend généralement des années pendant lesquelles le gouvernement
utilise tous les recours possibles pour exonérer les officiers de
police de leur responsabilité. Contrairement aux civils accusés
d'activités criminelles, les officiers de police ne sont pas détenus
pendant l'enquête et le procès et, en fait, ils sont souvent promus.
Malgré l'obligation de la Turquie en tant que signataire de la
Convention des Nations Unies contre la Torture d'infliger des peines
sévères aux bourreaux, ceux qui sont condamnés encourent des peines
minimes et sont souvent autorisés à reprendre leur poste, une
fois leur peine purgée.
La Turquie a échoué à satisfaire
ses obligations découlant de la Convention des NU contre la torture à
savoir à indemniser les victimes de la torture de façon adéquate et à
les réhabiliter. Elle a également failli à l'éducation des officiels du
régime, à la révision des pratiques de torture et à la prise de mesures
destinées à faire disparaître la torture.
L'Association du Barreau est une
organisation indépendante et non-gouvernementale, fondée en 1870 qui
regroupe 18.000 procureurs et juges venant de 40 pays. Elle a une
longue tradition des droits de l'homme. Depuis 1974, l'Association
envoie des missions d'enquête dans des pays de tous les bords
politiques en ce inclus: Cuba, l'Irlande du Nord, le Chili, la
Malaisie, Singapour et le Kenya.
La délégation a rédigé ses
conclusions après avoir visité Ankara, Diyarbakir et Istanbul et après
avoir rencontré plus de 100 personnes aux Etats-Unis et en Turquie.
Parmi elles, on retrouve des officiels du gouvernement turc (chefs de
forces de sécurité, juges militaires et civils, procureurs, un député
gouverneur régional extraordinaire, membres du Parlement), des anciens
prisonniers politiques et détenus, des médecins, des présidents et des
anciens présidents d'associations du barreau, des juristes et des
professeur de droit. La délégation a également assisté des
séances de tribunaux et a consulté des centaines de pages de documents
légaux.