SECOND FRONT
“Lorsque, vendredi dernier, la première vague
d’avions américains a décollé du sud de la Turquie pour aller bombarder
l’Irak, la politique étrangère de la Turquie est entrée dans la phase
la plus interventionniste depuis la dissolution de l’Empire Ottoman.
Mettant un terme à la période d’Atatürk, qui tenta d’éviter à la
Turquie des conflits avec ses voisins, cet événement semble marquer la
reprise de la politique de pouvoir régional turque.” (Le Daily
Telegraph, 22.1.1991)
“Saddam s’en va, la Turquie prend le leadership, tel
est l’un des slogans qui rythme le pas des 650.000 soldats qui forment
le contingent turc. Il résume également une opinion largement partagée
selon laquelle le président Turgut Özal se prépare à jouer un rôle
beaucoup plus important dans la région, indépendamment du fait que les
forces turques participent ou ne participent pas à la Guerre du Golfe.”
(Le Financial Times, 28.1.1991)
Comme l’indiquent ces deux commentaires parus dans
la presse britannique à une semaine d’intervalle, les dirigeants turcs,
malgré l’opposition d’une écrasante majorité de la population, ont
ouvertement opté pour une politique d’expansion dans le Moyen-Orient.
Le 17 janvier, dans une nouvelle démarche visant à
ouvrir le deuxième front dans la Guerre du Golfe, le Parti de la Mère
Patrie (ANAP) majoritaire au Parlement, guidé par Özal, a décidé
d’autoriser l’aviation américaine stationnée dans la base aérienne
d’Incirlik à bombarder des cibles au nord de l’Irak.
Un jour avant le déclenchement des hostilités dans
le Golfe, Özal avait rencontré, par groupes de 30, les députés de
l’ANAP dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale et avait déclaré: “Si
Dieu le veut, la Turquie sortira grandie de cette crise. Notre armée
deviendra un instrument de défense doué d’une capacité de mouvement
accrue grâce aux contributions du Fonds de Défense et au soutien que
nous allons recevoir (de l’étranger).”
Au cours d’une session mouvementée à l’Assemblée
Nationale, Erdal Inönü, leader du principal parti de l’opposition, le
Parti Populiste Social Démocrate (SHP), accusa le gouvernement de
désinformer délibérément le public pour masquer son intention d’entrer
en guerre avec l’Irak. Inönü ajouta qu’Özal n’interprétait pas
correctement la résolution des Nations Unies autorisant les recours à
la force contre l’Irak. "Tout ceci équivaut à dire que la Turquie va
entrer en guerre avec l’Irak. Pourquoi ne le dites-vous pas ouvertement
au lieu d’avoir recours à des scénarios obscurs? Il ne peut y avoir
d’unité nationale autour de vos tentatives de duperie et de
désinformation,” a-t-il dit.
Süleyman Demirel, ancien premier ministre et leader
du Parti de la Juste Voie (DYP), déclara que le véritable but du
gouvernement était d’engager la Turquie dans la guerre et que ses
déclarations selon lesquelles la Turquie n’avait aucune intention de
livrer bataille n’avaient pas la moindre valeur. Demirel ajouta que le
gouvernement d’Ankara avait hâte de participer à la guerre car les
Etats-Unis voulaient voir la Turquie prendre part aux combats.
A la fin du débat, le projet fut approuvé par 250
votes contre 148.
Le Kurdistan transformé en arsenal
Six heures après que l’assemblée législative ait adopté la mesure,
quelque 25 avions de combat américains décollèrent de la base aérienne
d’Incirlik à Adana en compagnie de trois avions ravitailleurs et de
deux AWACS équipés de radars et ne sont rentrés que trois heures plus
tard. On venait donc d’ouvrir un deuxième front contre l’Irak.
Redoutant la réaction populaire, le Ministère turc
des affaires étrangères affirma qu’ils avaient procédé à un
entraînement de combat de trois heures. Mais des officiels du Pentagone
l’ont immédiatement contredit en annonçant que des avions qui avaient
décollé de Turquie s’étaient joints à l’opération de bombardement qui
se déroulait sur l’Irak.
La Télévision et la Radio Turques (TRT), qui
émettent 24 heures sur 24 depuis le déclenchement de la Guerre du
Golfe, relayant CNN en direct, ont interrompu leur programme pendant
que le présentateur de CNN déclarait que des avions d’Incirlik
s’étaient joints à la force alliée pour bombarder l’Irak.
Le même jour, 48 avions de combat américains
demandés par le Premier Ministre Akbulut, atterrissaient à la base
aérienne d’Incirlik. Parmi ces avions, il y avait 14 F-15, 10 F-4G, 14
F-16, 4 F-111 et 6 EF-111.
Selon certains rapports, le quartier général de
l’état-major ignorait que le gouvernement avait demandé ces avions aux
Etats-Unis.
Le 16 janvier, afin de protéger les forces alliées
stationnées dans la région contre les missiles irakiens, des missiles
Patriot en provenance des Pays-Bas étaient déjà arrivés en Turquie et
avaient été disposés dans les provinces du sud.
Lorsque la Turquie entra en guerre, les forces
turques et étrangères accumulées dans les bases aériennes du Sud-Est,
étaient les suivantes:
Quatre escadrons de F-4 turcs, des avions de
reconnaissance italiens RF-104 et des Alpha-Jets allemands à la base
aérienne de Erhac à Malatya: trois escadrons de F-16, F-111 et F-15,
les 48 avions américains récemment arrivés et 4 avions de
ravitaillement américains à la base d’Incirlik près d’Adana; trois
escadrons de F-104 et F-16 turcs et des Mirage-5 belges à la base
militaire de Diyarbakir; deux escadrons d’avions RF-4 et F-5 à la base
de Mus; un escadron de F-104 turc à la base de Batman; et un
escadron de F-16 turc à la base d’Erzurum.
Bien que les autorités belges, allemandes et
italiennes soutenaient que leurs forces AMF étaient envoyées en Turquie
uniquement pour des missions de dissuasion et de défense, tous leurs
escadrons ont été placés sous le commandement du général turc Oner
Dincer. Ce dernier, quant à lui, est sous le commandement des généraux
américains opérant dans le cadre de l’OTAN.
Le 15 janvier, plusieurs navires de guerre et
sous-marins turcs ont quitté le port de Mersin dans la Méditerranée.
Des sources non officielles ont affirmé que les navires de guerre
mouilleraient au large des côtes de la partie turque de Chypre. En
outre, tous les vaisseaux et frégates de la base navale de Gölcük ont
été envoyés vers plusieurs ports de la Mer Egée et de la Méditerranée.
Toutes les divisions du deuxième corps de l’armée de
Diyarbakir ont été déplacées vers la frontière.
Les Forces Armées turques ont stationné des
divisions blindées à Cizre et dans d’autres points le long de la
frontière irakienne. Une division blindée fut également envoyée à
Gaziantep, près de la frontière syrienne, soi-disant pour contrer toute
attaque de la Syrie contre la Turquie. Des canons de 106 et 105
millimètres ont également été disposés le long de la ligne de
Cizre-Silopi. Les troupes sont concentrées principalement entre Cizre,
à l’ouest, et le passage frontalier de Habur à l’est.
Après que les avions américains, partis d’Incirlik,
aient commencé à bombarder Bagdad, les villes d’Hakkari, Habur, Silopi
et Cizre furent soumises à un black-out et l’autoroute Habur-Silopi fut
interdite aux véhicules privés.
Menace d’une riposte irakienne
Tandis que les Forces Armées turques poursuivent la mise en place d’un
camp militaire dans les provinces kurdes le long de la frontière
irakienne, la population de cette région a entamé un exode vers les
provinces moins exposées de l’Ouest, et des officiels locaux se
plaignent de l’absence de mesures pour protéger la population civile.
Dix personnes seraient mortes de suffocation chez
elles, alors qu’elles essayaient de prendre des précautions contre une
attaque à l’arme chimique. Dans cette région, les Kurdes, les Assyriens
et les Chaldéens de confession chrétienne constituent une écrasante
majorité.
Le maire d’Incirlik, Cumali Kar, déclara: “Incirlik
deviendrait une cible en cas de guerre et ses habitants ont raison de
fuir. Alors qu’à la base, des mesures de sécurité exceptionnelles sont
adoptées, ici nous ne disposons même pas d’un abri.”
Le maire de Silopi, Neset Oktem, membre du parti au
gouvernement, l’ANAP déclara: “Même s’ils m’exécutent, je ne peux
m’empêcher de dire ceci: l’attitude irresponsable du gouvernement a
transformé cette région en une zone butoir. C’est comme si ses
habitants n’étaient plus considérés comme des citoyens.”
Mustafa Büyük, gouverneur de Cizre, dit ceci: “Bien
que les citoyens réclament des abris en cas de guerre, même le bureau
du gouverneur n’en a pas.”
Dans la province d’Hakkari, située dans le Sud-est,
à la frontière irakienne, les villes de Cukurca, Yuksekova et Semdinli,
ainsi que 25 villages des environs ont été presque totalement évacués.
L’Université de Dicle, à Diyarbakir, a annoncé un
“congé de guerre” non officiel car de ses 8.500 étudiants, près de
6.000 ont quitté la ville en direction des provinces occidentales.
Les ecclésiastiques locaux ont invité la population
demeurant dans le Sud-est à se tourner vers la religion et à prier
avant que ne se produise la “catastrophe”.
Manifestations anti-guerre
Les sondages d’opinion montrent qu’environs 80% de la population est
contraire à toute participation de la Turquie à la guerre. Les
manifestations massives contre la guerre organisées le 13 janvier par
le principal parti d'opposition SHP à Pendik ont donné lieu à un mort,
un blessé et 22 arrestations.
Après la manifestation de protestation qui rassembla
une foule estimée à 80.000 personnes, il s’est produit un affrontement
entre la police et un groupe de 300 participants. La police ouvrit le
feu pour disperser les manifestants, parmi lesquels, certains sont
montés dans un train de banlieue pour fuir.
Alors qu’il s’adressait au rassemblement, le leader
du SHP, Inönü, a déclaré que le Président Özal profitait de la crise du
Golfe pour cacher son échec à résoudre les problèmes de la Turquie et
était en train de jouer avec la vie de son peuple.
Des dizaines de milliers de personnes, parmi
lesquelles se trouvaient même des représentants des syndicats et des
associations, portaient des casquettes avec l’inscription “Non à la
Guerre” et brandissaient des bannières sur lesquelles on pouvait lire:
“Pas de sang versé pour les Etats-Unis ni pour les sheiks du pétrole”,
“La guerre équivaut à la famine, la destruction et la misère” et “La
jeunesse ne sera pas au service des assassins de l’impérialisme”.
Nermin Alkan, une écolière relâchée après 73 jours
de détention pour avoir écrit “Non à la guerre” est également montée
sur la scène. Rejetant l’anonymat que lui confère son caractère de
mineure, la jeune fille de 16 ans a demandé qu’on la reconnaisse par
son nom complet, lançant un appel pour que soit poursuivi la lutte pour
la paix.
Des groupes fondamentalistes islamiques, quant à
eux, ont également manifesté, vendredi, à Istanbul et dans d’autres
villes de Turquie, leur désaccord sur la guerre menée contre l’Irak et
ont reproché au gouvernement d’avoir pris le parti des Etats-Unis.
Le 18 janvier, après la prière du vendredi, deux
mille personnes se sont réunies à l’extérieur de la mosquée du 16ème
siècle, Süleymaniye à Istanbul, et ont commencé à chanter “Allah est
grand”.
Au cours de la manifestation, des drapeaux
américains et israéliens furent brûlés et sur les murs, furent
accrochés des posters portant les inscriptions suivantes: “A bas les
ennemis de l’Islam”, “A bas les USA” et “Saddam est un prétexte, le
véritable objectif, c’est l’Islam”.
Cependant, les brochures distribuées par les
manifestants condamnent également Saddam Hussein, le qualifiant de
“criminel dont les mains sont imprégnées du sang de l’Islam”. “Notre
différend avec Hussein est un problème régional et ne peut être utilisé
comme prétexte pour justifier la présence des Américains”,
indiquaient-elles.
Elles lançaient un appel aux musulmans turcs pour
qu’ils agissent ouvertement contre les tentatives des Américains visant
à mêler la Turquie à la croisade menée contre les populations
musulmanes du Moyen-Orient.
La politique pro-américaine du gouvernement a
également été confrontée à des actions armées. Des attentats à la bombe
dans les grandes villes, surtout contre des objectifs américains, n’ont
fait qu’accroître la tension.
Le 14 janvier, des attentats à la bombe ont
endommagé les bureaux de l’Association Turque des Employeurs des
Industries Sidérurgiques (MESS) à Istanbul ainsi que ceux du parti de
la Mère-Patrie (ANAP) à Ankara. L’organisation clandestine Gauche
Révolutionnaire (Dev-Sol) a revendiqué ces premiers attentats.
Dans les appels téléphoniques adressés aux journaux,
Dev-Sol a déclaré: “Ces attentats sont sans grande importance. Si la
Turquie continue à soutenir les Etats-Unis dans la Crise du Golfe, les
ambassades étrangères de l’impérialisme sauteront l’une après l’autre.
S’il le faut, nous ferons sauter la base aérienne de l’OTAN à Incirlik.”
En fait, depuis que la Turquie a permis aux
Etats-Unis d’utiliser la base aérienne d’Incirlik, des explosions ont
touché des institutions américaines, françaises et saoudiennes dans
plusieurs villes.
Le 26 janvier, deux nouvelles explosions se sont
produites à Adana, près de la base d’Incirlik, point de départ des
sorties américaines. Une voiture stationnés près du consulat américain
ainsi que le bâtiment de l’Association turco-américaine furent
endommagés.
Les objectifs
expansionnistes d’Özal
Il ne fait aucun doute qu’une défaite totale du président Saddam
Hussein provoquera un déséquilibre des forces que n’importe lequel de
ses voisins, la Turquie, la Syrie et l’Iran, pourrait être tenté de
combler. Parmi les dirigeants de ces trois pays, Özal semble le plus
décidé à appliquer les objectifs expansionnistes qu’il nourrit depuis
longtemps.
Après la dernière visite du secrétaire d’Etat
américain, James Baker, Özal affirma que la guerre apporterait de
grandes choses. “Nous deviendrons un grand pays, nous obtiendrons une
armée modernisée," promit-il. “La Turquie a déjà reçu des Etats-Unis du
matériel militaire pour une valeur de 335 millions de dollars. Les
prêts concédés à la Turquie par les Etats-Unis devraient tourner autour
des 7 milliards de dollars. Outre le projet commun avec les Etats-Unis,
actuellement en cours, pour construire 160 chasseurs F-16 en Turquie,
j’ai obtenu l’accord de Washington pour fabriquer 120 nouveaux F-16
dans l’usine située près d’Ankara.”
Özal espère également recevoir du matériel militaire
pour une valeur de 7 milliards de dollars en raison des continuelles
réductions d’armes en Europe.
Les officiels turcs parlent souvent du “rôle
stabilisateurs” que devra jouer Ankara après la guerre. Dans son
interprétation la plus forte, ce serait celui de gendarme régional,
avec les Etats-Unis et Israël.
Comme nous l’avons expliqué dans les précédents
bulletins d’Info-Türk, une partie des dirigeants turcs sont très
attachés à une vieille revendication sur les champs pétrolières de
Kirkuk et Mosul dans le nord de l’Irak. Bien que les officiels
prétendent que ces revendications ont été abandonnées après que le
territoire soit remis à l’Irak sous mandat britannique en vertu d’une
décision de la Ligue des nations en 1926, si le démembrement de l’Irak
devient imminent, l’armée turque est censée occuper ce territoire riche
en pétrole sous prétexte d’éviter toute tentative d’établir un état
kurde au nord de l’Irak.
La minorité kurde de 15 million, soumise à une
répression brutale depuis des décennies, s'est déjà engagée dans une
lutte de libération efficace.
Certains analystes soutiennent même qu’à long terme,
l’ambition d’Özal est de créer une région kurde plus vaste s’étendant
sur le sud-est de la Turquie et le nord de l’Irak, qui serait placée
sous tutelle turque.
Une récente décision du gouvernement turc fut
ressentie comme un premier pas dans cette direction. Le 26 janvier,
celui-ci a décidé de lever l’interdiction, vieille de 70 ans, de parler
et d’émettre en langue kurde. Özal espère que cette concession calmera
la population kurde et les fera accepter la tutelle turque.
Un autre rêve que nourrit Özal est de développer le
rôle de la Turquie en tant que puissance économique bienfaisante dans
la région. Il a déjà avancé un plan pour apporter le surplus d’eau de
son pays à des projets d’irrigation en Syrie et en Irak, éventuellement
en échange de pétrole. Le monde des affaires turc a déjà commencé à
calculer les fabuleux profits que seront réalisés dans la
reconstruction de l’Irak après la guerre.
Özal espère également que sa position pro-américaine
pourra accélérer l’intégration de la Turquie dans la Communauté
Européenne en tant que membre à part entière.
Dans ses calculs, Özal semble cependant oublier un
facteur indispensable. Pour être une puissance régionale, un pays doit
avoir le respect et la confiance des ses voisins.
Comme le soulignait le journal Cumhuriyet, dans son
édition du 18 janvier, la politique d’Özal, qui permet aux Etats-Unis
de bombarder un pays arabe, a déjà reçu les critiques des autres pays
arabes ainsi que de l’Iran. La Syrie et l’Iran ont déjà annoncé que si
des troupes turques pénétraient en territoire irakien, ils ne
resteraient pas les bras croisés.
Des rapports provenant d’Ankara indiquent également
que la participation de la Turquie à la guerre suscite des inquiétudes
à Moscou. Les engagements pro-américains d’Özal ont déjà
considérablement restreint le champ de manœuvres de la Turquie.
Les courants politiques kurdes de Turquie, d’Irak,
d’Iran et de Syrie ont souligné à maintes reprises qu’ils
n’accepteraient jamais une tutelle turque, quels que soient les droits
accordés par Ankara au peuple kurde.
Ce qui est plus important, c’est que la population
turque elle-même, à travers tous ses partis politiques, ses syndicats,
ses organisations démocratiques et ses médias s’oppose à la politique
“secrète” que mène Özal en collaboration avec Washington.
Interdiction de toutes
les grèves
sous pretexte de LA guerre
Le gouvernement turc, invoquant l’état de guerre,
interdit toutes les grèves depuis le 26 janvier.
Comme nous l’indiqiuons dans nos précédents numéros,
en raison de la politique anti-sociale du gouvernement, les troubles
sociaux ont atteint des proportions inédites.
La grève générale d’un jour qu’ont suivie plus d’un
million et demi de travailleurs dans toute la Turquie et la longue
marche des mineurs en compagnie de leurs familles entre Zonguldak et
Ankara constituent les actes les plus spectaculaires récemment
entrepris par les travailleurs.
Début 1991, plus de 180.000 travailleurs,
principalement dans les secteurs des mines de charbon et des usines
sidérurgiques étaient en grève. On s’attendait à ce que 300.000
travailleurs se mettent en grève dans d’autres secteurs comme celui du
papier, du textile et du transport aérien.
Un jour de grève générale
Le 13 janvier 1991, plus d’un million et demi de
travailleurs sont restés chez eux pour dénoncer l’échec du gouvernement
à satisfaire leurs revendications salariales. Dans les grands centre
urbains, la vie fut totalement paralysée par la réponse massive que
reçut cette convocation.
Plus de 90% des travailleurs syndiqués à la
Confédération des Syndicats Turcs (TURK-IS) et près de 50% de ceux de
HAK-IS ne se sont pas rendus à leur travail.
Dans la région habitée par la population kurde,
soumise à un état d’urgence, l’appel à la grève, qui fut suivie par
près de 100% des travailleurs, eut plus de succès.
L’acte fut suivi massivement malgré le recours par
le gouvernement et les employeurs à tous les moyens possibles
d’intimidation et de menace. Le gouvernement menaça de licencier les
travailleurs du secteur public participant à la grève et le Syndicat
des Employeurs des Secteurs Publics ont obtenu du 8ème Tribunal du
Travail d’Ankara une injonction qui indique que cette action pourrait
constituer une grève illégale.
Le leader du Parti Populiste Social Démocrate (SHP),
Inönü, a affirmé que l’action des travailleurs ne pouvait pas être
assimilée à un simple jour de grève mais qu’elle était le résultat de
la pression inflationniste. “Cette action découle de l’attitude
anti-démocratique du gouvernement turc qui est en train de détruire la
paix laborale. Les lois devraient être modifiées en vue de rétablir
cette paix” déclara-t-il.
Longue marche de mineurs des charbonnages
Juste après cette grève générale, la marche qui
conduisit près de 100.000 mineurs et leurs supporters de Zonguldak à
Ankara constitua une première puisque c’est la première fois dans
l’histoire de la Turquie qu’une grève et une manifestation de
travailleurs récolte un tel soutien parmi la population.
Première dans son genre, la marche des mineurs
commença le 4 janvier, au trente-sixième jour de grève pour obtenir une
augmentation salariale et de meilleures conditions de travail (Voir
Info-Türk, décembre 1990).
Lorsque la police et les troupes ont empêché les bus
de quitter Zonguldak, les mineurs et leurs supporters ont pris la route
à pied.
La marche se transforma en manifestation de
travailleurs la plus spectaculaire de l’histoire de la Turquie, gagnant
plus de 50.000 participants pour arriver à environ 100.000 personnes au
cinquième jour.
Les mineurs mécontants furent rejoints par leurs
femmes, des mineurs à la retraite, des personnes des villages
avoisinants et des membres de la gauche turque sympathisant avec la
marche. Même quelques députés de droite appartenant au Parti de la
Juste Voie (DYP) se sont joints aux marcheurs.
A pied dans des températures glaciales, les mineurs
ont passé la première nuit à Devrek, le long de la route d’Ankara et la
deuxième à Mengen. Le 6 janvier, cependant, les marcheurs furent
arrêtés par une barricade de bulldozers, 5.000 soldats et des forces de
police qui les ont obligés à passer la nuit sur le trançon de route de
12 kilomètres qui s’étend entre Mengen et la barricade.
Le ministère de l’intérieur envoya des instructions
aux gouverneurs provinciaux de Zonguldak, Bolu et Ankara pour qu’ils
arrêtent la marche. La directive disait que la marche était illégale
car son but n’était pas de voyager mais de manifester”.
Lorsque les marcheurs sont arrivés à la barricade,
la tension atteignit son point culminant, la plupart d’entre eux
rejetant l’idée de retourner à Zonguldak. “Même si ça doit nous coûter
la vie nous marcherons!” criaient-ils. “Nous avons brûlé les ponts,
nous ne retournerons pas!”
Lorsqu’un groupe de marcheurs refusa d’obéir aux
ordres des officiers de la sécurité et de faire marche arrière, 201
personnes furent arrêtées au cours d’une petite bagarre avec la police.
Après avoir été interrogés par la police locale dans un stade de
football à Mengen, ils furent conduits au quartier général de la police
d’Ankara pour être jugés par la Cour de Sûreté de l’Etat.
Au cours de la journée de dimanche, étant donné que
des personnes arrivaient de Zonguldak et des villes environnantes, le
nombre des participants augmenta, atteignant un nouveau record. Des
réserves de sang, des couvertures et des vêtements en laine
commencèrent également à affluer de Zonguldak. Des marchandises
similaires provenant d’Ankara furent renvoyés le long de l’itinéraire
par les forces de sécurité.
Le 8 janvier, dans des conditions intenables, le
syndicat des mineurs décida d’éviter la violence et interrompit la
marche de 280 kilomètres. Sur ce, le leader syndicaliste, Semsi
Denizer, et le ministre du travail, Imren Aykut, reprirent les
négociations des conventions collectives.
Protestations dans le monde entier
Le barrage sur la route imposé à la marche par les
forces de sécurité et la détention des grévistes a soulevé les
protestations des organisations syndicales internationales.
Dans une note écrite émise au cours d’une réunion
tenue le 9 janvier à Amsterdam, les Secrétaires Généraux des
Secrétariats Internationaux du Travail (ITS) et de la Confédération
International des Syndicats Libres (CISL), qui représente pus de 100
millions de travailleurs dans le monde entier:
“protestent contre les forces de sécurité pour
qu’elles laissent passer l’assistance humanitaire destinée aux
marcheurs;
“exigent la mise en liberté inconditionnelle de tous
les détenus et la garantie que d’autres mesures répressives à
l’encontre des grévistes et de leurs leaders ne seront pas adoptées;
“demandent la reprise, dans un climat de confiance,
des négociations des justes revendications salariales soumises par les
grévistes afin de restaurer leur pouvoir d’achat, et veulent un avenir
bien planifié pour l’industrie minière turque;
“condamnent les remarques sévères et insultantes
qu’aurait prononcées M. Turgut Özal, président de la Turquie à l’égard
des mineurs, d’autant pus que les observations rapportées ne sont pas
en accord avec l’impartialité de la fonction présidentielle;
“rappelent que ce désaccord n’est qu’un exemple de
la dégradation des relations industrielles en Turquie et de la
répression à laquelle sont soumis les syndicats;
“misent sur le soutien continu du mouvement
international des syndicats à la lutte que mènent les syndicats turcs
pour un rétablissement complet de la démocratie et des droits de
l’homme en Turquie, sans oublier les droits des syndicats, tel que le
droit à s’organiser et le droit à la grève aussi bien dans le secteur
public que privé;
“somment d’appliquer les conventions et les
recommandations de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en
Turquie, en particulier celles qui concernent la liberté d’association
et la convention collective;
"réitèrent l’opinion solidement ancrée du mouvement
syndical international selon laquelle l’intégration de la Turquie à la
Communauté Européenne ne peut être envisagée avant que ces droits
fondamentaux ne soient garantis dans ce pays.”
Le même jour, dans un communiqué de presse, le
Secrétaire Général de la Confédération Européenne des Syndicats (CES),
Mathias Hinterscheikd, affirma: “Pour l’CES, il est clair qu’une telle
Turquie n’a pas sa place parmi les démocraties européennes. La CES
continuera à faire usage de toute son influence pour éviter que la
Turquie, qui viole systématiquement les droits des syndicats et les
droits fondamentaux, ne devienne membre de la Communauté Européenne.”
Cependant, le 26 janvier, le gouvernement turc,
faisant fi d’ignorer ces protestations et sans même attendre les
résultats des discussions entre le syndicat et le Ministère du Travail,
décréta que toutes les grèves étaient suspendues dans tout le pays pour
60 jours prétextant que les intérêts nationaux étaient menacés en
raison de la Guerre du Golfe.
Modification du décret de déportation!
Le 16 décembre 1990, dans une nouvelle manœuvre
politique, le Conseil des Ministres abrogea lesdits “Décrets de Censure
et Déportation”, N° 413 et 424, mais les remplaça par un nouveau décret
d’urgence.
La décision fut prise quelques jours avant que la
Cour Constitutionnelle ne prenne la décision d’abroger ces
décrets.
Le nouveau décret N°430 maintient toutes les
mesures, tel que la fermeture de n’importe quelle publication ou
imprimerie et l’émigration forcée des individus indésirables dans les
sud-est de la Turquie, mais il apporte une certaine souplesse dans la
procédure.
L’opposition qualifia l’acte d’astuce pour
contourner la Constitution.
15.000 suspects recherchés par la police
Selon les statistiques parues dans le Dateline du 5
janvier 1991, émanant des postes de police turcs, la police continuera
à traquer environ 15.000 personnes figurant sur la liste des recherchés
pour 1991.
Les statistiques de la polie montrent que la liste
comprend des individus dont l’arrestation a été ordonnée par les cours
et d’autres dont les liens avec des activités illégales ont été établis
par la police.
Parmi les personnes recherchées, 20 sont accusées de
meurtre, 243 de crimes politiques et une écrasante majorité de 2.568
personnes sont accusées de déserter le service militaire.
10 milliards de LT pour les informateurs
Le ministère de l’intérieur a destiné une
somme de 10 milliards de TL (3.5 millions de dollars) au payement des
informateurs de la police et des délinquants qui se rendent d’eux-mêmes
aux autorités.
Selon le projet de budget, les sommes assignées par
le Ministère de l’intérieur aux “opérations secrètes”, surtout pour les
informateurs, ont été augmentées cette année de 114%.
En vertu d’une loi adoptée le 5 juin 1985, les
inculpés politiques qui dénoncent leurs anciennes organisations sont
pardonnés, et au besoin, bénéficient de chirurgie esthétique gratuite.
Dans certains cas, ils reçoivent une nouvelle carte d’identité (portant
un nom différent) et sont envoyés à l’étranger.
Arrestations, procès et pressions en décembre
Le 4/12, dix personnes accusées d’appartenir au PKK
furent arrêtées à Antalya. Elles seront jugées par la CSE d’Izmir.
Le 5/12, dix membres présumés du PKK furent traduits
devant la CSE de Diyarbakir. Abdullah Ocalan, frère du leader du PKK,
se trouve également parmi les détenus.
Le 5/12, pour la deuxième fois, la police fit une
descente dans l’Association Culturelle de Mamak à Ankara et arrêta 12
personnes. Cette même association avait subi une autre descente le 27
novembre et six personnes avaient été arrêtées.
Le 6/12, fut conclu le procès de 49 personnes
accusées d’avoir organisé une manifestation non-autorisée le 1er mai
1989 à Istanbul. La CSE d’Istanbul condamna 24 accusés à des peines de
prison allant jusqu’à 15 mois.
Le 7/12, le gouverneur d’Istanbul ordonna la
fermeture de l’Association pour la Solidarité avec la Jeunesse de
l’Education Supérieure (IYO-DER).
Le 8/12, les forces de sécurité arrêtèrent 27 Kurdes
dans les provinces de Sirnak et Elazig pour avoir abrité des
guérilleros du PKK.
Le 8/12, la CSE d’Ankara condamna six personnes à
des peines de prison allant jusqu’à 29 ans pour appartenance à une
organisation hors-la-loi.
Le 8/12, la police arrêta vingt personnes au cours
d’un grand rassemblement de solidarité envers les mineurs en grève à
Izmir.
Le 10/12, un étudiant universitaire, Haydar Kus, fut
traduit devant la CSE de Malatya. Accusé d’être du PKK, iIl risque la
peine capitale.
Le 10/12, le gouverneur d’Izmir interdit les posters
et les tracts à l’occasion du Jour des Droits d’ l’Homme.
Le 12/12, les forces de sécurité abattirent une
femme et un enfant dans la ville de Lice, située dans le sud-est près
de Diyarbakir, alors que les fermiers des villages de Dibek et Cinizli
défilaient devant le bureau du gouverneur local pour protester contre
le terrorisme d’Etat dans la région. Après l’incident, 25 personnes
furent arrêtées par la police. Les commercants fermèrent leur boutiques
en signe de protestation.
Le 12/12, Ahmet Aksoy fut accusé d’appartenir au PKK
devant la CSE d’Izmir et risque la peine capitale.
Le 13/12, s’ouvrit un nouveau procès contre 44
membres supposés du PKK à la CSE de Diyarbakir. Sept accusés risquent
la peine capitale.
Le 13/12, ka CSE d’Ankara condamna un membre du PKK,
Ercan Kavak, à 8 ans de prison.
Le 13/12, 15 étudiants de l’école professionnelle de
Iskenderun furent arrêtés pour avoir organisé une réunion à l’occasion
du Jour des Droits de l’Homme.
Le 14/12, la CSE d’Erzincan condamna 8 membres du
PKK à des peines de prison allant jusqu’à 20 ans.
Le 14/12, un dirigeant du IHD, le juriste Hasan
Hüseyin Reyhan fut arrêté à Iskenderun. Il sera jugé par la CSE de
Malatya.
Le 14/12, le gouverneur d’Istanbul ordonna la
fermeture définitive de l’Association de Solidarité envers les Familles
des Prisonniers (TAYAD). Au cours de l’exécution de l’ordre, la police
confisqua tous les documents de l’association.
Le 16/12, le gouverneur régional de Bismil interdit
l’interprétation de chansons kurdes lors des cérémonies de mariage.
Le 16/12, à Ankara, 17 personnes furent traduites
devant la CSE accusées d’activités religieuses. Elles risquent toutes
des peines de prison allant jusqu’à 12 ans.
Le 16/12, dans un nouveau procès contre la Gauche
Révolutionnaire (Dev-Sol) à la CSE de Malatya, 14 accusés
risquent des peines de prison allant jusqu’à 12 ans.
Le 17/12, à Cizre, six personnes furent arrêtées
pour avoir organisé une manifestation de solidarité envers les
travailleurs en grève.
Le 18/12, quatre étudiants de l’Université
d’Hacettepe furent arrêtés à Ankara pour avoir organisé un boycottage.
Le 19/12, à Adana, Mme Rabia Tuncer, et trois
membres de l’Association pour les Droits de l’Homme (IHD) de
Diyarbakir, furent arrêtés pour s’être exprimés en langue kurde au
cours d’une réunion. Chacun d’eux risque une peine de prison allant
jusqu’à 10 ans.
Le 21/12, l’Association Féminine pour la Lutte
Démocratique fut fermée par ordre du gouverneur d’Ankara.
Le 21/12, 1.122 écoles des provinces kurdes auraient
été fermées et plus de 30.000 étudiants seraient privés d’éducation.
Le 22/12, un total de onze militants du PKK auraient
été tués au cours d’affrontements armés avec les forces de sécurité à
Tunceli et Bingöl.
Le 22/12, dix membres du DEMKAD et du TAYAD, qui
avaient été préalablement proscrits, furent arrêtés par la police à
Ankara.
Le 22/12, la CSE de Diyarbakir condamna un garçon de
14 ans à la peine de mort, dans un premier temps, et considérant son
jeune âge commua la peine en 2 ans et 6 mois de prison. Dans le même
procès, un autre inculpé fut condamné à 7 ans de prison.
Le 23/12, à Elazig, six étudiants universitaires
furent arrêtés, accusés d’appartenir à l’Armée Révolutionnaires des
Travailleurs-Paysans de Turquie (TIKKO).
Le 23/12, une écolière de 16 ans fut traduite devant
une cour criminelle d’Istanbul pour avoir accroché sur les murs des
posters contre la guerre.
Le 27/12, à Izmir, la police arrêta 24 membres
supposés de l’Union des Jeunes Communistes (GKB).
Le 28/12, la police fit savoir que quinze membres du
PKK avaient été arrêtés à Mersin.
Le 29/12, prenait fin à la CSE d’Ankara un procès
politique qui avait duré 5 ans. Accusés d’appartenir à l’Armée de
Libération de la Turquie et du Nord du Kurdistan (TKKKO), quinze
défendeurs furent condamnés à 4 ans et 2 mois de prison chacun et 107
autres furent acquittés.
Le 29/12, un membre fondateur du IHD, le juriste
Emin Deger, fut condamné par une cour criminelle d’Ankara à une peine
de prison de 10 mois pour avoir insulté la police alors qu’il assurait
la défense d’un client dans un autre procès politique.
Le 31/12, à Izmir, deux personnes furent condamnées
à 20 mois de prison chacune pour avoir écrit sur les murs, des slogans
en faveur de la Jeunesse Progressiste (Dev-Genc).
Le 31/12, ont fit savoir qu’au cours de l’année
dernière, 25 associations ont été fermées pour avoir enfreint le Code
des Associations et 150 de leurs officiels ont été traduits devant les
tribunaux.
Poursuites contre les médias en décembre
Le 2/12, deux journalistes du quotidien Cumhuriyet,
Okay Gönensin et Cüneyt Arcayürek furent condamnés à un mois de prison
chacun pour avoir dévoilé un acte d’accusation. Par la suite, les
peines de prison furent commuées en amendes.
Le 3/12, la CSE d’Istanbul confisqua le mensuel
socialiste Atak pour propagande séparatiste.
Le 6/12, la CSE de Diyarbakir mit en accusation un
écrivain kurde de 80 ans, Musa Anter, pour avoir enfreint l’article 140
du Code Pénal turc lors d’une interview concédée à la BBC.
Le 6/12, le livre d’Hüseyin Erdem, Siyaban et Ece,
un recueil de contes kurdes et un livre sur la 3ème Conférence du Parti
TKP-ML furent confisqués par la CSE d’Istanbul. Le procureur a engagé
des poursuites contre les auteurs et les éditeurs.
Le 7/12, trois revues politiques, Yeni Ülke, Deng et
Mücadele, furent confisquées par la CSE d’Istanbul.
Le 8/12, dans une cour criminelle d’Istanbul fut
ouvert le procès de trois journalistes du journal Cumhuriyet, Ilhan
Selcuk, Okay Gönensin et Necdet Sen, accusés d’avoir critiqué le
président Özal. Chacun d’eux risque une peine de prison de 4 ans.
Le 11/12, la CSE d’Istanbul confisqua la revue
politique Devrimci Emek pour propagande séparatiste.
Le 13/12, deux journalistes du quotidien Zaman, Omer
Okcu et Servet Engin, furent condamnés par une cour criminelle d’Ankara
à un an de prison chacun pour propagande anti-séculaire. Par la suite,
leur peine fut commuée en une amende de 1.825.000 de LT chacun (650$).
Le 13/12, la Maison d’Edition Yaprak fut condamnée à
payer une amende de 12 millions de LT (4.000$) pour un livre intitulé
Graffiti Erotique.
Le 14/12, Ismail Pehlivan, rédacteur en chef de la
revue humoristique Girgir, fut traduit devant une cour criminelle pour
avoir publié une caricature dans laquelle il critique le Premier
Ministre. Il risque une peine de prison de six ans.
Le 15/12, un journaliste du quotidien Zaman, Mehmet
Kafkas, fut condamné à un total de trois ans de prison pour deux
articles dont il était l’auteur. Par la suite, la peine fut commuée en
une amende.
Le 17/12, une cour criminelle d’Usak condamna le
journaliste Mustafa Kaplan, du journal Yeni Asya, à un an de prison
pour avoir critiqué Atatürk.
Le 18/12, le gouverneur de Siirt interdit de vendre
ou écouter les cassettes des célèbres interprètes de musique
folklorique Ahmet Kaya, Bedrettin Coskun, Mehmet Sah, Besir Kaya,
Ferhat Tunc, Ali Asker et Hasan Hüseyin Demirel sous prétexte qu’ils se
livrent à de la propagande idéologique.
Le 18/12, la dernière édition de l’hebdomadaire Yeni
Ülke fut confisquée pour avoir publié l’affaiblissement du sentiment
national.
Le 20/12, le rédacteur en chef du mensuel Yeni
Cözüm, Erdogan Yasar Kopan, fut condamné par la CSE d’Istanbul à un
total de 5 ans de prison pour deux procès de presse différents. Par la
suite, la peine fut commuée en une amende de 5.950.000 LT (5.600$).
Le 21/12, deux journalistes du quotidien Zaman, le
correspondant Yilmaz Polat et le rédacteur en chef Servet Engin, furent
condamnés à 3 ans de prison chacun pour avoir insulté Atatürk.
Le 28/12, une cour criminelle d’Ankara condamna le
journal Bugün à payer une amende de 4 millions de LT (1.350$) pour
avoir insulté la femme du président.
Le 28/12, la CSE d’Istanbul condamna le rédacteur en
chef de la revue islamiste Akdogus, Sinami Orhan, à une peine de prison
de 6 ans et 3 mois pour propagande séparatiste.
Le 29/12, deux journalistes du quotidien Cumhuriyet,
Erbil Tusalp et Okay Gönensin, furent condamnés à un mois de prison et
40.000 LT d’amende (14$) chacun pour avoir dévoilé les documents d’un
procès.
Le 31/12, l’hebdomadaire 2000e Dogru qui avait été
fermé en vertu de Décret d’Urgence, fut autorisé à reprendre son
activité. Cependant, la deuxième édition parue après cette permission,
fut confisquée par la cour criminelle d’Istanbul en raison d’un article
qui soutenait que l’Armée n’obéirait pas aux ordres militaires du
président Özal.
Le 31/12, les dernières éditions de l’hebdomadaire
Yeni Ülke et du mensuel Özgür Halk furent confisquées pour propagande
séparatiste.
Les affaires réclament plus de démocratie
Dans une démarche destinée à rendre les citoyens
turcs pleinement conscients de leurs droits légaux, l’Association
Turque des Industriels et des Hommes d’Affaires (TUSIAD) a fait
paraître un rapport intitulé “Yasalarimiz, Haklarimiz” (Nos Lois, Nos
Droits).
Dans un déjeuner au cours duquel la publication du
rapport fut annoncée, le président du TUSIAD, Cem Boyner, fit savoir
que les Turcs devraient être considérés comme des “êtres humains” au
même titre que les populations “démocratiques occidentales” et qu’on ne
devrait pas leur marcher sur les pieds”.
Le rapport, compilé par un comité de 8 professeurs
de droit, contient de l’information pour défendre la justice par des
moyens légaux.
Soulignant les contradictions entre l’article 26 de
la Constitution —celui-ci précise que chacun est libre d’exprimer ses
idées par le biais de mots, publications ou autres moyens— et les
articles 141, 142 et 163 du Code Pénal Turc qui pénalisent la diffusion
de propagande ou la création d’organisations reposant sur une classe,
un groupe ethnique ou confessionnel, le rapport stipule:
“Les critiques (adressées à ces articles du Code
Pénal) reposent sur la liberté d’opinion politique, car il est vrai
que, pris dans une large perspective, le code pénal restreint la
pensée.”
Boyner affirma que l’accord de la Conférence sur la
Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) signé par les pays de l’est
et les pays occidentaux en novembre à Paris marque la fin des “régimes
oppressifs et totalitaires”, et salue la victoire du “style
démocratique occidental et de l’économie de marché”.
Effrayante persécution d’enfants
Le 25 décembre, Nermin Alkan (N.A.), un des 33
mineurs arrêtés en Turquie l’année dernière pour avoir perpétré des
crimes politiques fut relâché après son deuxième jour de procès à la
Cour de Sûreté de l’Etat d’Istanbul. Trois autres accusés dans
l’affaire, de plus de 18 ans, furent également relâchés.
Détenus durant 9 jours au quartier général de la
police politique d’Istanbul, et en prison durant 64 jours
supplémentaires, N.A. était accusée d’avoir accroché un poster contre
la guerre sur le mur de son école. Elle déclara à la cour que la police
l’avait sévèrement battue et torturée et, à cet effet, elle présenta le
rapport d’un expert en médecine légale.
L’étudiante, connue seulement par N.A. en raison de
la stipulation légale destinée à protéger les mineurs, fut remise à la
police le 4 octobre par le directeur de l’Ecole Supérieure de Pendik
alors qu’elle assistait aux cours. Son avocat affirma que le ministère
public l’avait accusée d’appartenir à une organisation clandestine
puisque les posters ne sont pas interdits par le Code Pénal Turc.
Le 3 décembre, au cours de la mouvementée première
audition de son procès, pendant laquelle 62 personnes furent arrêtées
après avoir été battues par la police, le ministère public sollicita
des peines de prison de 20 ans pour les jeunes gens.
Les quatre accusés reconnurent qu’ils étaient des
“individus progressistes”, mais nièrent appartenir à une organisation
armée clandestine.
N.A. demanda: “Est-ce un crime que de s’opposer à
une guerre injuste? Est-ce la faim et la destruction, propres à la
guerre, que vous voulez?”
Elle critiqua également la presse pour avoir insisté
sur son statut de mineure. Elle fit savoir qu’elle devrait être jugée
sur base de ses idées et non pas de son âge, et qu’elle avait un nom et
pas seulement des initiales.
Après que sa fille soit relâchée, la père de N.A.,
Hüseyin Alkan, affirma qu’elle ne serait pas en mesure d’aller à
l’école cette année et devait attendre le verdict de la Cour
Administrative d’Ankara, qui décidera de l’action qu’intentera la
famille contre l’école.
Liste des enfants poursuivis en 1990
Le 19 janvier, S.O., âgé de 16 ans, fut attrapé en
train de distribuer des pamphlets et des posters d’une organisation de
gauche et fut envoyé à la CSE d’Istanbul.
Le 16 mars, A., âgé de 15 ans, fut remis à la police
par le directeur de l’Ecole Supérieure Umraniye d’Istanbul.
Le 19 mars, N.A.., âgé de 14 ans, fut arrêté à
Suruc, accusé de garder dans sa poche un papier portant l’inscription
suivante: “Fasciste, esclave des colonialistes”.
Le 22 mars, M.A., âgé de 15 ans, et H.A., âgé de 17
ans, furent arrêtés en possession d’un livre islamique et furent
traduits devant la CSE d’Istanbul.
Le 24 mars, T.Y.., âgé de 15 ans, fut attrapé en
train d’écrire “A bas le fascisme” sur les murs des maisons et fut jugé
à la CSE d’Istanbul.
Le 27 mars, trois mineurs A.R.T., M.G. et E.K.
furent arrêtés pour avoir mis des posters dans la cour d’une école
d’enseignement secondaire et furent relâchés après 9 jours de détention.
Le 20 avril, Y.O., âgé de 17 ans, fut condamné par
la CSE de Kayseri à un mois et 10 jours de prison pour propagande
communiste.
Le 22 mai, un jeune kurde de 14 ans, ainsi que 154
autres personnes, fut traduit devant la CSE de Diyarbakir pour avoir
manifesté illégalement.
Le 24 mai, une jeune fille de 14 ans fut arrêtée à
Izmir en compagnie de 7 personnes pour avoir distribué des dépliants
clandestins.
Le 19 juin, K.I., âgé de 17 ans, fut traduit devant
la CSE d’Erzincan pour avoir participé au meurtre de 9 fonctionnaires à
Elazig.
Le 24 juin, S.O., B.B. et M.Y., âgés tous de 17 ans
et C.S., âgé de 16 ans, furent arrêtés et traduits devant la CSE
d’Istanbul pour avoir distribué des pamphlets qui disaient: “Mettons
fin à l’éducation répressive fasciste” dans une école d’Istanbul.
Le 27 juin, sept étudiants d’une école supérieure,
âgés de 15 à 18 ans, furent condamnés par la CSE d’Istanbul pour
appartenance à une organisation clandestine.
Le 12 juillet, B.C. et N.Y., âgés tous deux de 17
ans furent arrêtés et traduits devant la CSE d’Istanbul, accusés d’être
membres d’une organisation illégale à Istanbul.
Le 18 juillet, trois enfants kurdes de 11, 12 et 14
ans, furent traduits devant la CSE d’Istanbul pour avoir pris part à un
affrontement armé avec les forces de sécurités à Bünyan (Kayseri).
Le 30 juillet, F.A., âgé de 16 ans, fut arrêté au
cours d’une cérémonie de circoncision à Umraniye pour avoir joué dans
une pièce de tendance gauchiste.
Le 14 août, Y.S. et J.C, tous de 15 ans, furent
arrêtés et traduits devant la CSE d’Istanbul pour avoir pris part au
défilé du 1er mai à Istanbul.
Le 8 septembre, B.S., âgé de 17 ans, fut traduit
devant la CSE d’Istanbul pou avoir participé à des manifestations
illégales.
Le 25 septembre, A.C., une jeune fille de 12 ans fut
arrêtée au cours d’une opération policière menée contre des militants
kurdes dans le village de Kiragli.
Le 5 octobre, N.A., âgée de 16 ans, fut arrêtée pour
avoir placé des posters portant l’indication “Non à la guerre” sur les
murs d’une école d’Istanbul.
Le 27 octobre, A.O., âgé de 16 ans, fut arrêté à
Konya pour avoir écouté des cassettes musicales interdites par les
autorités.
Le 29 octobre, E.A., âgé de 12 ans, fut arrêté pour
avoir aidé le PKK.
Le 31 octobre, A.T. et S.A., tous deux de 17 ans
furent transférés à la CSE d’Izmir, accusés de propagande religieuse.
Le 3 novembre, C.K., de 16 ans, fut condamnée dans
la ville d’Akcabat pour avoir participé à un sit-in contre la guerre.
Le 9 novembre, un étudiant de 16 ans, ainsi que 18
autres étudiants, fut arrêté et torturé à Adana pour avoir participé à
des actes de protestation.
Le 12 novembre, I.A., étudiant d’une école
supérieure, fut condamné par la CSE d’Istanbul à 4 ans et 6 mois de
prison pour avoir pris part à une manifestation.
Le 27 novembre: A.O., de 17 ans, fut transféré, avec
cinq autres personnes, à la CSE de Malatya accusé d’appartenir au PKK.
Le 1er décembre, S.E., de 13 ans, et A.F. de 14,
furent arrêtés pour avoir participé à des grèves de la faim à Nusaybin
et Cizre.
Le 16 décembre, dans une action intentée contre la
Gauche Révolutionnaire (Dev-Sol) à la CSE de Malatya, quatre accusés de
moins de 18 ans risquaient une peine de prison de 12 ans.
Le 22 décembre, une écolière de 16 ans était
traduite devant une cour criminelle à Istanbul pour avoir accroché sur
les murs des posters contre la guerre.
Le 25 décembre: S.Y., de 13 ans, fut torturé au
Quartier Général de la Police d’Ankara alors qu’il essayait
d’identifier son frère, lui-même soumis à la torture.
1990:
Année noire
pour la presse
L’agence de presse turque ANKA rapporte qu’au cours
de l’année 1990, les procureurs ont intenté 586 actions en justice
contre 49 publications, 15 sont des quotidiens.
Dans 363 actions pénales, les procureurs ont demandé
un total de 2.814 ans de prison pour 302 journalistes et écrivains.
Dans 223 actions civiles, les procureurs ont demandé
aux tribunaux d’infliger aux médias des amendes pour un total de 64
milliards 177 millions de TL (20 millions de dollars).
89 publications ont fait l’objet d’une confiscation.
Parmi eux figurent également trois quotidiens: Le Günes, le Sabah et le
Bugün.
17 journalistes ont été condamnés pour avoir
critiqué le président Özal ou les membres de sa famille.
En vertu du Décret d’Urgence, deux revues
politiques, le 2000'e Dogru et le Halk Gerçegi, furent interdits le 26
juin 1990. L’imprimerie qui imprimait ces revues fut fermée pour 10
jours. La pression exercée sur les imprimeries a amené beaucoup de
revues de gauche à interrompre leurs publications.
Par ailleurs, la Fondations des Droits de l’Homme de
Turquie qualifia 1990 d’année de violations de la liberté de la presse.
La TIHV rapporte qu’au cours de l’année 1990, les
tribunaux ont condamné les journalistes à un total de 126 ans et 5 mois
de prison.
Tueries dans le Kurdistan turc
Le 30 décembre, le ministre de l’intérieur,
Abdulkadir Aksu, révéla dans une estimation de l’année dernière, qu’un
total de 313 militants du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan)
avaient été tués dans des affrontements avec les forces de sécurité au
cours de l’année 1990.
De plus, 180 membres du PKK furent arrêtés ou se
rendirent d’eux-mêmes aux forces de sécurité, portant le nombre total
de “séparatistes” hors combat à 493, alors qu’il était de 312 en 1989.
Le ministre fit savoir qu’au cours des derniers six
ans et demi, 1.432 civiles et membres des forces de sécurité avaient
perdu la vie dans des affrontements avec des groupes armés du PKK. Au
cours de la même période, 836 membres du PKK furent tués et 775 autres
furent capturés par les forces de sécurité.