Alors que les Etats-Unis attaquaient l'Irak
au nom de la démocratie et des
droits de l'homme, son allié
le plus fidèle dans la région continuait à les violer
L'HEURE DE VERITE
Tandis que des avions américains décollaient de la
base aérienne d'Incirlik, près d'Adana, pour aller bombarder des
territoires irakiens, ouvrant ainsi un deuxième front contre ce pays,
les forces de sécurité turques, de leur côté, intensifiaient la
répression contre les Kurdes et les forces d'opposition turques
protestant contre la guerre.
Selon l'édition du 19 janvier du journal Hürriyet,
les gouverneurs ont interdit 15 manifestations contre la guerre et deux
expositions. La police s'en est prise aux personnes qui essayaient
d'organiser des manifestations non-autorisées. Au cours de ces actions,
deux personnes, Yadigar Coskun d'Istanbul et Mecit Kaplan de Tavtan,
furent abattues par la police, 54 personnes furent blessés et 968
détenues. De ces derniers, 76 furent mises en état d'arrestation par
les tribunaux.
Le jour même où prenaient fin les hostilités, le 28
février 1991, les forces de sécurité ont perpétré une massacre dans la
province de Sirnak, à la frontière turco-irakienne, alors qu'elles
essayaient de disperser une manifestation formée spontanément pour
protester contre la violence de l'Armée. Le Comité du Kurdistan à
Bruxelles a affirmé dans un communiqué que les forces de sécurité
turques auraient abattu 20 Kurdes et blessé environ une centaine
d'entre eux .
Si l'on considère que le massacre des Kurdes
irakiens par Saddam Hussein était un des arguments invoqués par les
Etats-Unis pour lancer l'offensive contre l'Irak, on est en droit de
penser que le crime, encore chaud, commis par son plus fidèle allié
dans la région contre les Kurdes a déjà largement entaché la "victoire
militaire" de la Coalition.
Outre la répression existant déjà, la presse turque
fit l'objet de la censure militaire.
Dans les centres d'interrogation, la torture est
redevenue une pratique quotidienne.
Et toutes ces violations des droits de l'homme ont
été perpétrées sous prétexte de défendre la loi internationale et la
démocratie.
Etant donné que l'opinion publique occidentale était
totalement braquée sur la Guerre du Golfe et se félicitait de la
position pro-américaine d'Özal, les flagrantes violations des droits de
l'homme perpétrées dans ce pays, membre de l'OTAN, furent passées sous
silence par les médias.
De plus, les institutions européennes ont, un peu
hâtivement, considéré les manœuvres d'Özal, telle la promesse d'alléger
les restrictions imposées à la langue kurde et d'abroger les articles
141, 142 et 163 du Code Pénal Turc, comme un pas supplémentaire vers la
démocratisation de la Turquie.
Le 26 janvier, suite à la promesse d'Özal, le
Conseil des Ministres décida d'autoriser la langue kurde. Cependant,
quelques jours après, la presse rapportait que cette liberté ne serait
que partielle, car ni Özal, ni le Conseil des Ministres ne voulaient
autoriser l'enseignement en langue kurde. L'impression d'articles ou de
livres en kurde serait également interdite.
Özal semblait disposé à alléger les restrictions
imposées à la langue kurde, car le 21 novembre 1990, il avait signé la
Charte de Paris, émanant de la Conférence de Sécurité et de Coopération
en Europe (CSCE), qui conférait un poids non négligeable aux droits des
minorités.
Ce geste était également le résultat d'éventuels
changements d'après-guerre dans le Moyen-Orient. Selon certains
dépêches de presse, le Gouvernement américain promit qu'il ne tenterait
pas d'établir un état kurde dans le Moyen-Orient après la guerre, si la
Turquie apporte une amélioration au sort des Kurdes.
Au cours d'une discussion maintenue avec les
parlementaires de l'ANAP, Özal aurait dit: "Si nous n'autorisons pas la
langue kurde, nous rencontrerons pas mal de difficultés dans les
conférences qui se tiendront après la Guerre du Golfe."
Comme nous l'avons expliqué le mois dernier, à long
terme, l'ambition d'Özal est de créer une vaste région kurde comprenant
le sud-est de la Turquie et le nord de l'Irak dont l'administration
serait placée sous tutelle turque.
En outre, avant même que ne prenne fin le conflit
armé, au cours d'une interview concédée le 30 janvier au journal
Hürriyet, le président Özal avait déclaré qu'après la guerre, la
Turquie jouirait de trois avantages principaux dans le Moyen-Orient:
"Premièrement, nous serons en mesure de moderniser
nos forces armées.
"Deuxièmement, le monde occidental réalise que la
Turquie est un allié indispensable. Cette dernière verra s'intensifier
son rôle dans le Moyen-Orient tandis que diminuera la pression exercée
sur la question de Chypre.
"Et finalement, notre coopération économique et
commerciale avec les nations islamiques sera intensifiée. Il est
nécessaire de lier les économies de la région. Nous devrions adopter un
nouveau système économique et un plan de développement pour le
Moyen-Orient. A cet effet, la création d'un fonds s'avère nécessaire.
Les sources pour l'alimenter existent. Grâce au pétrole, les pays du
Moyen-Orient peuvent y contribuer. D'autres pays devraient également y
participer" déclara-t-il.
Cherchant à apaiser les critiques adressées par
l'Occident à la situation des droits de l'homme en Turquie et à
s'assurer le soutien de l'Europe au nouveau rôle de son pays, le jour
même où une délégation du Parlement Européen lui rendait visite, Özal
fit la promesse d'abroger les articles anti-démocratiques présents dans
la législation turque.
Conséquence directe de la promesse d'Özal, le 31
janvier, le Conseil des ministres décida de supprimer du Code Pénal
Turc les articles 141, 142 et 163, appliqués respectivement aux
"délits" d'organisation communiste ou séparatiste, de propagande
communiste ou séparatiste et de propagande religieuse.
Cependant, toutes ces promesses ne furent pas mises
en pratique jusqu'à la fin du mois de février. Pendant ce temps, les
dépêches de presse indiquent que le projet de loi que prépare le
gouvernement maintient beaucoup de restrictions sur l'utilisation de la
langue kurde notamment dans l'enseignement, les publications ou les
activités culturelles. D'autres part, le Ministère de la Justice est en
train de préparer une nouvelle Loi Anti-Terreur qui remplacera ledits
articles au cas où ils seraient supprimés.
Dans un communiqué adressé à la Commission des
Droits de l'Homme des Nations Unies à l'occasion de sa 47ème session,
tenue à Genève, la Fondation Turque pour les Droits de l'Homme (TIHV),
soumettait les propositions suivantes pour limiter au maximum les
violations des droits de l'homme en Turquie:
- Il est nécessaire d'établir un calendrier,
approuvé par tous les partis politiques, en vue de modifier la
Constitution de 1982 et en élaborer une nouvelle.
- Les lois et les décrets promulgués ou modifiés
après le coup d'Etat militaire de 1980 doivent être abolis et, en
accord avec les principes d'un Etat démocratique, le Parlement doit
réviser les lois suivantes:
- La loi sur les tâches et les pouvoirs de la police
- La loi électorale
- Le code sur les partis politiques
- Le Code Pénal Turc
- La loi sur les syndicats
- Le code de la Presse
- La loi sur les associations
Comme première étape de ce processus, qui peut
prendre pas mal de temps, le gouvernement devrait adopter immédiatement
les mesures suivantes:
- Abrogation du Décret N° 430 concernant
l'état d'urgence dans les 13 provinces du Sud-Est.
- Abolition des articles 141, 142 et 163 du Code
Pénal Turc concernant les délits d'opinion.
- Suppression de la Loi N° 2932 interdisant
l'utilisation de la langue kurde.
- Abolition de la peine capitale et annulation des
dossiers soumis à l'Assemblée Nationale pour être ratifiés.
- Proclamation d'une amnistie générale pour corriger
les erreurs judiciaires commises depuis dix ans et relâcher les 5.000
prisonniers politiques.
- Octroi aux réfugiés politiques privés de leur
nationalité de la possibilité de la récupérer et de retourner en
Turquie.
(Dans la première page, nous produisons un rapport
de la Fondation des Droits de l'Homme de Turquie concernant la
situation des droits de l'homme en 1990 et adressé aux organisations
des droits de l'homme internationales.)
DECES DE CINQ DETENUS
Le 10 février 1991, Helsinki Watch fit paraître le
rapport suivant concernant les tortures pratiquées actuellement en
Turquie:
"Helsinki Watch est très préoccupé par le décès en
janvier 1991 de cinq personnes arrêtées par la police, en Turquie. Nous
faisons appel au gouvernement turc pour qu'il mène une enquête
minutieuse sur chacun de ces décès et poursuivre avec sévérité les
responsables d'un éventuel recours abusif à la violence meurtrière.
"Les cinq hommes décédés, dans des circonstances
obscures, sont Tevfik Timur, Cumali Copur, Birtan Altunbas, Haydar
Arman et Ihsan Basbugu. Trois d'entre eux sont morts à Ankara, un à
Cizre et un autre à Nevsehir. Les autorités prétendent que deux d'entre
eux se sont suicidés.
Tevfik Timur
"Le 15 janvier 1991, Cumhuriyet rapportait que
Tevfik Timur avait été arrêté à Cizre le 5 janvier 1991. La police
rendit le corps à la famille le 14 janvier. Le Secrétaire Général du
Parti Socialiste, Yalçin Buyukdagli, affirma que M. Timur était mort à
la suite de tortures que lui avait infligées la police au cours de son
interrogatoire.
Cumali Copur
"Selon Ahmet Sukru Dagli, procureur de
Nevsehir, Cumali Copur, condamné pour vol et détenu à la prison du type
E de Nevsehir, se suicida le 11 janvier 1991 en se pendant avec un drap
de lit. Le 13 janvier, Cumhuriyet rapportait qu'une enquête était en
cours.
Birtan Altunbas
"Le 22 janvier 1991, Muzaffer Ilhan Erdost,
président de la section d'Ankara de l'Association des Droits de l'Homme
de Turquie, indiquait que le jeune Birtan Altunbas, qui, durant 15
jours, avait été détenu à la section politique du quartier général de
la police d'Ankara, était mort des suites des tortures qui lui avaient
été infligées. M. Altunbas décéda le 16 janvier 1991 à l'hôpital
militaire de Gülhane, et fut inhumé le 18 janvier à Malkara, à
Tekirdag. Un étudiant du nom de Murat Bobrek, détenu en compagnie de
Birtan Altunbas, déclara qu'il avait vu comment ce dernier était
torturé.
"Selon l'édition du 25 janvier du Milliyet, le
Ministre de la Justice, Oltan Sungurlu, aurait déclaré que le procureur
avait ouvert une enquête sur cette affaire. Le 31 janvier, le
Günes rapportait que le compte rendu de l'autopsie d'Altunbas n'avait
pas été remis à sa famille, bien que cette dernière l'ait réclamé.
Haydar Arman
"Le 1er février 1991, la Fondation des Droits de
l'Homme de Turquie indiquait que Haydar Arman était mort en prison le
24 janvier 1991 après avoir été détenu durant un certain temps par la
Sûreté d'Ankara. L'épouse d'Arman, Sükran Arman, communiqua à la
section d'Ankara de l'Association des Droits de l'Homme que son mari
était mort des conséquences de la torture. 'Le 26 janvier, nous avons
récupéré son corps à la morgue, et ce même jour, nous l'avons enterré',
déclara-t-elle. 'Lors de l'enterrement, j'ai vu sa tête; elle avait un
grand hématome sur le côté. Son front présentait des marques rouges.
Les hommes qui récupérèrent le corps affirmèrent que ses testicules
étaient complètement noirs. La chair du bout de ses doigts et de ses
orteils avait été arrachée'. Tekiye Arman, mère de Haydar Arman,
déclara aussi que son fils était en bonne santé au moment de sa
détention. 'Ils m'ont pris mon fils en pleine santé et m'ont rendu son
cadavre', a-t-elle dit.
Ihsan Basbugu
"Selon le Milliyet, Ihsan Basbugu, un jeune qui
avait été arrêté le 31 janvier 1991, accusé d'avoir volé deux paquets
de cigarettes, est mort au poste de police d'Anafartalar où il était
détenu. Les autorités soutiennent que Basbugu s'est suicidé. Le père de
ce dernier a ajouté: 'J'ai examiné attentivement le corps de mon fils à
la morgue. Il n'y avait aucun signe indiquant qu'il se soit suicidé…
mais il avait des marques prouvant qu'il avait été battu; j'ai vu des
contusions sous les aisselles et sur les pieds'.
***
"La mort en détention de ces cinq hommes ne
constitue pas un exemple isolé. En janvier, dans son rapport annuel,
Helsinki Watch faisait mention, dans des rapports dignes de foi, de la
mort, au cours de l'année 1990, de sept personnes en détention dans des
circonstances obscures. Ce sept personnes étaient:
"o Emine Yilmaz, de 22 ans, arrêtée en avril et
accusée d'utiliser de faux marks allemands, décéda la soir même de son
emprisonnement. Le procureur ouvrit une enquête, et le corps fut envoyé
à l'Institut d'expertise médico-légale d'Istanbul pour y être analysé.
"o Ali Akkan est mort le 6 mai à Antalya entre les
mains de la police. Il était soupçonné d'avoir donné refuge à un membre
d'une organisation illégale. Les autorités soutiennent qu'il s'est
suicidé en se jetant par la fenêtre du quartier général de la police
d'Antalya. La famille d'Akkan et l'Association des Droits de l'Homme
ont exigé une autopsie.
"o Besir Algan, un paysan de 36 ans est mort le 22
mai. Selon Fuat Atalay, membre du Parlement, il avait été arrêté et
puis abattu par les forces de sécurité dans le village de Budakli,
province de Mardin.
"o Serdar Cekic Abbasoglu, de 23 ans et soupçonné de
vol, fut trouvé mort le 4 juin, dans son lit de la Prison Centrale
d'Ankara, après un interrogatoire. Les autorités soutiennent qu'il n'y
avait pas de traces de coups sur son corps, mais 6 détenus qui étaient
avec lui déclarèrent qu'il saignait par le nez et la bouche, et que le
jour de sa mort, son lit était tâché de sang.
"o Ibrahim Ates fut arrêté le 15 juillet soupçonné
de vol. Il serait mort après avoir été jeté du balcon du quatrième
étage d'un poste de police de Mersin, dix jours après son arrestation.
La police déclara qu'il s'était suicidé.
"o Abdurrahim Tanribilir, du village de Duzova, à
Cizre, fut, selon sa mère, battu chez lui puis arrêté le 7 septembre.
Son corps fut rendu le 8 septembre. Les autorités prétendent qu'il
s'est suicidé.
"o Yakup Aktas est mort le 18 novembre, une semaine
après son arrestation, alors qu'il était en détention au Centre
d'Interrogatoire du Commandement du Régiment de la Gendarmerie de
Mardin. Les forces de sécurité ont invoqué une crise cardiaque. Sa
famille a indiqué la présence d'une blessure à la tête et des
contusions sur le corps.
"En Turquie, la torture est généralement appliquée
dans les sections politiques des quartiers généraux de la police, au
cours du premier interrogatoire du suspect. Comme ils le font depuis
des années, les activistes des droits de l'homme et les juristes
rapportent que plus de 90% des suspects politiques, ainsi que plus de
50% des détenus suspectés de crimes ordinaires sont torturés. Dans les
postes de police, la torture consiste à suspendre la victime pendant
une longue période, à lui appliquer des chocs électriques, la soumettre
à des jets d'eau à grande pression et à lui faire endurer la falaka
(frapper la plante des pieds).
"La torture n'est pas réservée aux adultes. Certains
enfants de moins de 18 ans (certains n'ont que 11 ou 12 ans), auraient
été battus par la police pour des délits tels qu'écrire "Non à la
guerre" sur un mur public, manifester le 1er mai, se battre, et
appartenir à une organisation illégale.
"Les postes de police ne sont pas non plus les seuls
à recourir à la torture. En 1990, plusieurs rapports dignes de foi ont
révélé une recrudescence de la torture dans les prisons, principalement
sous la forme de passages à tabac à l'aide de matraques ou de bâtons en
bois.
Recommandations
"Depuis un certain temps, Helsinki Watch est
profondément préoccupé par le recours systématique à la torture lors
des interrogatoires dans les postes de police turcs. Comme nous l'avons
fait par le passé, nous recommandons au gouvernement turc:
"- qu'il reconnaisse l'existence de la torture dans
les centres de détention de la police et prenne des mesures pour y
mettre fin;
"- qu'il fasse entrer en vigueur le décret adopté en
septembre 1989 garantissant aux détenus le droit de bénéficier des
services d'un représentant dès qu'ils sont arrêtés; les clauses de ce
décret n'ont jamais été appliquées;
"- qu'il interdise l'utilisation dans les tribunaux
des confessions obtenues sous la contrainte de la torture;
"- qu'il augmente les peines passibles pour les
délits de torture;
"- qu'il poursuive ceux qui torturent;
"- qu'il autorise le Comité International de la
Croix Rouge et d'autres organisations internationales à visiter les
détenus et les prisonniers dans un cadre légal."
UN CENTRE POUR LES VICTIMES DE LA TORTURE
Il est prévu que le Centre de Traitement Médical des
Droits de l'Homme ouvre ses portes le mois prochain à Ankara, afin de
commencer à traiter certaines des quelque 200.000 personnes qui ont été
victimes de la torture en Turquie.
Au cours de sa première année de fonctionnement, le
nouveau centre de traitement médical sera en mesure de traiter 100
victimes de la torture et les membres de sa famille qui en seraient
affectés. Selon Haldun Ozen, secrétaire général du Centre de la
Fondation pour les Droits de l'Homme, inauguré l'année dernière à
Ankara, la nouvelle clinique correspond au deuxième projet de la
fondation.
Le personnel du centre de traitement comprendra un
médecin à temps plein, deux assistants et deux docteurs qui feront
office de conseillers pour traiter et/ou envoyer les patients vers des
hôpitaux et des cliniques désignées. Les services du personnel du
centre ainsi que les traitements seront gratuits pour toutes les
victimes de la torture.
La fondation estime le coût moyen pour traiter un
patient à environ 10.000$. "Un pays riche pourrait consacrer davantage
au traitement et aux services" déclara Ozen, "mais c'est tout ce que
nous pouvons nous permettre."
Bien que la Fondation pour les Droits de l'Homme fut
fondée en avril 1990, le gouvernement turc ne lui accorda le statut
légal que le 30 décembre, à travers une annonce écrite, parue dans le
Journal Officiel.
Au cours de sa première année de fonctionnement, 40
victimes de la torture furent traités en tant que malades en
consultation externe. La plupart des malades vivaient à Ankara, mais
cinq patients d'Istanbul et un d'Izmir furent envoyés à la fondation
par des médecins de ces deux villes.
Cependant, Ozen indiqua que ce n'était là que la
première phase de l'opération. Après un heureux début de la deuxième
phase du centre de traitement, la fondation prévoit la création d'un
véritable Centre de Réhabilitation pour les Victimes de la Torture,
"espérons que ce sera pour 1992", ajouta-t-il. Ozen indiqua également
qu'ils enverraient trois médecins turcs au Centre Danois de
Réhabilitation pour les Victimes de la Torture où, pendant une semaine,
ils seront formés et un autre qui, lui, restera plus longtemps.
Le Centre de Traitement Médical espère subvenir aux
besoins des personnes actuellement en prison, grâce à l'envoi de
médicaments et d'autres produits pharmaceutiques.
L'essentiel du financement de la fondation provient
des dons effectués par des centres de réhabilitation similaires en
Europe, le Centre des Nations Unies pour les Droits de l'Homme à
Genève, Amnesty International et ses affiliés, le Parti Ecolo Allemand
et des dons de particuliers en Turquie.
Le coût total du projet du Centre de Traitement
Médical est estimé à environ 400 millions de LT. "Même un don de 1.000
LT est le bienvenu" dit Ozen. "Nous avons vraiment besoin de plus
d'argent."
UN QUART DES PRISONNIERS SONT MALADES
Le 21 janvier, l'Association des Médecins de Turque
(TTB) communiqua qu'un quart des personnes détenues dans les prisons
turques étaient malades et pria instamment le Ministère de la Justice
de prendre des mesures pour améliorer les conditions sanitaires dans
les pénitentiaires du pays.
Dans une pétition adressée au Ministère de la
Justice —qui, en Turquie, est également responsable de l'administration
des prisons— le TTB soumit également une liste de 237 détenus dont on
savait qu'ils étaient atteints de plusieurs maladies et demanda plus
d'information concernant la santé d'autres prisonniers.
Le ministre de la justice, Oltan Sungurlu, déclara
que le ministère ne satisferait pas la demande du TTB. "Est-ce que le
TTB n'a pas confiance dans les médecins qui s'occupent des services
sanitaires dans les prisons?" demanda Sungurlu.
RESUME SUR LES DROITS DE L'HOMME POUR L'ANNEE 1990
La Fondation des Droits de l'Homme de Turquie (TIHV)
a publié le rapport suivant en ce qui concerne l'évolution des droits
de l'homme en Turquie, en considérant les aspects positifs et négatifs:
Les peines de mort
En raison des modifications apportées au Code pénal
turc, la peine de mort a été abolie dans le cas de 13 délits. Selon un
communiqué émanant du Ministère de la Justice, 62 personnes
définitivement condamnées à mort sont sur le point de bénéficier de
cette modification. Cependant, les dossiers de ces personnes attendent
toujours d'être étudiés à la Commission de la Justice de la Grande
Assemblée Nationale Turque.
A la fin de l'année 1990, le nombre total des
dossiers des personnes définitivement condamnées à mort s'élevait à
315.
L'intensification des attaques armées et des
attentats à la bombe ont amené les plus hautes autorités de l'Etat,
spécialement le Président de la République, à déclarer que les peines
de mort seront exécutées quand il sera nécessaire. Les autorités ont
donc continué à traiter ces condamnés comme des otages.
Bien que la peine de mort résultant de 13 délits ait
été abolie, elle reste la peine infligée dans une quarantaine d'autres
cas. Donc, bien que la Turquie soit le seul pays membre du Conseil de
l'Europe à ne pas avoir ratifié le Protocole N°6, elle est aussi l'un
des 7 pays de la CSCE qui exécutent les peines de mort.
La Torture
L'existence de la torture fut également dénoncée
encore en 1990. Dans les locaux des services de la sûreté et lors des
interrogatoires, les mauvais traitements furent plus fréquents, c'était
comme une procédure systématique. Une étude réalisée à Izmir révèle que
45% des 200 condamnés pour un délit ordinaire ont été soumis à la
torture. L'interdiction pour les suspects de rencontrer leur avocat une
fois qu'ils ont été placés en détention constitue un autre facteur qui
facilite la torture.
Les circulaires délivrées par le cabinet du Premier
Ministre et par le Ministère de la Justice étaient censées apporter la
possibilité d'effectuer ces rencontres. Cependant, ces circulaires
soumettent ces droits à certaines conditions. La première condition est
que l'inculpé présente une demande pour que lui soit accordée une telle
rencontre, la police communique alors la demande au Procureur, et
finalement ce dernier pourrait accepter ou refuser une telle demande.
Etant donné que cette procédure facilite des prétextes pour une
attitude arbitraire, la rencontre suspect-avocat ne repose toujours pas
sur des conditions sûres. Une des conditions qui rend la torture
possible reste donc inchangée.
Par ailleurs, l'incident que créa le procureur de la
Cour de Sûreté de l'Etat, Nusret Demiral, en refusant de recevoir
certains représentants du Conseil de l'Europe, écarta les perspectives
d'une inspection internationale.
Un autre aspect qui rendait possible la torture
était le fait que la police pouvait prendre des suspects ou des
condamnés dans les prisons pour les interroger ou pour recueillir leur
témoignage. Tandis que la Cour Constitutionnelle annulait une clause
relative à cette pratique dans la Loi sur les Devoirs et les
Compétences de la Police, le décret d'Etat d'urgence N° 430 daté du 12
décembre 1990, introduisit une clause similaire.
Enquête de sécurité
Alors que la réglementation sur les enquêtes de
sécurité avait été abolie par le Conseil d'Etat car elle n'avait
pas été promulguée dans le Journal Officiel (J.O.), elle fut
réintroduite (J.O. du 13 avril 1990). La nouvelle réglementation rend
tout personnel sujet à une inspection connue sous le nom de
"Investigation d'Archives" ou "Enquête de Sécurité". Ces inspections
seront basées sur des informations rassemblées par des "groupes de
renseignements". L'ancien système est donc appliqué à nouveau et de
manière étendue.
Libertés individuelles
Au cours de l'année 1990, les services de sécurité
intensifièrent encore leur habitude d'arrêter n'importe qui sans
difficulté. Des fonctionnaires qui demandaient une aide alimentaire du
FAO, les personnes organisant des manifestations de protestation, les
femmes qui ont manifesté avec leurs casseroles à pression, les
audiences dans les salles de tribunal, les gens qui ont dit "Non!" à la
guerre, tous furent arrêtés sans difficultés, de manière arbitraire.
Une étudiante d'une école secondaire, âgée de 16 ans, qui avait collé
un poster disant "Non à la guerre", fut seulement relâchée après avoir
purgé une détention de deux mois. Cet incident montre une fois de plus
que l'absence dans la juridiction turque d'une limitation du
temps de détention et la facilité qu'ont les juges à donner des mandats
d'arrêt constituent toujours une menace pour les libertés individuelles.
Liberté de conscience et de religion
La direction des Affaires Religieuses a demandé aux
gouverneurs, au travers d'une circulaire (65.2/962/172), que lui soit
envoyé confidentiellement une liste des personnes qui ont abandonné
l'Islam au cours des dix dernières années(Milliyet, 26.10.1990). Cette
circulaire semble aller dans le sens de l'enregistrement et exerce donc
une pression sur la liberté de religion et de conscience.
D'un autre côté, la Loi No. 3670 du 25 octobre
1990 a introduit la liberté vestimentaire dans les établissements
d'enseignement supérieur.
Auparavant, la Cour Constitutionnelle avait aboli un
article stipulant que les femmes pouvaient se couvrir la tête en
fonction de leurs croyances religieuses, sous motif qu'il contredisait
bon nombre de clauses de la Constitution, spécialement celle concernant
le principe de la laïcité. L'adoption de la nouvelle loi constitue un
acte politique au mépris d'un principe constitutionnel.
Liberté de pensée et d'expression
Le débat sur les articles 141, 142 et 163 du Code
Pénal Turc (TCK) était encore à l'ordre du jour en 1990. Des cercles
gouvernementaux soutenaient qu'ils attendaient que les partis de
l'opposition précisent leur attitude. Cependant, l'attitude du Parti
Populiste Social Démocrate (SHP) en faveur de l'abolition de ces
articles était déjà claire.
Le gouvernement soutenait également que l'abolition
de ces articles soulèverait des problèmes vis-à-vis de la Constitution.
Le projet qu'aurait préparé le gouvernement à ce
propos fut abandonné vers la fin de l'année.
D'ailleurs, aucune diminution ou flexibilité dans
l'application de ces articles ne fut décelable. Selon une déclaration
faite par le Ministre de la Justice le 14 novembre 1990, le nombre des
personnes poursuivies en vertu des articles 142 et 163 est de 1.269. Le
nombre total des personnes jugées entre 1981 et 1990 sur ces articles
serait de 10.949.
En 1990, le nombre des procès intentés pour
"insultes contre le Président de la République" augmenta
considérablement. Compte tenu qu'une insulte peut être facilement comme
un "délit politique", les 42 procès intentés en un an constituent
un chiffre révélateur du degré de respect de la liberté d'expression et
de critique.
D'ailleurs, des journalistes furent condamnés pour
s'être opposés à la Loi sur les Délits Contre la Mémoire d'Atatürk.
Des procès furent intentés également contre de
nombreuses personnes en vertu de l'article 142/3 pour avoir parlé et
traduit une "langue interdite par la loi".
Liberté de la presse
En 1990, la presse fut encore victime de
l'application des clauses anti-démocratiques de la Constitution et de
la Loi sur la presse. On confisqua certains journaux quotidiens (Bugün,
Günes, Günaydin, Sabah, etc). Sabah reçut en plus une notification lui
indiquant que sa publication pouvait être interdite.
Par ailleurs, les magazines de gauche ont été
continuellement soumis aux ordres de confiscation émanant des
tribunaux.
28 journalistes se trouvaient en prison au cours de
l'année 1990.
La liberté de la presse s'est également trouvée
confrontée à des problèmes internes de monopole et d'auto-censure. Par
exemple, le propriétaire du quotidien Günes, dans une notification
écrite, demanda aux journalistes du quotidien de suivre une certaine
ligne de pensée sur l'affaire de Chypre.
Les attaques contre la presse et les journalistes
ont finalement atteint une dimension physique: deux journalistes (Turan
Dursun et Cetin Emeç) perdirent la vie dans des attaques armées.
Libertés des Arts
Tandis que bon nombre de concerts étaient interdits
par les gouverneurs car ils "risquaient de perturber l'ordre public",
le théâtre et le cinéma ont également dû faire face aux mêmes
problèmes.
La pièce Pir Sultan Abdal, qui, de manière
intermittente était à l'affiche depuis 1967, fut interdite par le
gouverneur lors de la 13ème représentation de l'Ankara Birlik Tiyatrosu
à Istanbul. La représentation a pu reprendre grâce à une décision
favorable d'un tribunal suite la requête du théâtre.
Dans le cas du cinéma, un fait significatif fut
l'interdiction du film The Naked Gun sous la pression de la police et
de l'administration qui prétendaient que certains passages du film
humiliaient le leader spirituel iranien Khomeini. Les autorités
iraniennes avaient également pris des dispositions pour éviter la
projection du film.
Liberté d'association et de fondation
Le gouverneur d'Ankara a fait paraître une
circulaire qui affirme que les fonctionnaires n'ont pas le droit d'être
membres d'une association (2 avril 1990, Bulletin TIHV). Or, la loi sur
les associations ne comprend pas de clause aussi générale; elle
reconnaît, au contraire, le droit d'association pour les fonctionnaires
avec quelques exceptions.
En 1990, les associations ont également subi les
effets des provisions légales leur interdisant de faire des
déclarations politiques. L'Association des Industriels et Hommes
d'Affaires Turcs (TUSIAD) dont la position politique était proche de
celle du gouvernement et qui fréquemment informait le public de son
point de vue sur certains thèmes, reçut des avertissements lorsqu'elle
s'est permis de critiquer ouvertement le gouvernement, et son président
fut interrogé par le procureur.
Pour ce qui est des fondations, rappelons le long et
fastidieux procès que dut subir la Fondation pour les Droits de l'Homme
de Turquie (TIHV) dans sa procédure d'enregistrement.
Liberté de réunion et de manifestation
Les limitations dans la liberté de réunion et de
manifestation, une des libertés collectives les plus effectives,
constituent une part importante des violations des droits de l'homme
perpétrées en 1990.
Le bilan des manifestations du 1er Mai, montre qu'en
réalité, l'atmosphère d'insécurité résultait des pressions exercées par
l'autorité politique. Voici les chiffres approximatifs: 40 blessés dont
un grièvement et 3.304 détenus rien qu'à Istanbul d'après les chiffres
révélés par les autorités officielles; environ 100 arrestations par les
tribunaux dans toute la Turquie et, pour le moment, 33 condamnations.
De plus, les gouverneurs interdirent les
rassemblements sur le thème "Non à la guerre", les réunions et les
défilés de fonctionnaires réclamant la syndicalisation, les
réunions pour les droits de l'homme, un panel sur "la place des Femmes
dans la société et leurs problèmes" à Ankara et les réunions des
partis de l'opposition (celles du SHP et du SP à Istanbul).
Les restrictions que le gouverneur d'Ankara imposa
aux fonctions des municipalités dont le maire appartient aux partis de
l'opposition ont particulièrement attiré l'attention. Dans le cadre de
ces restrictions, le gouverneur n'a pas permis le déroulement d'un
tournoi d'échecs, d'une partie de volley-ball, d'une course cycliste,
d'un concours de garderie, et d'une soirée d'enseignants.
La circulaire N° 5032 émanant du Ministère de
l'Intérieur confère aux gouverneurs provinciaux le droit d'autoriser
des meetings, droit réservé jusqu'alors aux sous-préfets. Ceci veut
dire que seuls les gouverneurs provinciaux et les autorités de la
sûreté auront le dernier mot dans ces cas au lieu des
sous-préfets qui, selon le gouvernement, ne font pas assez attention
aux meetings et au manifestations.
Libertés syndicales
Le pas le plus important, à ce propos, fut accompli
par les fonctionnaires qui ont commencé à faire usage de leurs droits
syndicaux en 1990. Certains groupes soutiennent que ni la Constitution,
ni les lois apparentées ne comprennent des clauses interdisant la
syndicalisation des fonctionnaires et que certains traités
internationaux, auxquels la Turquie avait adhéré, reconnaissaient le
droit de syndicalisation aux fonctionnaires, ont constitué leur
syndicats comme Egitim-Is 'enseignement), Kam-Sen (travaux publics),
Bel-Sen (municipalités), etc. Le 2ème tribunal de travail d'Ankara a
décidé de classer un procès concernant les fondateurs d'Egitim-Is.
A la fin de l'année 1990, l'augmentation du nombre
des grèves constitua un événement majeur. Les revendications des
travailleurs ont donné lieu à une activité commune: Les syndicats ont
annoncé que tous les travailleurs quitteront leur travail le 3 janvier
1991..
L'état d'urgence
Les décrets d'Etats d'urgence ont continué à
restreindre les libertés, spécialement dans le sud-est de l'Anatolie.
Ces décrets, qui ont force de loi (KHK), ont étendu les restrictions,
touchant surtout la presse, en dehors de cette région.
La Cour Constitutionnelle a fait usage de son
pouvoir pour étudier ces décrets. Lorsque cette cour supérieure laissa
entrevoir qu'il pourrait annuler certaines clauses de ces décrets, le
gouvernement s'est reporté sur le décret n° 430, qui abolit le décret
N° 424 et modifie le décret N° 425. Ainsi, le pouvoir politique tenta
de rendre inefficace le contrôle constitutionnel.
L'aspect judiciaire
L'incident créé par le Président de la Cour d'Appel
en exigeant que soit préalablement examiné le discours prononcé
traditionnellement par le Président de l'Union des Barreaux de Turquie
(TBB) au début de l'année judiciaire, fut considéré comme un acte de
"censure", et fit l'objet de nombreuses réactions. Conséquence de cet
incident, le TBB ne participa pas aux cérémonies.
L'incident ne fit qu'accentuer les inquiétudes
pour l'indépendance du pouvoir judiciaire, car il est de notoriété
publique que les discours des présidents du TBB sont plutôt critiques,
et il est clair que celui de cette année ne serait pas une exception.
Les nominations faites par le Président de la
République aux sièges vacants de la Cour Constitutionnelle ont
également accentué ces inquiétudes. La femme du Premier Ministre fut
nommée membre suppléant.
Le choix opéré à l'avance par le Président de la
République parmi les trois candidats à un siège de la Cour des Comptes
et ce en accord avec la volonté de la majorité représentative du parti
de la Mère Patrie (ANAP), montre qu'on tente d'imprimer à cette cour
supérieure une composition dominée par le pouvoir dirigeant. Lorsqu'on
laissa entendre que ce membre avait des liens avec une confrérie
religieuse, la susceptibilité en fut atteinte.
CENSURE DE LA PRESSE TURQUE
Les nouvelles concernant la Guerre du Golfe ont été
soumises à des restrictions dans la presse turque ainsi que dans
d'autres médias. Le 31 janvier 1991, un communiqué émanant du
Département de la Presse et de l'Information indiquait que les
restrictions auxquelles étaient soumis tous les journalistes
travaillant sur le sol turc étaient destinées à préserver la sécurité
des installations et des opérations conjointes des forces
multinationales dans le pays.
Nezih Demirkent, président de l'Association des
Journalistes, déclara qu'en fait cette situation ne différait en rien
de celle imposée précédemment par le gouvernement, qui voulait
simplement éviter la publication de certaines informations.
"Je comprends que l'on impose certaines restrictions
momentanées pour préserver la sécurité dans certaines situations
d'urgence, mais toutes les autres restrictions et censures sont
inacceptables puisqu'elles conduisent à une violation de la liberté
d'expression. Malgré les restrictions imposées par le Pentagone sur les
informations concernant la guerre, les officiers américains donnaient
continuellement des conférences de presse sur les rebondissements
quotidiens de la guerre aux journalistes américains ou autres, tandis
que le gouvernement turc préférait maintenir la presse et le public
dans l'ignorance" ajouta-t-il.
LE 2000E DOGRU INTERDIT A NOUVEAU
Le 31 janvier, le Ministère de l'Intérieur ferma
l'hebdomadaire 2000e Dogru pour une période de deux mois en vertu du
Décret de l'Etat d'Urgence N° 430. L'imprimerie Serler, qui imprimait
cette revue, fut également frappée d'une suspension de dix jours.
L'année dernière, 2000e Dogru avait déjà été fermé
pendant quatre mois.
Depuis 1987, cet hebdomadaire a été confisqué à 26
reprises et ses éditeurs et contributeurs ont fait l'objet de 116
actions en justice.
Avant sa deuxième suspension, en janvier, le 2000e
Dogru avait été confisqué à deux reprises: la première fut ordonnée par
une cour criminelle d'Elazig pour propagande séparatiste, et la seconde
le fut par la CSE d'Istanbul prétextant que ses articles critiquaient
la politique menée par le gouvernement dans le Golfe.
PRESSIONS SUR LES MEDIAS EN JANVIER
Le 2.1, Mustafa Ayan et Adnan Pasa furent mis en
accusation par la CSE d'Ankara pour avoir distribué à Zonguldak deux
revues politiques, Devrimci Emek et Direnis-Hedef. Accusés de
propagande communiste, chacun risque une peine de prison de 12 ans.
Le 2.1, la CSE d'Istanbul ordonna la confiscation du
N° 11 de l'hebdomadaire Yeni Ülke et d'un livre intitulé Sivan'in
Sevdasi (L'amour de Sivan), de l'écrivain kurde en exil, Mahmut Baksi.
Le 4.1, à Ankara, le gouverneur interdit la
projection d'un film documentaire sur la longue marche des mineurs de
charbon.
Le 5.1, le journal Kars Mücadele fit savoir que
depuis qu'il avait ouvert ses portes en 1987, des procureurs avaient
intenté 132 actions en justice contre ses éditeurs et contributeurs.
Rien que l'éditeur du journal, le juriste Goksal Tanriverdi, fut mis en
accusation dans 54 actions différentes. En raison de l'intensité des
poursuites, le journal s'est vu contraint à remplacer ses rédacteur en
chef à cinq reprises.
Le 10.1, la CSE d'Istanbul confisqua le deuxième
numéro de la nouvelle revue, Cizgi, car celle-ci contenait un article
sur l'Islam et les droits de l'homme.
Le 14.1, la CSE d'Istanbul ordonna la confiscation
de deux mensuels, Komün et Hedef, ainsi que le N° 13 de l'hebdomadaire
Yeni Ülke. Les éditeurs des revues sont accusés de propagande
communiste et séparatiste.
Le 15.1, le gouverneur d'Usak interdit l'affichage
du poster que le SHP, principal parti de l'opposition, avait imprimé
pour mener campagne contre la guerre. Le poster portait la slogan "Non
à la Guerre, Longue Vie à la Paix!"
Le 17.1, le président du Parti Socialiste (SP),
Ferit Ilsever, fut traduit devant la cour N° 2 du tribunal criminel de
première instance pour avoir insulté le Président de la République. Il
risque une peine de prison de quatre ans. Quant à l'éditeur de
l'hebdomadaire 2000e Dogru, Adnan Akfirat, qui publia la déclaration
d'Ilsever, il risque 8 ans de prison.
Le 19.1, la CSE d'Istanbul confisqua la publication
N° 14 de l'hebdomadaire Yeni Ülke pour ses articles contre la guerre.
Le 21.1, la CSE de Konya condamna Kerim Bozdag,
journaliste de la revue islamiste, Akdogus, à un an de prison pour
avoir suspendu une bannière sans y avoir été autorisé.
Le 23.1, deux journalistes du quotidien Cumhuriyet
furent traduits devant une cour criminelle d'Istanbul pour avoir
insulté le Président de la République. Ilhan Selcuk risque une peine de
prison de 9 ans et Oktay Akbal 4 ans et 6 mois de prison.
Le 24.1, tous les composants du groupe musical,
Ekin, furent mis en état d'arrestation.
Le 24.1, la Cour Pénale de Première Instance No.2
d'Istanbul ordonna que le numéro d'août 1987 de l'édition turque de
Playboy et celui de janvier 1990 de Playman soient détruits par le feu.
Ces publications avaient déjà été confisquées pour obscénité.
Le 24.1, le gouverneur interdit la représentation de
Pir Sultan Abdal au théâtre Birlik à Izmir.
Le 28.1, le gouverneur d'Istanbul ordonna la
fermeture du journal Konstantiniyye Haberleri (Nouvelles de
Konstantinyye), vieux de dix-huit mois, sous prétexte que son nom
évoquait Constantinople, ancien nom grec d'Istanbul sous l'Empire
Byzantin. Le propriétaire, Cuneyt Ayral, tint ces propos: "Depuis le
jour où notre journal est paru pour la première fois, nous avons reçu
des réactions de diverses sources. Aucune compagnie ne veut nous
confier sa publicité. Même dans la rue, des passants nous demandent si
nous louons les Roumis (Grecs). Nous n'abandonnerons pas. Nous irons en
justice."
Le 29.1, l'éditeur responsable du quotidien
Cumhuriyet, Okay Gönensin, fut mis en accusation pour une information
concernant Nermin Alkan, une étudiante de 16 ans arrêtée pour avoir
affiché des posters contre la guerre sur les murs de son école.
Gönensin risque trois mois de prison.
Le 30.1, la CSE d'Istanbul confisqua un livre sur le
mouvement des travailleurs publié par la Maison d'Edition Devrimci
Proletarya, ainsi que le N° 27 du mensuel Özgürlük Dünyasi.
Le 31.1, le mensuel Deng fut confisqué par ordre
d'une cour pénale d'Istanbul pour propagande séparatiste.
Le 31.1, les gouverneurs décidèrent de supprimer les
représentations de Pir Sultan Abdal par le Théâtre Birlik à Edirne et
Kirklareli.
TERREUR D'ETAT EN JANVIER
Le 2.1, à Erzincan, deux membres du SHP furent
arrêtés pour avoir distribué des tracts de solidarité envers le mineurs
de charbon en grève.
Le 2.1, à Ankara, la police annonça l'arrestation de
22 personnes qui appartiendraient à une organisation de gauche
clandestine.
Le 3.1, à Ankara, 54 personnes, parentes des
prisonniers politiques, furent arrêtées pour avoir organisé une
manifestation devant la prison à l'occasion de leur visite de Nouvel
An. A Ceyhan, sept autres parents de prisonniers politiques furent
arrêtés pour avoir protesté contre les restrictions imposées aux
visites de Nouvel An.
Le 4.1, deux avocats, Husnu Ondul et Esin Fatma
Kulac, furent arrêtés pour avoir fait paraître un communiqué dans
lequel ils s'élevaient contre l'arrestation de mineurs de charbon en
grève. La police perquisitionna également leurs bureaux et maisons et
confisqua certains documents. Ondul est un membre distingué de
l'Association des Droits de l'Homme (IHD), de la Fondation pour les
Droits de l'Homme (TIHV) et de l'Association des Juristes Contemporains
(CHD). Deux juristes arrêtés se sont mis en grève de la faim.
Le 6.1, la Cour d'Appel Militaire prononçait une
peine de mort contre Mahir Gunes et la sentence était soumise à
l'Assemblée Nationale pour y être ratifiée.
Le 6.1, à Ankara, le gouverneur annula un débat sur
les effets nocifs de la guerre pour la santé organisé par la Chambre
des Médecins d'Ankara.
Le 6.1, à Bursa, sept étudiants furent arrêtés pour
avoir organisé une action de solidarité envers les mineurs en grève.
Le 8.1, outre les deux juristes arrêtés auparavant,
la police en arrêta deux autres, Ali Yildirim et Aydin Erdogan, à
Ankara, pour avoir organisé des manifestations en faveur des mineurs en
grève.
Le 9.1, la CSE d'Istanbul arrêta neuf étudiants
universitaires pour avoir organisé des manifestations en faveur des
mineurs en grève.
Le 10.1, à Ankara, la police arrêta quatre étudiants
de l'Université de Hacettepe pour avoir mené une action en faveur des
mineurs en grève.
Le 11.1, cinq personnes furent arrêtées à Ankara
pour avoir vendu un calendrier portant des inscriptions considérées
comme insultantes pour le Président de la République.
Le 15.1, à Istanbul, 50 personnes furent arrêtées au
cours d'une opération de ratissage menée par la police dans les bas
quartiers de Kucukcekmece et Avcilar.
Le 16.1, commença le procès de 17 membres présumés
du Parti Communiste de Turquie/Marxiste-Léniniste (TKP/ML) à la CSE
d'Istanbul. Une femme qui se trouvait parmi les défendeurs, Hüsniye
Tasli, déclara qu'elle et beaucoup de ses camarades avaient été
torturés par la police au cours de l'interrogatoire.
Le 19.1, la police annonça l'arrestation de 16
membres présumés du Groupe Armée de Propagande Marxiste-Léniniste
(MLSPB) à Gebze.
Le 21.1, à Kars, la police arrêta cinq personnes qui
étaient en train de distribuer les posters du SHP contre la guerre.
Le 21.1, à Sanliurfa, Turan Saritemur, président
local du principal parti de l'opposition, le SHP, fut traduit devant un
tribunal pour avoir donné à son fils un nom kurde, Velat. Le procureur
rappelant que la loi sur la population interdit tout nom incompatible
avec l'usage commun turc, demanda au tribunal de changer le nom du
nouveau-né.
Le 22.1, un écolier de 12 ans, ainsi que quatre
autres personnes, étaient arrêtés à Istanbul pour avoir collé des
posters contre la guerre.
Le 22.1, le professeur Dr. Leziz Onaran, Président
de l'Association des Docteurs Contre la Guerre Nucléaire (NUSHED), fut
arrêté à Ankara pour avoir organisé précédemment une manifestation
contre la guerre.
Le 22.1, le gouverneur d'Ankara fermait
définitivement l'Association des Juristes Contemporains (CHD), sous
prétexte que ses membres participaient à des activités politiques.
Quatre membres de l'association avaient été arrêtés début janvier pour
avoir publié un communiqué de solidarité envers les mineurs en grève.
Le 23.1, trois membres du Parti Socialiste (SP)
furent arrêtés à Istanbul pour avoir envoyé au président Özal un
drapeau américain en signe de protestation pour son attitude
pro-américaine. Le même jour, onze membres dominants du Parti
Travailliste du Peuple (HEP), furent arrêtés dans la région de
Karakocan, province d'Elazig.
Le 24.1, la police lança une opération de grande
envergure contre les membres de deux associations, l'Association de
Solidarité envers les Familles des Prisonniers (TAYAD) et l'Association
des Femmes dans la Lutte Démocratique (DEMKAD), toutes deux fermées en
décembre 1990. Parmi les détenus figuraient également les présidents
locaux des deux associations. La police perquisitionna également le
bureau du mensuel Mücadele.
Le 25.1, le président du Parti Socialiste (SP) à
Ankara, Ilknur Kalan, fut arrêté, accusé d'avoir insulté le Président
de la République.
Le 25.1, les forces de sécurité arrêtèrent plus de
100 Kurdes au cours d'une opération de ratissage à Nusaybin.
Le 27.1, à Istanbul, la police empêcha par la force
une manifestation des membres du IHD, et le président de ce parti,
l'avocat Ercan Kanar fut arrêté en compagnie de dix autres membres. A
Ankara, une réunion exigeant la fin de la guerre, organisée par
l'association des diplômes de la Faculté des Sciences Politiques, fut
interdite par le gouverneur. Les leaders politiques invités au débat ne
furent donc pas autorisés à exprimer leur point de vue sur la Guerre du
Golfe.
Le 28.1, à Ankara, une manifestation contre la
guerre, composée d'une centaine de personnes fut dissoute de force par
la police. 11 manifestants et 4 journalistes furent arrêtés.
Le 30.1, la police perquisitionna la Maison du
Peuple de Cankaya à Ankara et six personnes furent arrêtées.
Le 30.1, la Cour Militaire d'Appel confirma une
peine de prison de deux ans et vingt jours contre Osman Yagiz, maire de
la municipalité de Kozluca à Burdur. Il avait été condamné par la CSE
d'Izmir pour propagande religieuse.
Le 30.1, la Cour d'Appel Militaire confirma la peine
de mort contre deux membres du PKK, Enver Simseksoy et Mehmet Sait
Uclu, ainsi que des peines de prison pour 48 autres accusés. Le nombre
de condamnations à mort soumises à l'Assemblée Nationale s'élève donc à
316, dont 173 concernant des prisonniers de gauche et 28 de droite.
Quatre autres condamnés sont des militants palestiniens arrêtés à
Ankara pour l'attaque qu'ils perpétrèrent contre l'ambassade d'Egypte
et enfin, 111 personnes furent condamnés pour des crimes ordinaires.
Le 31.1, une fois de plus, la police mena une
opération de ratissage dans les bas quartiers de Kucukarmutlu, à
Istanbul, invoquant la capture de certains individus recherchés. Au
cours de l'opération, de nombreuses portes et fenêtres furent détruites
et près de 300 personnes furent arrêtées.
DEBATS SUR LA TURQUIE AU PARLEMENT EUROPEEN
Le 6 février 1990, le Comité Politique du Parlement
Européen a engagé une discussion sur les relations turco-européennes
sur base du rapport de M. Alman Metten. Le parlementaire socialiste
hollandais dressa un rapport non seulement sur les résultats de la
récente réunion de la Commission Parlementaire Mixte tenue à Ankara,
duquel il était co-président, mais également sur son entretien avec le
président Özal.
o La délégation européenne a fait comprendre à son
homologue turque que, la situation des droits de l'homme en Turquie est
un élément déterminant pour le déblocage du 4e protocole financier et
une éventuelle adhésion. Le gouvernement turc ne comprend peut-être pas
suffisamment qu'il a besoin de l'accord du Conseil mais aussi... de 260
voix au Parlement européen. Ce message a été très bien compris par les
députés turcs.
o L'impression de M. Metten est que les pressions
exercées par le Parlement européen ont produit un effet. Le Parlement
turc vient de créer une commission des droits de l'homme, ce qui est un
pas en avant considérable. Même s'il reste interdit, le parti
communiste semble maintenant toléré (cf. son congrès de janvier).
o Le Président ÖZAL, au cours de son entretien avec
M. Metten, s'est engagé à supprimer les articles 141, 142 et 163 du
code pénal, qui concernent le délit d'opinion. Le jour même où il a
pris cet engagement, il a été communiqué à la presse àAnkara.
o Un premier pas a été effectué la semaine dernière
pour ce qui est des Kurdes : I'usage de la langue kurde n'est plus un
délit. Certes, un,long chemin reste a parcourir sur le plan de
l'autonomie culturelle et politique,
o Les aspects les plus draconiens des lois spéciales
applicables à l'Est de la Turquie ont été supprimés.
o Des aspects négatifs : la non-reconnaissance des
libertés de presse et syndicale, même si la tolérance semble
s'accroître à l'égard des syndicats.
o Le Président Ozal a exprimé sa préoccupation au
sujet des visites rendues par le Ministre grec des affaires étrangères
en Syrie, en Egypte et aux Etats-Unis, qui auraient eu pour objet
d'évoquer les revendications territoriales que la Turquie envisagerait
d'émettre a l'égard de l'Irak : le Président Ozal a nié absolument l
existence de telles revendications de la part de la Turquie.
M. Metten estime que la Turquie na pas l'intention
de demander des compensations territoriales ou militaires mais quelle
veut des compensations économiques. si la Communauté européenne ne
faisait rien dans ce sens, les Etats-Unis, eux, octroieraient des
compensations dont la Communauté pourrait craindre le caractère
militaire.
o Le Président turc a le sentiment que la Communauté
européenne a une politique de deux poids et deux mesures à l'égard de
la Turquie : ainsi, dans le cadre de l'aide spéciale à l'égard des pays
touchés par la crise du Golfe, la Jordanie et l'Egypte recevront des
aides, la Turquie seulement des prêts...
o En ce qui concerne Chypre, le Président Özal a
déclaré que la Turquie souhaitait une décision dans le cadre des
Nations unies, sans intervention de la Communauté européenne.
o M. Ozal et en garde les Etats membres de la
Communauté : alors que Saddam Hussein tente de présenter la guerre
comme une guerre entre chrétiens et musulmans, ils devraient veiller à
ne pas traiter les citoyens musulmans d'une manière particulière car
cela ferait le Jeu de Saddam Hussein.
o La Turquie est consciente du problème des droits
de l'homme. Indépendamment des pressions qui sont exerces sur elle,
elle souhaiterait atteindre le niveau de la Communauté européenne dans
ce domaine mais celle- ci, en revanche, doit comprendre que le
changement législatif 'est pas tout, qu'il doit s'accompagner d'un
changement dans les mentalités : précisément, l'accord d'association
CEE/Turquie pourrait y contribuer.
La Commission Politique discutera encore des
relations turco-européennes dans les jours à venir, à l'occasion de la
présentation de deux rapports: celui de Mme Raymonde Dury, socialiste
belge, sur les problèmes généraux des relations avec la Turquie dans le
cadre de la demande d'adhésion, et celui de M. William Newton Dunn,
conservateur britannique, sur le 4ème Protocole Financier entre la CEE
et la Turquie.