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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


161

14e année - N°161
Mars  1990
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 
L'Intifada kurde dans l'Est
La révolte paysanne dans l'Ouest
Violence sur les campus universitaires

INSURRECTION POPULAIRE


        La terreur d'Etat incessant menée par Ankara dans le Kurdistan turc sous prétexte de faire la chasse aux guérillas du  parti ouvrier du Kurdistan (PKK) a provoqué une révolte populaire dans cette région. Récemment, deux villes kurdes, Nusaybin et Cizre ont été les scènes de violentes confrontations entre les forces de l'Etat et les kurdes. L'Intifada kurde s'est déclenché le 13 mars 199O, quand le gouverneur régional a annoncé que "17 séparatistes sont morts lors de deux affrontements armés avec les forces gouvernementales en Turquie orientale". Treize d'entre eux ont été tués dans le hameau de Grisera qui se trouve près du village de Serenli à Mardin tandis que les quatre autres ont été abattus près de la ville de Pazarcik.
        L'une des victimes, Kamuran Dündar, était le fils d'un membre du conseil local à Nusaybin. Il a été enterré très tôt, le 15 mars dernier, et ce, contrairement à la pratique islamique qui veut que les funérailles aient lieu à midi ou dans l'après-midi.
        Après la mise en terre, des groupes de sympathisants et de parents de Dündar ont affronté les forces de l'ordre dans la ville et leur ont jeté des pierres tout en scandant des slogans comme "A bas l'Etat turc!", "Vive le Kurdistan!" Les forces de sécurité ont riposté en tirant sur les foules. Afin de prévenir tout autre incident, un couvre-feu a été instauré dans la ville de Nusaybin.
        Ces mesures de répression ont, le 20 mars dernier, provoqué des manifestations parmi la population kurde ainsi qu'une échauffourée entre les habitants de Cizre et les forces de sécurité  qui ont tué et blessé de nombreuses personnes.
        Un porte-parole du PKK a déclaré lors d'une conférence de presse, qu'il a tenue à Bruxelles, que plus de vingt personnes ont été tuées pendant les conflits opposant les forces de sécurité aux populations rurales révoltées.
        Deux ans plus tôt, le 1er avril 1988, les forces de sécurité avaient abattu 20 membres présumés du PKK à Nusaybin. Les personnalités locales ont accusé l'Armée et la Police d'avoir tué de nombreux innocents sous prétexte de faire la chasse aux militants du PKK.
        Il y a quelques mois, le 19 septembre 1989, cinq cents habitants du village de Derebasi —qui se situe dans le district de Silopi dans la province de Mardin— ont manifesté pour dénoncer le meurtre de 17 Kurdes, en lançant des pierres sur le bureau du sous-préfet en criant: "Maudit soit l'Etat turc".
        Face à la résistance croissante de la population kurde, l'Armée turque a été incapable de restaurer l'autorité de l'Etat dans cette zone.
        A Bruxelles, le porte-parole du PKK a annoncé que les paysans kurdes ont adhéré en masse aux forces de la guérilla et ont formé "des comités populaires" dans les villes et les villages. Il a poursuivi en déclarant: "L'Etat turc ne peut plus exercer son autorité sur le Kurdistan. Le peuple kurde est en train de réaliser son autonomie. Il s'agit de l'Intifada des Kurdes".

Terreur intégriste

UN JOURNALISTE
ASSASSINÉ
A ISTANBUL

        Cinq semaines après l'assassinat du professeur Muammer Aksoy en février dernier, une autre figure de la vie publique a été victime de l'escalade du terrorisme en Turquie. Le 7 mars dernier, Cetin Emec, âgé de 55 ans, journaliste et ancien rédacteur en chef du quotidien Hürriyet, a été abattu par des inconnus alors qu'il quittait son domicile, situé dans la partie asiatique d'Istanbul, pour se rendre à son bureau.
        Alors que son chauffeur se dirigeait vers la voiture, un autre véhicule s'est arrêté à 10 mètres et deux hommes masqués ont criblé de balles la voiture d'Emec. Ils ont utilisé des armes automatiques et des silencieux. Lorsque les assassins ont vu que le chauffeur d'Emec, Ali Sinan Ercan, s'enfuiyait, ils lui ont également tiré dessus. Selon des témoins, il y avait deux autres personnes dans la voiture des tueurs. Après l'attaque, ils se sont tous les quatre enfuis dans leur voiture.
        Des inconnus ont appelé les bureaux de plusieurs journaux et ont revendiqué l'attentat au nom de l'Association de Commando Turque Islamique, jusqu'alors inconnue. Ils ont déclaré "nous avons tué Cetin Emec pour punir les ennemis de l'Islam".
        Dans son dernier article paru dans le quotidien Hürriyet, Emec s'était alarmé de la montée du terrorisme en Turquie et avait insisté sur la position précaire de la Turquie au Moyen-Orient. Ils estimaient que ses voisins —la Syrie, l'Irak et l'Iran— sont connus pour encourager le terrorisme à l'échelle internationale. Emec y critiquait l'inertie du gouvernement qui n'adopte aucune mesure à l'égard de la Syrie et demandait un soutien moral à l'Armée turque.
        Après l'assassinat d'Emec, des centaines de journalistes ont manifesté à Istanbul et à Ankara où ils ont marché sur le Parlement, le 8 mars dernier, et ont remis une déclaration au président de l'Assemblée, demandant des mesures urgentes et vigoureuses afin de prévenir le terrorisme. Cette déclaration, signée par des associations et des syndicats de journalistes et par des journaux disaient en substance: "Ces attentats ont pour but de détruire la démocratie en Turquie. La presse turque souligne que la Turquie devrait toujours avoir des règles démocratiques avec le Parlement turc comme organe clef. Nous considérons qu'il est nécessaire d'en appeler au Parlement, seul et unique organe représentatif de la nation et de lui demander de faire cesser l'escalade du terrorisme ainsi que de découvrir ceux qui se cachent derrière lui".
        Par ailleurs, le Président de l'Assemblée Nationale, Kaya Erdem a appelé le 12 mars dernier le premier ministre Yildirim Akbulut et les deux leaders des parties de l'opposition, Erdal Inönü (SHP) et Süleyman Demirel (DYP) pour discuter des moyens dont dispose la Turquie pour combattre le terrorisme.
        Les deux leaders de l'opposition ont offert leur soutien au gouvernement pour l'adoption des mesures nécessaires à la cessation de la violence. Cependant, Inönü et Demirel ont estimé que des élections législatives anticipées - jusqu'à présent, prévues pour 1992 - renouveleraient le régime et permettraient de lutter de manière constructive contre le terrorisme.
        Akbulut a rejeté cette proposition en disant que le fait de combattre la violence, ce ne justifiait pas de telles élections. Le lendemain, le président Özal a blâmé la presse pour avoir exagéré la gravité des incidents terroristes en Turquie. Selon les milieux politiques d'Ankara, l'entrevue entre ces hommes politiques a révélé les frictions entre le président Özal et son premier ministre.

EMPOISONNEMENT DE RÉFUGIÉS KURDES

        Le 1er février dernier, un autre empoisonnement a été signalé dans le camp de réfugiés kurdes de Diyarbakir et plusieurs centaines de personnes ont été hospitalisées après avoir mangé du pain contenant des substances empoisonnées.
        Actuellement, il y a approximativement 13.000 personnes qui sont parquées dans ce camps de réfugiés temporaire. Depuis août 1989, près de 50.000 Kurdes irakiens se sont enfuis vers la Turquie, essayant d'échapper aux attaques du gouvernement irakien. Le nombre de Kurdes irakiens vivant actuellement dans des camps situés dans les provinces de Turquie orientale de Mus, Mardin et Diyarbakir, est estimé à 30.000 alors que près de 20.000 personnes sont déjà retournées en Iran ou en Irak, profitant de l'amnistie déclarée par le gouvernement irakien l'année passée.
        Lors d'un incident similaire qui avait eu lieu en juin dernier, près de 3.000 personnes habitant le camp de réfugiés situé à Mardin avaient dû être traitées pour douleurs d'estomac après avoir mangé du pain qui avait été distribué dans le camp le 8 juin.
        Dans les deux cas, les autorités turques ont minimisé l'importance de l'incident en déclarant qu'ils étaient de nature psychologique, elles se sont exprimées en ces termes: "Lorsqu'ils ont des douleurs d'estomac, ils paniquent en imaginant qu'ils ont été empoisonnés".
        Cependant, quatre scientifiques britanniques qui se sont occupés des victimes de l'incident du mois de juin ont déclaré dans une lettre parue dans le journal médical The Lancet du 3 février 1990, qu'ils avaient trouvé des traces de poison dans les échantillons de sang prélevés sur les victimes et qu'il s'agissait d'une substance très rare: de l'organophosphate.

LE DR  ISMAIL BESIKCI À NOUVEAU EMPRISONNÉ

        Le Dr Ismail Besikci, un sociologue turc défendant les droits fondamentaux des Kurdes en Turquie, a encore été arrêté le 12 mars dernier par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul pour avoir fait de la propagande séparatiste.
        Besikci risque une peine de prison de 7 ans et demi à 15 ans de prison pour avoir publié, en février dernier, un livre intitulé Le Kurdistan: Une colonie de plusieurs pays.
        L'intérêt de Besikci pour les Kurdes l'a déjà mené en prison plus d'une fois. Il avait été relâché la dernière fois, en mai 1987 après avoir purgé une peine de 7 ans. Besikci qui n'est pas kurde, clame que les Kurdes sont un peuple foncièrement différent des Turcs aussi bien sur le plan sociologique que culturel.
        Dans son dernier livre, le sociologue écrit que les droits fondamentaux des Kurdes sont niés par les gouvernements des trois pays dans lesquels ils vivent, à savoir, la Turquie, l'Iran et l'Irak. Besikci accuse ces trois pays de tentative d'éradication du folklore et de la culture kurdes.
        Besikci a travaillé comme conférencier à l'Université Atatürk d'Erzurum mais il a été exclu de la faculté en 1969 pour avoir écrit un livre sur les structures sociologiques de l'Anatolie Orientale et sur les Kurdes. En 1971, il a été arrêté et emprisonné jusqu'en 1974.
        Besikci a continué de publier des études sur des sujets politiques et sociologiques.
        En 1979, il est à nouveau arrêté pour avoir publié une étude sur la déportation des Kurdes. Après avoir été relâché pendant une brève période, il a été arrêté une troisième fois en 1981 pour avoir écrit une lettre en 1980 que selon les accusateurs il aurait envoyée à l'Union Suisse des Ecrivains alors qu'il était encore en prison. En vertu de l'article 140 du Code Pénal Turc, qui interdit toute "propagation d'informations nuisibles à la Turquie à l'étranger", Besikci a à nouveau été mis en accusation et condamné à 12 ans de prison, mais il avait été relâché pour bonne conduite en 1987 après avoir purgé six ans de sa peine.
        La nouvelle arrestation de Besikci a à nouveau provoqué des protestations de la part des organisations de droits de l'homme.

OPÉRATION DE LA POLICE CONTRE LA GAUCHE

        Après l'assassinat du journaliste Emec, la police a mené une opération intensive à travers le pays dans le but de retrouver des militants de gauche au lieu de poursuivre des terroristes d'extrême-droite.
        Le 1O mars dernier, une patrouille de police a intercepté une voiture qui avait été volée le jour précédent dans les environs d'Istanbul, à Zeytinburnu. Lorsque la police a ordonné à ses occupants de s'arrêter, deux hommes et une femme  ont ouvert le feu. Durant la poursuite qui s'est engagée, un inspecteur de police a été mortellement blessé et deux autres ont été atteintes plus superficiellement. Néanmoins, deux militants ont été capturés, le troisième identifié comme étant Talat Coskun, a investi un appartement et a pris trois personnes en otage.  Après cette opération longue de 17 heures, une équipe anti-terreur a attaqué l'appartement et a neutralisé Coskun après l'avoir blessé.
        Selon la police, les militants capturés appartiennent au Parti Communiste Révolutionnaire (DKP) et ont été entraînés dans un camps de guérilla palestinien. Elle a étendu ses opérations à d'autres villes en soutenant que d'autres équipes d'organisations illégales préparaient des attentats visant plus particulièrement les généraux en retraite qui ont occupé des positions clef dans le régime militaire du début des années 1980.
        Les militants de gauche qui ont été capturés ont catégoriquement refusé toute affirmation relative à leur implication dans l'assassinat du journaliste Emec.

AUTRES CAS DE RÉPRESSION EN DEUX MOIS

        Le 1.1, la police a annoncé que lors d'une opération qui a duré 10 jours à Ankara, près de 100 membres présumés du Parti communiste révolutionnaire de Turquie (TDKP) ont été arrêtés.
        Le 9.1, la police a envahi le bureau d'Ankara de l'Association des femmes en lutte pour la démocratie (DEMKAD) et en a détenu 19 d'entre elles. Après cela, 30 femmes ont commencé une grève de la faim en guise de protestation.
        Le 22.1, les dirigeants de 31 associations démocratiques ont entamé une grève de la faim en guise de protestation contre les pressions dont ces organisations font l'objet.
        Le 1.2, cinq détenus dans le cadre du procès DEV-YOL ont entamé une grève de la faim dans la prison de Buca à Izmir en guise de protestation contre les mauvais traitements.
        Le 4.2, la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul a mis en accusations 11 membres présumés de l'Unité Armée de Propagande Marxiste-Léniniste (MLSPB) qui risquent chacun une peine de prison allant jusqu'à 65 ans.
        Le 7.2, des associations de femmes d'Istanbul ont annoncé que 21 femmes détenues à la prison de Sagmalcilar ont été soumises à des conditions inhumaines. Elles ont été placées dans des salles surpeuplées avec des prisonniers de droit commun et ont subi le harassement des gardes.
        Le 11.2, une grève de la faim a été entamée à la prison de type E de Bursa par 61 étudiants arrêtés à l'Université Uludag.
        Le 17.2, à Adana, 18 personnes ont été placées en détention préventive en raison de leur appartenance au Parti Communiste de Turquie/Marxiste-Léniniste (TKP/ML).
        Le 28.2, le tribunal de la loi martiale d'Ankara a condamné trois membres du Dev-Yol à la peine de mort, trois autres à la prison à vie et 12 autres à différentes peines de prison de trois à dix ans.

PRESSION SUR LES MASS-MÉDIA

        Tuncay Aslan, rédacteur de l'hebdomadaire 2000'e Dogru, a été arrêté le 13 mars dernier par la Cour de Sûreté de l'Etat pour s'être livré à de la propagande nuisant aux sentiments patriotiques de la nation. Le magasine avait publié dans ses numéros récents, un article traitant de la question kurde en Turquie. Aslan risque une peine allant jusqu'à 15 ans de prison sur base de l'article 142 du Code Pénal Turc.   
        La Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul a ordonné la confiscation du numéro du 7 mars 1990 du quotidien Günes car il publiait les minutes des conversations entre George Bush et Turgut Özal qui ont eu lieu le mois dernier à Washington.
        Persécution en février 1990:
        Le 7.2: le professeur Yalcin Kücük a été condamné par la Cour de Sûreté de l'Etat de Malatya à 4 ans et 2 mois de prison pour une déclaration défendant les droits des Kurdes.
        Le 8.2, l'éditeur Muzaffer Erdogdu a été mis en accusation par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul pour avoir publié les discours de Lénine lors de la 3ème Internationale. Il risque une peine allant jusqu'à 15 ans de prison.
        Le 10.2, un citoyen allemand, Michael Dag, a été mis en accusation par la Cour Criminelle d'Izmir pour avoir distribué le journal Kurtulus en 1979. Il risque une peine de prison allant jusqu'à 15 ans. Il avait été condamné auparavant une première fois pour le même motif à un an et demi de prison.
        Le 10.2, le maire du district de Gocek, Behzat Akdolun, a été relâché après avoir passé 18 jours en prison pour avoir insulté Turgut Özal lors d'une séance du Conseil municipal.
        Le 11.2, deux éditeurs du mensuel Kivilcim, Hasan Cako et Hayriye Cako, ont été mis en état d'arrestation.
        Le 12.2, le livre d'Edip Polat intitulé La vérité sur Diyarbakir a été confisqué sur ordre de la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara.
        Le 20.2, le numéro de février du mensuel Emek Dunyasi, a été confisqué par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul.
        Le 23.2, deux concerts du Groupe Yorum à Izmir ont été interdits par le gouverneur.
        Le 23.2, Velit Gok a été condamné à une peine de prison de quatre ans et deux mois pour avoir crié des slogans kurdes lors d'un concert du chanteur folklorique Ferhat Tunc.

BILAN DE 10 ANNÉES DE RÉPRESSION

        Le quotidien Cumhuriyet  du 12 décembre 1989 a publié le bilan de dix ans du régime répressif. Selon ce rapport, depuis le coup d'Etat militaire du 12 septembre 1980:
        - 650 mille personnes ont été détenues pour différents motifs, dont 210 mille ont été mises en accusation par des tribunaux militaires.
        - Des millions de personnes ont été mises sur la liste des suspects et 388 mille personnes ont été privées de leur droit de se déplacer à l'étranger.
        - En vertu de la loi martiale, 4.891 fonctionnaires ont été démis de leurs fonctions et 4.509 autres bannis.
        - 18 mille autre fonctionnaires, 2 mille juges et procureurs, 4 mille policiers et 5 mille professeurs ont été ou bien démis de leurs fonctions ou forcés à démissionner.
        - La peine capitale a été réclamée pour 6.353 détenus politiques dans les tribunaux militaires. 50 d'entre eux ont déjà été exécutés tandis que 261 autres attendent que leur peine de mort soit ratifiée par le Parlement.
        - Le nombre de personnes jugées en vertu des articles 141, 142 et 163 du Code Pénal Turc atteint 100.000.
        - 171 personnes sont mortes sous la torture. Le nombre de personnes mortes alors qu'elle étaient en état d'arrestation se monte à plus de 300. Des milliers de gens ont été mutilés sous la torture.
        - Il y a encore 52 mille condamnés ou prévenus dans 644 prisons en Turquie, cinq mille d'entre eux le sont dans le cadre de procès politiques.
        - 14 personnes sont mortes durant des grèves de la faim, des milliers de prisonniers sont devenus invalides pour la même raison.
        - Plus de 30 mille personnes ont été obligées de fuir le pays pour des raisons politiques, 14 mille d'entre elles ont été déchues de leur nationalité par décret gouvernemental.
        - Huit journaux quotidiens ont été interdits sur une période totale de 195 jours.
        - Pendant les cinq ans et demi de pouvoir de l'ANAP, 458 publications ont été confisquées par des instances administratives. De plus, les tribunaux ont pris la décision de confisquer 368 publications.
        - 133 mille livres ont été détruits par le feu et 118 mille par d'autres moyens.
        - 937 films ont été interdits au public, parmi eux, ont retrouve 114 films de Yilmaz Güney.
        - Durant ces cinq dernières années passées sous le joug de l'ANAP, les tribunaux ont inculpé 2.792 écrivains, journalistes et traducteurs qui risquent un total de 2000 ans de prison.
        - Les 13 plus gros quotidiens du pays ont été accusés de publication obscène et une amende totale de 60 milliards a été réclamée par les procureurs.
        - 23.667 associations ont vu leurs portes fermées ou leur activité suspendues.
        - Les nouvelles associations crées ces dernières années pour la défense des droits de l'homme ont subi des pressions en permanence de la part des autorités. Les procureurs ont ouvert 25 poursuites légales contre l'Association des droits de l'homme de Turquie (IHD), dont onze se sont terminées par un acquittement. L'Association pour la Solidarité avec les Familles de prisonniers (TAYAD), la Maison du Peuple (HE), les Associations de Professeurs (EGIT-DER), l'Association des Femmes en lutte pour la démocratie (DEMKAD), l'Association démocratique des femmes pour une vie humaine (IYIKD) et bien d'autres associations culturelles et sociales ont fait l'objet de poursuites légales. Les gouverneurs ont fermé les quartiers généraux de quatre associations et de neuf sections locales. Dans le cadre de ces poursuites, 344 personnes ont été détenues et celles qui ont été jugés coupables, ont été condamnées à un total de 51 mois de prison.

VIOLENCE SUR LES CAMPUS UNIVERSITAIRES

        Au début du mois de mars, une nouvelle vague de violence a frappé les campus universitaires à travers tout le pays et a provoqué l'arrestation de centaines d'étudiants. Les incidents ont commencé le 1er mars lorsque des étudiants de l'Université de Yildiz à Istanbul ont malmené un policier en civil. Aussitôt après ce premier incident, la police a investi les dortoirs et a arrêté 80 étudiants.
        Le lendemain matin, les étudiants se sont réunis sur le campus de l'Université de Yildiz, et ont manifesté contre la présence de policiers dans l'université. Ils ont crié des slogans demandant la remise en liberté de leurs amis. La police est à nouveau intervenue et a arrêté près de 50 étudiants. Cela a provoqué dans l'après-midi l'occupation des bâtiments de l'université par des centaines d'étudiants qui ont pris le recteur, Süha Toner, ainsi que cinq autres membres du corps professoral en otage. Ils ont déclaré qu'ils ne sortiraient pas des bâtiments tant que les unités et les véhicules anti-émeute, postés autour du campus, ne quitteront pas les lieux.
        Le siège de deux heures s'est terminé par la charge de la police contre le bâtiment au moyen de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Près de 200 étudiants ont été arrêtés après que la police les ait expulsés du bâtiment.
        Près de 20 étudiants ont été blessés pendant la confrontation avec la police et les bâtiments historiques de l'Université de Yildiz ont été très endommagés.
        Le 3 mars, la police relâchait 152 étudiants mais en maintenait 155 autres en état d'arrestation pour interrogatoire. En guise de protestation, de petites manifestations ont été organisées sur le campus de l'Université de Marmara à Istanbul et à Canakkale.
        Le 5 mars, près de 1.000 étudiants se sont réunis sur le campus principal de l'université à Beyazit. La police anti-émeute est intervenue lorsque les manifestants s'apprêtaient à quitter le campus pour marcher sur la Cour de Sûreté de l'Etat où ils croyaient que les étudiants détenus allaient apparaître. Les étudiants ont jeté des cocktails Molotov et des pierres sur les policiers tandis que ces derniers chargeaient avec des canons à eau et des pierres. Plusieurs civils qui se trouvaient au côté des policiers ont été vus jetant des pierres sur les étudiants. Pendant ce temps, deux hélicoptères de la police survolaient les manifestants jusqu'au moment où ils ont reflué vers le campus et qu'ils ont fermé les lourdes portes.
        Le 6 mars, les incidents se sont étendus à Adana où les étudiants ont manifesté contre les arrestations d'Istanbul. Ils ont lancé des pierres sur les gendarmes et les policiers et ont empêcher un policier qui les filmait de continuer à utiliser sa caméra vidéo. Soixante d'entre eux ont été arrêtés.
        Il y a eu également des manifestations à l'université Hacettepe d'Ankara, mais là, aucun étudiant n'a été arrêté.
        La résistance des étudiants a été provoquée par la discipline de fer imposée par le régime militaire instauré en 1980 et que le Conseil Supérieur de l'Education (YÖK) continue à appliquer. Cependant, les leaders des deux partis de l'opposition représentés au Parlement, Inönü et Demirel, ont déclaré que les étudiants devraient être prudents contre les provocations.

UN OFFICIER DISSIDENT EN EXIL

        Un lieutenant d'artillerie âgé de 22 ans, qui avait envoyé un télégramme au Président Turgut Özal lui disant qu'il ne s'habituait pas à sa présidence a fait l'objet d'une série de pressions.
        Le Lt. Murat Seref Baba a été une première fois mis sous surveillance psychiatrique et tenu au secret à l'hôpital militaire d'Istanbul. L'Etat-major annonçait le 6 mars dernier que le lieutenant avait été hospitalisé selon le règlement des forces armées, parce qu'il avait envoyé un télégramme au Président Özal alors qu'il souffrait d'une dépression nerveuse.
        Le télégramme du lieutenant Baba au Président Özal était libellé de la sorte:
        "Il y a certaines choses auxquelles je ne puis m'habituer, aussi bien maintenant que dans le futur. Je ne puis m'habituer à la violation du principe de l'unité de l'éducation nationale par sa parcellisation en écoles religieuse et laïques. Je ne puis m'habituer à l'endoctrinement de jeunes gens dans des écoles coraniques qui les rend hostile à la République laïque. Je ne puis m'habituer aux rires de ceux qui roulent l'Etat alors que les dirigeants honnêtes sont exilés d'une ville à l'autre.
        "Je ne puis m'habituer à voir des patients sans argent tenus en otage dans des hôpitaux alors que ceux qui s'enrichissent grâce à la corruption se complaisent dans l'extravagance. Je ne puis m'habituer au fait que la personne qui se trouve à la place qu'occupait Atatürk, le fondateur de la République, cherche à se faire une bonne réputation juste pour se faire photographier avec les dirigeants de l'Etat. Vous avez dit que le peuple devait s'habituer à votre présidence. Mais je n'ai pas pu m'y habituer non plus."
        Le député SHP, Firat Atalay, a demandé, dans une motion au premier ministre M. Akbulut, si les dirigeants gouvernementaux qui envoient des télégrammes aux Président allaient également hospitalisés pour déséquilibre mental même s'ils sont tout-à-fait sains.
        Le vice-président du DYP, Esat Kiratoglu, a déclaré: "Si tous ceux qui s'opposent à Özal étaient envoyés dans une clinique, le pays tout entier se transformerait en un asile".
        Comme les protestations s'amplifiaient, le lieutenant Baba a été transféré à Ankara le 12 mars dernier. Il restera en prison 28 jours pour avoir violé le règlement de l'Armée. Certains estiment que le jeune lieutenant sera exclu de l'Armée dès qu'il aura purgé ses 28 jours de prison.

PRESSION SUR LE BARREAU

        Le 20 février dernier, le président du Barreau d'Istanbul, Turgut Kazan, a intenté une action contre le ministre de la Justice Oltan Sungurlu qui avait demandé à tous les membres du bureau exécutif de l'Association de démissionner.
        Le différend entre le Ministre de la Justice et le Président du Barreau d'Istanbul a éclaté au grand jour lorsque Sungurlu a demandé au premier procureur d'Istanbul d'entamer une procédure légale contre le Barreau. Sungurlu a affirmé que Kazan ainsi que d'autres membres du bureau exécutif ont violé la loi en annulant une décision du bureau précédant expulsant l'avocat Alp Selek de l'association.
        Selek avait été condamné à huit ans de prison pour son appartenance au Parti ouvrier de Turquie (TIP). Il a purgé sa peine et a été relâché en 1986 mais a été empêché d'exercer en vertu d'une disposition légale introduite par les militaires au début des années 1980. En effet, les avocats ayant violé les articles 141, 142 et 163 du Code Pénal Turc sont interdits d'exercice.
        Le président du Barreau a déclaré: "Selon la législation, le Ministre de la Justice n'a pas l'autorité de décider si oui ou non un avocat a le droit d'exercer sa profession".
        L'Union des Barreaux Turcs (TBB) a également déclaré que le Ministre de la Justice avait outrepassé son autorité.

LA DÉTENTION DU DIRIGEANT DE L'IHD

        Muzaffer Ilhan Erdost, président de la section d'Ankara de l'Association des droits de l'homme de Turquie (IHD), a été arrêté le 12 mars dernier et accusé d'avoir fait de la propagande séparatiste dans la préface qu'il a écrite dans un livre intitulé "La vérité au sujet de Diyarbakir", écrit par Edip Polat. Après avoir été retenu pendant 35 heures, il a été relâché le 14 mars. Le Procureur a annoncé qu'il s'était trompé en croyant que le livre avait été publié par l'IHD.
        Par contre, les poursuites contre l'auteur, Edip Polat, accusé de propagande séparatiste, continuent.

UN PRÊTRE ARRÊTÉ À ISTANBUL

        La police a arrêté, le 14 mars dernier, neuf personnes dont un prêtre catholique. Elles sont accusées de faire s'évader des réfugiés irakiens kurdes du camp de Diyarbakir et de les aider à rejoindre la Grèce.
        La police a annoncé que le prêtre de l'Eglise Catholique Chaldéenne d'Istanbul, Neaziz Yalap, ainsi que les huit autres personnes avaient monté un réseau qui fournissaient contre rémunération des passeports grecs aux réfugiés kurdes.

UNE COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME

        Trois partis politiques jouissant d'une représentation au Parlement ont préparé conjointement une proposition de loi prévoyant la création d'une commission permanente d'examen des droits de l'homme au sein du Parlement et ce pour contrôler leur violation en Turquie et à l'étranger.
        Les protes-parole du Parti de la Mère Patrie (ANAP), du Parti Populiste Social-démocrate (SHP) et du Parti de la Juste Voie (DYP) ont annoncé que la commission permanente sera autonome, suivra les développements des droits de l'homme acceptés internationallement et examinera les plaintes de violations des droits de l'homme.
        Le Commission sera apte à examiner les plaintes des citoyens turcs à l'étranger qui s'estiment être les victimes d'une violation des droits de l'homme. Les députés turcs ont dit: "De plus, toutes les violations des droits de l'homme perpétrées dans les autres pays seront également examinées par la Commission. Par exemple, la Suède qui se déclare être un des leaders de la protection des droits de l'homme, a récemment repoussé 60 Turcs ethniques originaires de Bulgarie qui lui demandaient l'asile politique. Cela s'est passé en Suède alors que cet Etat a violemment critiqué l'attitude de la Turquie envers des Irakiens qui s'étaient échappés d'Irak vers la Turquie l'année dernière."
        La Commission décidera également des amendements à apporter à la Constitution turque ainsi qu'à la législation dans un souci de les harmoniser avec les conventions internationales relatives aux droits de l'homme auxquelles la Turquie est partie.
        Cependant, la Commission ne fonctionnera jamais comme une cour. De plus, elle ne sera pas autorisée à s'occuper des plaintes aussi longtemps qu'elles feront l'objet d'une procédure légale. Depuis que de nombreux plaintes au sujet de tortures émanant de personnes en état d'arrestation ou en cours de jugement leur ont été adressées, les cercles turcs de défense des droits de l'homme ont estimé que les pouvoirs de la Commission parlementaire sont déjà devenus ineffectifs. Il semble que le but réel des députés ANAP qui ont lancé cette initiative était de décevoir une fois de plus les institutions démocratiques européennes.
        En fait, durant la présentation de cette proposition de loi à la presse, le co-président de la Commission parlementaire mixte turco-européenne, M. Bülent Akarcali, a une fois de plus exprimé son hostilité à l'égard d'Amnesty International dont il a commenté le rapport sur les droits de l'homme en Turquie de la façon suivante: "Je suis d'accord à 100% avec les buts d'AI. Pourtant, selon moi, AI est une organisation qui utilise la Turquie comme matière première afin d'assurer son existence en Europe."

LA NOUVELLE CAMPAGNE DU HELSINKI WATCH

        Helsinki Watch, un groupe de défense des droits de l'homme basé à New-York, a annoncé dans son rapport de février 1990 sur la Turquie qu'il lançait une campagne contre les articles du Code Pénal Turc qui restreignent la liberté d'expression.
        Le groupe de défense des droits de l'homme a demandé dans ses récentes publications à ses supporters d'envoyer des lettres au Président Turgut Özal, au premier ministre Yildirim Akbulut, au ministre de la Justice Oltan Sungurlu ainsi qu'à l'ambassadeur de Turquie en poste à Washington DC, leur demandant d'abroger les articles 140, 141, 142, 158, 159 et 163 du Code Pénal Turc.
        Le rapport estime que chacun de ces articles est utilisé pour punir les crimes de conscience en Turquie. L'article 140 concerne la transmission à l'étranger d'informations nuisibles à la Turquie. Les articles 141 et 142 traitent des activités communistes. Les articles 158 et 159 prévoient les punissions pour insulte au gouvernement, au Président et au Parlement. Tandis que l'article 163 prohibe les activités visant à instaurer un gouvernement basé sur le droit canon islamique.
        Le rapport continue en ces termes: "Helsinki Watch s'estime concerné par les restrictions rigoureuses apportées à la liberté d'expression en Turquie. Nous en appelons au gouvernement de Turquie pour qu'il abroge les articles 140, 141, 158, 159 et 163 du Code Pénal Turc, pour qu'il relâche immédiatement tous les journalistes emprisonnés pour l'exercice non-violent de la liberté d'expression et pour qu'il assure l'exercice de la liberté d'expression à tout son peuple".
        Le rapport dit que la Turquie viole tous les standards en persécutant les éditeurs, les journalistes et les écrivains. Il annonce que près de 400 journalistes ont été accusés en 1989 pour les articles qu'ils ont écrits dans leurs publications respectives. En plus des 183 poursuites criminelles intentées contre des journalistes en 1989, Helsinki Watch estime que des "magazines ont été confisqués et interdits, des livres saisis et interdits et des pièces de théâtre censurées."
        "A la fin du mois de novembre 1989, au moins 23 journalistes et éditeurs ont été emprisonnés pour leurs écrits ou leurs publications, plusieurs d'entre eux ont été condamnés à des peines d'une longueur absurde. L'un d'entre eux à 1.086 ans de prison qui a été commuée plus tard à 700 ans", dit le rapport.

EMEUTE DES CULTIVATEURS DE TABAC

        Près de 60 personnes ont été arrêtées le 12 mars dernier dans une zone de culture de tabac dans l'ouest de la Turquie lorsque les producteurs ont commencé à manifesté après que le gouvernement ait annoncé que le prix d'achat du tabac serait beaucoup plus bas que ce qui était prévu.
        Les producteurs ont exprimé leur mécontentement au sujet des nouveaux prix qui ont seulement augmenté de 33% à 48% par rapport aux prix qu'ils ne pourront jamais couvrir leurs frais de production avec de tels prix alors que le taux d'inflation se monte à %70.
        Des milliers de producteurs de tabac sont descendus dans les rues à Akhisar, Milas, Mugla, Kinik, Suleymanoglu, Sakarya, Isikkoy et Bergama et ont rançonné près de 50 bureaux de marchands de tabac ainsi que les bâtiments du monopole étatique du tabac. A Kirkagac, ils ont brisé les vitres des bureaux locaux de l'ANAP. Lors de tous ces incidents, les manifestants en colère demandaient la démission du gouvernement.
        Des unités de gendarmes et des équipes anti-émeute ont été dépêchées à Akhisar et ont entouré la ville. Les manifestants ont bloqué l'autoroute principale reliant Izmir à Istanbul ainsi que le chemin de fer et ce, pendant cinq heures.

CATASTROPHE MINIÈRE: 68 MORTS

        Le 7 février dernier, une explosion dans la mine de charbon de Yeni Celtek a causé la mort de 68 personnes. C'est la plus grande catastrophe minière que la Turquie ait connu depuis 1964 lorsque 72 mineurs avaient trouvé la mort dans une mine de la même région.
        Le manque de mesures de protection a provoqué des protestations de la part des syndicats et des parents  des victimes.
        L'arrestation de trois directeurs de la mine n'a pas atténué la colère des amis et des parents des mineurs décédés. Les manifestants ont attaqué le véhicule transportant les trois détenus en criant "laissez-nous les meurtrier!"
        Lorsque le premier ministre et certains autres ministres sont arrivés sur place sous haute protection , les familles des mineurs leurs ont crié: "Nous voulons les corps de nos morts!" Quant le ministre du travail a voulu visiter les maisons des mineurs, elle a été huée en ces termes: "Vous ne vous rappelez de nous qu'en cas de désastre. Nous n'avons pas besoin de vos condoléances".
        Les mineurs des mines de charbon de la partie septentrionale de la Turquie ont cessé le travail pendant deux heures en guise de protestation.
        Un rapport établi par des experts dit que la galerie où s'est produit l'accident était remplie de gaz empoisonné et qu'il n'y a aucune chance qu'il y ait des survivants.
        L'Union minière turque maintient qu'il y avait des signes d'augmentation de la chaleur dans cette galerie deux jour avant l'explosion de gaz. Le rapport de l'Union continue en ces termes: "Selon les règlements, la galerie aurait dû être fermée. Malgré les signes, le travail a continué dans cette galerie sans qu'aucune précaution particulière n'ait été prise. Après l'accident, l'employeur a préféré sauver l'équipement plutôt que des hommes. Cet incident est un massacre et non un accident".
       
DES RELATIONS PLUS SUIVIES AVEC L'IRAN

        Le premier ministre turc, Yildirim Akbulut, a effectué une visite de quatre jours en févier dernier en Iran, dans le but de resserrer les liens économiques et politiques entre les deux pays.
        Avant cette visite l'ambassadeur iranien récemment accrédité à Ankara, Muhammed Reza Bagheri a déclaré que les relations commerciales turco-iraniennes avaient connu leur heure de gloire en 1985 lorsque les exportations de l'Iran vers la Turquie avaient atteint I,578 milliards de dollars et ses importations en provenance de la Turquie:  I,264 milliard de dollars. Le commerce bilatéral n'a fait que décliner depuis cette époque. Pendant la période allant de janvier à octobre 1989, la valeur des exportations de la Turquie vers l'Iran a plafonné à 478,2 millions de dollars et ses importations en provenance de l'Iran se sont montées à 136,6 millions de dollars. Quant aux sept protocoles économiques signés en 1989 qui prévoyaient un volume d'échange de 2 milliards de dollars, l'ambassadeur iranien a admis que ce chiffre n'avait jamais été atteint.
        Akbulut, accompagné par une délégation de 40 fonctionnaires et 62 hommes d'affaires, a rencontré à Téhéran le Dr. Hasan Habibi, vice-président de la République Islamique, Ali Akbar Velayete, ministre des affaires étrangères, et le président iranien : Hashemi Rafsanjani. Après son entrevue avec ce dernier, Akbulut s'est rendu au Parlement iranien.
        Monsieur Habibi a déclaré que la visite du premier ministre turc en Iran marquait le début d'une nouvelle phase dans les relations entre les deux pays. Akbulut a répondu à Habibi en disant que la Turquie accordait une grand importances à ses relations avec l'Iran.
        Pendant la visite d'Akbulut en Iran, un comité mixte turco-iranien composé de membres des deux gouvernements a discuté d'un certain nombre de projets dont celui d'un pipeline de gaz reliant l'Iran et la Turquie.
        Cette visite est intervenue durant une période marquée par de nombreux actes de terrorisme attribués à des fondamentalistes islamiques soutenues par le régime de Téhéran et a été qualifié d'"inopportune" par la presse turque.

LA QUESTION ARMÉNIENNE AU SÉNAT AMÉRICAIN

        Les deux tentatives du sénateur Robert Dole de porter à l'agenda du Sénat américain le projet de loi dit "Armenian Bill" ont été infructueuses puisqu'elles ont été repoussées successivement par 49 voix à 49 le 23 février I99O et par 51 voix contre 49 le 27 février I99O. Le projet propose de désigner le 24 avril en "jour de commémoration du génocide des Arméniens par les Turcs entre 1915 et 1923".
        Pendant le second débat Dole a défendu sa loi en lisant au Sénat un document qu'il a déclaré provenir des archives ottomanes par le biais de l'Intelligence Service britannique. Il a dit que ce document indique clairement que les Ottomans ont délibérément tué les Arméniens.
        Dole s'est également plaint des pressions exercées par la Turquie pour bloquer le projet. Le sénateur a annoncé que des compagnies turques ont cessé toute négociation commerciale avec leurs partenaires américains. Dole s'est alors demandé "si ce n'est pas du chantage, qu'est-ce que c'est?"
        Le Sénateur Byrd s'est alors exprimé pendant une heure contre le projet de Dole et a demandé aux membres du Congrès de ne pas provoquer un affrontement entre les USA et la Turquie. Il a déclaré que les supporters du ce projet de loi se sont référés à la correspondance de l'ambassadeur américain, Henry Morgenthan, qui a été en poste en Turquie de 1913 à 1916. Cependant, il a fait remarquer que près de 2.300 messages envoyés par l'amiral Mark Bristol, en poste à Istanbul de 1919 à 1923, avait quant à eux, été totalement ignorés.
        Byrd a dit "bien que l'Amiral Bristol ait mentionné la tragédie humaine qui avait lieu en Turquie orientale pendant ces années, il n'a jamais qualifié la situation de génocide. Les souffrances des gens en Turquie orientale étaient causées par la guerre civile."
        Après son second échec, le Sénateur Dole a précisé: "Ces deux échecs prouvent que nous ne disposons pas d'un soutien suffisant au sein du Sénat. Il serait inutile d'essayer à nouveau de faire passer cette loi. Ceux qui l'ont soutenue sont du côté de la vérité. En fait, c'est David qui a gagné le combat mais c'est Goliath qui a émergé comme le vainqueur du vote."
        L'échec de Dole a provoqué l'euphorie à Ankara. La presse turque a présenté le résultat du scrutin comme une victoire du lobby turc à Washington et a lancé une campagne appelant les citoyens turcs de Turquie et de l'étranger à envoyer des messages de gratitude au sénateur Byrd pour avoir fait obstruction à l'"Armenian Bill" de Dole.

PRIX ATTRIBUÉ AUX JEUNES DÉTENUS POLITIQUES

        Le 28 février dernier, le prix Orhan Apaydin des droits de l'homme et de la justice a été attribué à des mineurs qui ont été arrêtés pour s'être livrés à de la propagande communiste.
        Ce prix avait été créé en 1986 après la mort d'Apaydin, l'ancien président du Barreau d'Istanbul. Un jury d'avocats, d'écrivains et de journalistes a annoncé cette année que les "M.C. de Turquie" méritaient le prix. Ceci en référence à Melih Calaylioglu, cet adolescent de 15 ans qui a été arrêté il y a deux ans à Izmir pour avoir fait de la propagande communiste. Jusqu'il a été acquitté l'année passée, les journaux ne pouvaient faire référence à lui qu'en utilisant ses initiales, parce que la loi interdit de reveler le nom des mineurs inculpés.
        Il y a eu d'autres cas d'arrestation de mineurs pour motifs politiques. Ces jeunes gens partageront le prix avec Melih Calaylioglu.
        Selon le quotidien Cumhuriyet du 22 décembre 1989, le nombre de détenus kurdes âgés de moins de 18 ans s'élève à 40. Deux quartiers spéciaux ont été récemment instaurés dans la prison de type E n°1 de Diyarbakir pour les prisonniers mineurs: l'une pour les détenus âgés de 11 à 15 ans et l'autre pour ceux âgés de 15 à 18 ans.
        A Istanbul, une jeune fille âgée de 16 ans a été emprisonnée à la prison de Bayrampasa le 14 décembre dernier pour avoir distribué des pamphlets pour le Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie (TDKP).
        Le 17 mars 1990, un jeune lycéen de 14 ans, N.A., a été arrêté dans la ville de Suruc, pour s'être livré à de la propagande communiste. Selon la presse, durant une fouille de sa classe, son professeur a trouvé dans sa poche un morceau de papier sur lequel figurait des critiques sur la visite de Turgut Özal dans la zone de la Mer Noire. Considérant cela comme des remarques communistes, le professeur a dénoncé son élève aux autorités et quelques jours plus tard, N.A. était mis en état d'arrestation.

PROGRÈS DANS LA QUESTION CHYPRIOTE

        Le Conseil de Sécurité de l'ONU a adopté récemment une résolution sur la question chypriote qui est considérée, pour la première fois en 15 ans, comme satisfaisante par toutes les parties intéressées. Ce conseil a mis en exergue que des efforts devraient être fournis pour mettre en place une structure fédérale à Chypre, celle-ci comprendrait deux communautés et deux zones.
        Le Conseil de Sécurité a aussi renouvelé le mandat du Secrétaire-Général de l'ONU Javiez Perez de Cuellar afin qu'il continue sa mission de bons offices dans le but d'instaurer la solution fédérale dans l'île. Contrairement aux documents précédents sur Chypre, cette résolution ne décrit pas les troupes turques basées dans l'île comme des forces d'invasion et d'occupation.
        Rauf Denktas, le président de la "République turque de Chypre Septentrionale (KKTC)", a déclaré que la résolution était équitable et "ne déplaisait pas à la partie turque." Immédiatement après, il démissionnait de son poste pour tester jusqu'à quel point irait le soutien de la communauté turco-chypriote. Il a fixé la date des élections présidentielles au 22 avril 1990 et a annoncé: "C'est au peuple de décider s'ils veulent ou non que j'agissent comme leur défenseur".
        Le ministre turc des affaires étrangères a également accueilli favorablement la résolution du Conseil de sécurité en déclarant qu'elle se réfère à une solution à la question de Chypre comme un système fédéral avec deux communautés jouissant des mêmes droits et vivant dans deux zones séparées.
        Quant au camp gréco-chypriote, le président George Vassiliou a déclaré: "L'ONU justifie la position des Chypriotes-grecs". Cependant, il a dit qu'ils ne reconnaîtront jamais le droit à l'auto-détermination au Chypriotes-turcs.
        Le premier ministre grec, Xenophou Zolotas, a déclaré que la résolution était positive pour la Grèce et pour les Chypriotes-grecs.
        Après l'adoption de cette résolution, de Cuellar a dit que son envoyé spécial à Chypre allait contacter Vassilou et Denktas pur l'élaboration d'un calendrier de négociations aussitôt que possible.

UNE NOUVELLE POLITIQUE GRECQUE DES MINORITÉS

        Après les incidents qui ont eu lieu à Komotini en février, entre la minorité turque et des Grecs, le gouvernement d'Athènes a décidé de changer la politique appliquée aux minorités et le premier ministre Kostas Zolotas en a discuté avec les leaders du Parti de la Nouvelle Démocratie, la coalition de Gauche et avec le PASOK et ce dans le but de mettre fin aux incidents de Thrace occidentale.         Pendant ce temps, le juge du tribunal de Komotini qui avait condamné deux candidats au Parlement grec appartenant à la minorité turque à 18 mois de prison, a été démis de ses fonctions.
        Selon la presse, les leaders grecs ont souligné le fait que la minorité turque constitue 54% de la population de la province de Rodopi dans laquelle se trouve la ville de Komotini. Ils ont également insisté sur le taux de fertilité très élevé de la communauté turque et l'ont présenté comme un problème en comparaison avec celui relativement bas des Grecs chrétiens.
        Ils ont également décidé d'adopter des mesures dans le but d'empêcher les Turcs ethniques d'organiser un parti politique minoritaire.
        Les mesures prévues pour renverser la situation incluent le changement de la composition de la population dans cette zone en fournissant du travail et des primes de rendement aux membres de la minorité turque afin qu'ils s'installent dans une autre région de la Grèce. Ils se sont également mis d'accord pour mettre sur pied un plan de développement régional pour augmenter le niveau de vie de la minorité turque qui aura pour effet de diminuer son taux de fertilité.
        Parmi les autres mesures décidées par les leaders grecs figure la division des fondations musulmanes en unités administratives séparées qui seront administrées par des corps élus. Cela diminuera de manière effective le contrôle des missions diplomatiques turques sur les fondations.
        Ils ont également prévu de restreindre les pouvoirs judiciaires les leaders religieux musulmans, les müftis, qui sont issus du droit canon islamique. Ces pouvoirs judiciaires seront transmis à des cours qui statueront conformément au Traité de Lausanne de 1922.

LES VISITES CONTROVERSÉES D'ÖZAL

        Il n'y a pas que son Premier ministre qui soit critiqué, Özal lui-même fait l'objet d'un nombre croissant d'attaques de la part de ses détracteurs, et plus spécialement le train de vie de sa famille dans le Palais Présidentiel ainsi que ses fréquentes ingérences dans les affaires gouvernementales.
        Les leaders de l'opposition, n'ayant jamais approuvé la façon dont il a été élu, continuent à boycotter toutes les réunions auxquelles Özal assiste. Ainsi, ils ont même refusé de le rencontrer aux cérémonies de la fête nationale et d'échanger avec lui des vues sur la politique turque.
        La presse et l'opposition ont critiqué violemment ses dernières visites en France et aux Etats-Unis.
        A la fin du mois de janvier, Özal accompagné de sa femme, Semra Özal, et 14 autres personnes, a effectué une visite de 10 jours aux Etats-Unis à l'occasion de laquelle, lui et son épouse ont effectué un check-up médical dont les frais ont été endossés par l'Etat turc.
        Le numéro du 30 janvier 1990 du quotidien Tercüman s'est demandé "Que la visite d'Özal aux Etats-Unis a rapporté excepté le fait de nous apprendre que le président et sa femme sont en bonne santé. Des millions de LT ont été dépensés pour financer cette visite et n'ont fait que créer des ennuis à la Turquie au lieu de lui rapporter un succès diplomatique."
        L'ancien premier ministre et leader du parti de la Juste Voie (DYP), Süleyman Demirel, a annoncé le 27 février dernier, que le président américain George Bush a envoyé une lettre véhémente au président Turgut Özal au sujet de la réaction de la Turquie au projet de loi relative à la question arménienne au Congrès américain. Il a reproché à Özal de ne pas avoir réagi à l'humiliation que Bush a infligée à l'Etat turc.
        Tous les leaders de l'opposition continuent à exercer leur pression sur Özal pour qu'il autorise des élections législatives et présidentielles anticipées aussi tôt que possible afin de sauver le pays du chaos.

LA RENCONTRE ÖZAL-MITTERRAND

        Le président Turgut Özal a rencontré le président français Mitterrand ainsi que d'autres personnalités politiques françaises à l'occasion du vernissage ou l'exposition consacrée à Süleyman le Magnifique le 13 mars dernier, à Paris.
        La controverse au sujet du voyage d'un jour d'Özal à Paris a amplifié lorsque certaines sources ont fait état des réticences de Mitterrand à accorder une entrevue au président turc.
        De plus, l'absence de Mme Semra Özal, l'épouse du président turc a fait par certains qu'elle ne désirait pas rencontrer la femme du président français, Mme Danielle Mitterrand qui a été critiquée en Turquie pour ses activités pro-kurdes.
        Pendant leur entrevue d'une heure, Özal et Mitterrand ont discuté de diverses questions telles que la candidature de la Turquie à la CEE, la question de Chypre et les événements en Europe de l'Est.
        Après sa rencontre avec le président français, Özal a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'objections catégoriques à l'entrée de la Turquie dans la Communauté européenne. Cependant, le porte-parole du Palais de l'Elysée n'a pas fait commentaire sur ce sujet et n'a déclaré que le président turc avait exprimé sa déception au sujet du rapport publié par la Commission européenne sur la candidature de la Turquie.

MALAISE CROISSANT AU SEIN DU PARTI GOUVERNEMENTAL

        Depuis l'accession d'Özal à la présidence, le malaise au sein du parti de la Mère-patrie (ANAP) ne cesse de s'accroître à un point tel qu'il déstabilise le gouvernement de Yildirim Akbulut. La nomination d'Akbulut, connu comme étant le "yes-man" d'Özal, a déjà provoqué des réactions aussi bien parmi les députés ANAP que parmi les membres du parti.
        Après les élections de 1987, l'ANAP disposait de 289 sièges à l'Assemblée nationale, ce chiffre est tombé à 282 après une série de démissions. Le gouvernement semble ébranler. Les ministres se tirent dans les pattes à travers des déclarations à la presse. Akbulut, n'a pas réussi a instaurer son autorité au sein du gouvernement ainsi qu'au sein du parti. L'échec provoqué la floraison d'un grand nombre de plaisanteries quant à son incapacité et son manque d'intelligence.
        La nomination d'Akbulut au poste de premier ministre avait été contestée dans un premier temps, par un ancien vice-premier ministre, Hasan Celal Güzel, lors du congrès du parti qui s'était tenu en novembre 1989. Cependant, Akbulut a été élu chef du parti grâce au soutien de l'Alliance Sacrée, Güzel a prouvé sa force au sein du parti en obtenant 382 voix contre 739 à Akbulut.
        Le second coup à l'unité du parti a été porté au travers de la démission récente du ministre des Affaires étrangères Mesut Yilmaz. Il était l'un des deux ministres appartenant au cabinet actuel, qui avait servi dans tous les gouvernements ANAP depuis 1983.
        Depuis la formation du nouveau gouvernement, les prises de position d'Akbulut sur différents points de la politique extérieure turque avaient perturbé la ligne de conduite adoptée par le ministre des Affaires étrangères. Le conflit entre les deux hommes et leurs supporters est apparu le 20 février dernier à la veille du débat général tenu au Parlement sur des dossiers relatifs à la politique étrangère turque, lorsque Yilmaz a remis sa lettre de démission au Premier ministre. Akbulut a immédiatement nommé le ministre d'Etat Ali Bozer à sa place. Ce dernier était chargé des relations de la Turquie avec les communautés Européennes.
        La démission de Yilmaz a fait courir dans les lobby politiques d'Ankara, le bruit que c'était la première étape de sa tentative de supplanter Akbulut à la tête du gouvernement et du parti. De plus, les deux ministres démissionnaires, Hasan Celal Güzel et Mesut Yilmaz, ont fréquemment proposé l'ouverture d'une stratégie commune pour faire cesser la direction d'Akbulut au sein de l'ANAP lors du prochain congrès du parti prévu pour 1991.
        Devant l'opposition commune de ces deux anciens et prestigieux ministres, Özal et Akbulut doivent faire plus de concessions à l'Alliance Sacrée au sein du gouvernement et du parti. Par exemple, pendant sa visite de quatre jours en Iran, le premier ministre a nommé le ministre d'Etat Mehmet Kececiler premier ministre en exercice. Ce dernier est le leader de la faction islamique conservatrice de l'Alliance Sacrée qui domine la majorité des organisations provinciales du parti.
        Mais cette tendance a donné lieu à des réactions non seulement au sein des cercles laïcs mais aussi parmi les ministres libéraux de l'ANAP. Suite à ces réactions, Kececiler a dû renoncer à présider la réunion du cabinet pendant l'absence du Premier Ministre lorsqu'il s'est avéré que de nombreux ministres libéraux avaient l'intention  de le boycotter.
        Des rumeurs circulent comme quoi si Akbulut ne démissionne pas dans les jours qui viennent, le président Özal va se voir obligé de le remplacer par un autre de ses hommes de confiance.