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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


172

15e année - N°172
Février 1991
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

Alors que les Etats-Unis attaquaient l'Irak au nom de la démocratie et des
droits de l'homme, son allié le plus fidèle dans la région continuait à les violer

L'HEURE DE VERITE

    Tandis que des avions américains décollaient de la base aérienne d'Incirlik, près d'Adana, pour aller bombarder des territoires irakiens, ouvrant ainsi un deuxième front contre ce pays, les forces de sécurité turques, de leur côté, intensifiaient la répression contre les Kurdes et les forces d'opposition turques protestant contre la guerre.
    Selon l'édition du 19 janvier du journal Hürriyet, les gouverneurs ont interdit 15 manifestations contre la guerre et deux expositions. La police s'en est prise aux personnes qui essayaient d'organiser des manifestations non-autorisées. Au cours de ces actions, deux personnes, Yadigar Coskun d'Istanbul et Mecit Kaplan de Tavtan, furent abattues par la police, 54 personnes furent blessés et 968 détenues. De ces derniers, 76 furent mises en état d'arrestation par les tribunaux.
    Le jour même où prenaient fin les hostilités, le 28 février 1991, les forces de sécurité ont perpétré une massacre dans la province de Sirnak, à la frontière turco-irakienne, alors qu'elles essayaient de disperser une manifestation formée spontanément pour protester contre la violence de l'Armée. Le Comité du Kurdistan à Bruxelles a affirmé dans un communiqué que les forces de sécurité turques auraient abattu 20 Kurdes et blessé environ une centaine d'entre eux .     
    Si l'on considère que le massacre des Kurdes irakiens par Saddam Hussein était un des arguments invoqués par les Etats-Unis pour lancer l'offensive contre l'Irak, on est en droit de penser que le crime, encore chaud, commis par son plus fidèle allié dans la région contre les Kurdes a déjà largement entaché la "victoire militaire" de la Coalition.
    Outre la répression existant déjà, la presse turque fit l'objet de la censure militaire.
    Dans les centres d'interrogation, la torture est redevenue une pratique quotidienne.
    Et toutes ces violations des droits de l'homme ont été perpétrées sous prétexte de défendre la loi internationale et la démocratie.
    Etant donné que l'opinion publique occidentale était totalement braquée sur la Guerre du Golfe et se félicitait de la position pro-américaine d'Özal, les flagrantes violations des droits de l'homme perpétrées dans ce pays, membre de l'OTAN, furent passées sous silence par les médias.
    De plus, les institutions européennes ont, un peu hâtivement, considéré les manœuvres d'Özal, telle la promesse d'alléger les restrictions imposées à la langue kurde et d'abroger les articles 141, 142 et 163 du Code Pénal Turc, comme un pas supplémentaire vers la démocratisation de la Turquie.
    Le 26 janvier, suite à la promesse d'Özal, le Conseil des Ministres décida d'autoriser la langue kurde. Cependant, quelques jours après, la presse rapportait que cette liberté ne serait que partielle, car ni Özal, ni le Conseil des Ministres ne voulaient autoriser l'enseignement en langue kurde. L'impression d'articles ou de livres en kurde serait également interdite.
    Özal semblait disposé à alléger les restrictions imposées à la langue kurde, car le 21 novembre 1990, il avait signé la Charte de Paris, émanant de la Conférence de Sécurité et de Coopération en Europe (CSCE), qui conférait un poids non négligeable aux droits des minorités.
    Ce geste était également le résultat d'éventuels changements d'après-guerre dans le Moyen-Orient. Selon certains dépêches de presse, le Gouvernement américain promit qu'il ne tenterait pas d'établir un état kurde dans le Moyen-Orient après la guerre, si la Turquie apporte une amélioration au sort des Kurdes.
    Au cours d'une discussion maintenue avec les parlementaires de l'ANAP, Özal aurait dit: "Si nous n'autorisons pas la langue kurde, nous rencontrerons pas mal de difficultés dans les conférences qui se tiendront après la Guerre du Golfe."
    Comme nous l'avons expliqué le mois dernier, à long terme, l'ambition d'Özal est de créer une vaste région kurde comprenant le sud-est de la Turquie et le nord de l'Irak dont l'administration serait placée sous tutelle turque.
    En outre, avant même que ne prenne fin le conflit armé, au cours d'une interview concédée le 30 janvier au journal Hürriyet, le président Özal avait déclaré qu'après la guerre, la Turquie jouirait de trois avantages principaux dans le Moyen-Orient:
    "Premièrement, nous serons en mesure de moderniser nos forces armées.
    "Deuxièmement, le monde occidental réalise que la Turquie est un allié indispensable. Cette dernière verra s'intensifier son rôle dans le Moyen-Orient tandis que diminuera la pression exercée sur la question de Chypre.
    "Et finalement, notre coopération économique et commerciale avec les nations islamiques sera intensifiée. Il est nécessaire de lier les économies de la région. Nous devrions adopter un nouveau système économique et un plan de développement pour le Moyen-Orient. A cet effet, la création d'un fonds s'avère nécessaire. Les sources pour l'alimenter existent. Grâce au pétrole, les pays du Moyen-Orient peuvent y contribuer. D'autres pays devraient également y participer" déclara-t-il.
    Cherchant à apaiser les critiques adressées par l'Occident à la situation des droits de l'homme en Turquie et à s'assurer le soutien de l'Europe au nouveau rôle de son pays, le jour même où une délégation du Parlement Européen lui rendait visite, Özal fit la promesse d'abroger les articles anti-démocratiques présents dans la législation turque.
    Conséquence directe de la promesse d'Özal, le 31 janvier, le Conseil des ministres décida de supprimer du Code Pénal Turc les articles 141, 142 et 163, appliqués respectivement aux "délits" d'organisation communiste ou séparatiste, de propagande communiste ou séparatiste et de propagande religieuse.
    Cependant, toutes ces promesses ne furent pas mises en pratique jusqu'à la fin du mois de février. Pendant ce temps, les dépêches de presse indiquent que le projet de loi que prépare le gouvernement maintient beaucoup de restrictions sur l'utilisation de la langue kurde notamment dans l'enseignement, les publications ou les activités culturelles. D'autres part, le Ministère de la Justice est en train de préparer une nouvelle Loi Anti-Terreur qui remplacera ledits articles au cas où ils seraient supprimés.
    Dans un communiqué adressé à la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies à l'occasion de sa 47ème session, tenue à Genève, la Fondation Turque pour les Droits de l'Homme (TIHV), soumettait les propositions suivantes pour limiter au maximum les violations des droits de l'homme en Turquie:
    - Il est nécessaire d'établir un calendrier, approuvé par tous les partis politiques, en vue de modifier la Constitution de 1982 et en élaborer une nouvelle.
    - Les lois et les décrets promulgués ou modifiés après le coup d'Etat militaire de 1980 doivent être abolis et, en accord avec les principes d'un Etat démocratique, le Parlement doit réviser les lois suivantes:
    - La loi sur les tâches et les pouvoirs de la police
    - La loi électorale
    - Le code sur les partis politiques
    - Le Code Pénal Turc
    - La loi sur les syndicats
    - Le code de la Presse
    - La loi sur les associations
    Comme première étape de ce processus, qui peut prendre pas mal de temps, le gouvernement devrait adopter immédiatement les mesures suivantes:
    - Abrogation du Décret N° 430 concernant l'état  d'urgence dans les 13 provinces du Sud-Est.
    - Abolition des articles 141, 142 et 163 du Code Pénal Turc concernant les délits d'opinion.
    - Suppression de la Loi N° 2932 interdisant l'utilisation de la langue kurde.
    - Abolition de la peine capitale et annulation des dossiers soumis à l'Assemblée Nationale pour être ratifiés.
    - Proclamation d'une amnistie générale pour corriger les erreurs judiciaires commises depuis dix ans et relâcher les 5.000 prisonniers politiques.
    - Octroi aux réfugiés politiques privés de leur nationalité de la possibilité de la récupérer et de retourner en Turquie.
    (Dans la première page, nous produisons un rapport de la Fondation des Droits de l'Homme de Turquie concernant la situation des droits de l'homme en 1990 et adressé aux organisations des droits de l'homme internationales.)

DECES DE CINQ DETENUS

    Le 10 février 1991, Helsinki Watch fit paraître le rapport suivant concernant les tortures pratiquées actuellement en Turquie:
    "Helsinki Watch est très préoccupé par le décès en janvier 1991 de cinq personnes arrêtées par la police, en Turquie. Nous faisons appel au gouvernement turc pour qu'il mène une enquête minutieuse sur chacun de ces décès et poursuivre avec sévérité les responsables d'un éventuel recours abusif à la violence meurtrière.
    "Les cinq hommes décédés, dans des circonstances obscures, sont Tevfik Timur, Cumali Copur, Birtan Altunbas, Haydar Arman et Ihsan Basbugu. Trois d'entre eux sont morts à Ankara, un à Cizre et un autre à Nevsehir. Les autorités prétendent que deux d'entre eux se sont suicidés.

Tevfik Timur

    "Le 15 janvier 1991, Cumhuriyet rapportait que Tevfik Timur avait été arrêté à Cizre le 5 janvier 1991. La police rendit le corps à la famille le 14 janvier. Le Secrétaire Général du Parti Socialiste, Yalçin Buyukdagli, affirma que M. Timur était mort à la suite de tortures que lui avait infligées la police au cours de son interrogatoire.

Cumali Copur

    "Selon Ahmet Sukru Dagli,  procureur de Nevsehir, Cumali Copur, condamné pour vol et détenu à la prison du type E de Nevsehir, se suicida le 11 janvier 1991 en se pendant avec un drap de lit. Le 13 janvier, Cumhuriyet rapportait qu'une enquête était en cours.

Birtan Altunbas

    "Le 22 janvier 1991, Muzaffer Ilhan Erdost, président de la section d'Ankara de l'Association des Droits de l'Homme de Turquie, indiquait que le jeune Birtan Altunbas, qui, durant 15 jours, avait été détenu à la section politique du quartier général de la police d'Ankara, était mort des suites des tortures qui lui avaient été infligées. M. Altunbas décéda le 16 janvier 1991 à l'hôpital militaire de Gülhane, et fut inhumé le 18 janvier à Malkara, à Tekirdag. Un étudiant du nom de Murat Bobrek, détenu en compagnie de Birtan Altunbas, déclara qu'il avait vu comment ce dernier était torturé.
    "Selon l'édition du 25 janvier du Milliyet, le Ministre de la Justice, Oltan Sungurlu, aurait déclaré que le procureur avait ouvert  une enquête sur cette affaire. Le 31 janvier, le Günes rapportait que le compte rendu de l'autopsie d'Altunbas n'avait pas été remis à sa famille, bien que cette dernière l'ait réclamé.

Haydar Arman

    "Le 1er février 1991, la Fondation des Droits de l'Homme de Turquie indiquait que Haydar Arman était mort en prison le 24 janvier 1991 après avoir été détenu durant un certain temps par la Sûreté d'Ankara. L'épouse d'Arman, Sükran Arman, communiqua à la section d'Ankara de l'Association des Droits de l'Homme que son mari était mort des conséquences de la torture. 'Le 26 janvier, nous avons récupéré son corps à la morgue, et ce même jour, nous l'avons enterré', déclara-t-elle. 'Lors de l'enterrement, j'ai vu sa tête; elle avait un grand hématome sur le côté. Son front présentait des marques rouges. Les hommes qui récupérèrent le corps affirmèrent que ses testicules étaient complètement noirs. La chair du bout de ses doigts et de ses orteils avait été arrachée'. Tekiye Arman, mère de Haydar Arman, déclara aussi que son fils était en bonne santé au moment de sa détention. 'Ils m'ont pris mon fils en pleine santé et m'ont rendu son cadavre', a-t-elle dit.

Ihsan Basbugu

    "Selon le Milliyet, Ihsan Basbugu, un jeune qui avait été arrêté le 31 janvier 1991, accusé d'avoir volé deux paquets de cigarettes, est mort au poste de police d'Anafartalar où il était détenu. Les autorités soutiennent que Basbugu s'est suicidé. Le père de ce dernier a ajouté: 'J'ai examiné attentivement le corps de mon fils à la morgue. Il n'y avait aucun signe indiquant qu'il se soit suicidé… mais il avait des marques prouvant qu'il avait été battu; j'ai vu des contusions sous les aisselles et sur les pieds'.

***

    "La mort en détention de ces cinq hommes ne constitue pas un exemple isolé. En janvier, dans son rapport annuel, Helsinki Watch faisait mention, dans des rapports dignes de foi, de la mort, au cours de l'année 1990, de sept personnes en détention dans des circonstances obscures. Ce sept personnes étaient:
    "o Emine Yilmaz, de 22 ans, arrêtée en avril et accusée d'utiliser de faux marks allemands, décéda la soir même de son emprisonnement. Le procureur ouvrit une enquête, et le corps fut envoyé à l'Institut d'expertise médico-légale d'Istanbul pour y être analysé.
    "o Ali Akkan est mort le 6 mai à Antalya entre les mains de la police. Il était soupçonné d'avoir donné refuge à un membre d'une organisation illégale. Les autorités soutiennent qu'il s'est suicidé en se jetant par la fenêtre du quartier général de la police d'Antalya. La famille d'Akkan et l'Association des Droits de l'Homme ont exigé une autopsie.
    "o Besir Algan, un paysan de 36 ans est mort le 22 mai. Selon Fuat Atalay, membre du Parlement, il avait été arrêté et puis abattu par les forces de sécurité dans le village de Budakli, province de Mardin.
    "o Serdar Cekic Abbasoglu, de 23 ans et soupçonné de vol, fut trouvé mort le 4 juin, dans son lit de la Prison Centrale d'Ankara, après un interrogatoire. Les autorités soutiennent qu'il n'y avait pas de traces de coups sur son corps, mais 6 détenus qui étaient avec lui déclarèrent qu'il saignait par le nez et la bouche, et que le jour de sa mort, son lit était tâché de sang.
    "o Ibrahim Ates fut arrêté le 15 juillet soupçonné de vol. Il serait mort après avoir été jeté du balcon du quatrième étage d'un poste de police de Mersin, dix jours après son arrestation. La police déclara qu'il s'était suicidé.
    "o Abdurrahim Tanribilir, du village de Duzova, à Cizre, fut, selon sa mère, battu chez lui puis arrêté le 7 septembre. Son corps fut rendu le 8 septembre. Les autorités prétendent qu'il s'est suicidé.
    "o Yakup Aktas est mort le 18 novembre, une semaine après son arrestation, alors qu'il était en détention au Centre d'Interrogatoire du Commandement du Régiment de la Gendarmerie de Mardin. Les forces de sécurité ont invoqué une crise cardiaque. Sa famille a indiqué la présence d'une blessure à la tête et des contusions sur le corps.
    "En Turquie, la torture est généralement appliquée dans les sections politiques des quartiers généraux de la police, au cours du premier interrogatoire du suspect. Comme ils le font depuis des années, les activistes des droits de l'homme et les juristes rapportent que plus de 90% des suspects politiques, ainsi que plus de 50% des détenus suspectés de crimes ordinaires sont torturés. Dans les postes de police, la torture consiste à suspendre la victime pendant une longue période, à lui appliquer des chocs électriques, la soumettre à des jets d'eau à grande pression et à lui faire endurer la falaka (frapper la plante des pieds).
    "La torture n'est pas réservée aux adultes. Certains enfants de moins de 18 ans (certains n'ont que 11 ou 12 ans), auraient été battus par la police pour des délits tels qu'écrire "Non à la guerre" sur un mur public, manifester le 1er mai, se battre, et appartenir à une organisation illégale.
    "Les postes de police ne sont pas non plus les seuls à recourir à la torture. En 1990, plusieurs rapports dignes de foi ont révélé une recrudescence de la torture dans les prisons, principalement sous la forme de passages à tabac à l'aide de matraques ou de bâtons en bois.

Recommandations

    "Depuis un certain temps, Helsinki Watch est profondément préoccupé par le recours systématique à la torture lors des interrogatoires dans les postes de police turcs. Comme nous l'avons fait par le passé, nous recommandons au gouvernement turc:
    "- qu'il reconnaisse l'existence de la torture dans les centres de détention de la police et prenne des mesures pour y mettre fin;
    "- qu'il fasse entrer en vigueur le décret adopté en septembre 1989 garantissant aux détenus le droit de bénéficier des services d'un représentant dès qu'ils sont arrêtés; les clauses de ce décret n'ont jamais été appliquées;
    "- qu'il interdise l'utilisation dans les tribunaux des confessions obtenues sous la contrainte de la torture;
    "- qu'il augmente les peines passibles pour les délits de torture;
    "- qu'il poursuive ceux qui torturent;
    "- qu'il autorise le Comité International de la Croix Rouge et d'autres organisations internationales à visiter les détenus et les prisonniers dans un cadre légal."

UN CENTRE POUR LES VICTIMES DE LA TORTURE

    Il est prévu que le Centre de Traitement Médical des Droits de l'Homme ouvre ses portes le mois prochain à Ankara, afin de commencer à traiter certaines des quelque 200.000 personnes qui ont été victimes de la torture en Turquie.
    Au cours de sa première année de fonctionnement, le nouveau centre de traitement médical sera en mesure de traiter 100 victimes de la torture et les membres de sa famille qui en seraient affectés. Selon Haldun Ozen, secrétaire général du Centre de la Fondation pour les Droits de l'Homme, inauguré l'année dernière à Ankara, la nouvelle clinique correspond au deuxième projet de la fondation.
    Le personnel du centre de traitement comprendra un médecin à temps plein, deux assistants et deux docteurs qui feront office de conseillers pour traiter et/ou envoyer les patients vers des hôpitaux et des cliniques désignées. Les services du personnel du centre ainsi que les traitements seront gratuits pour toutes les victimes de la torture.
    La fondation estime le coût moyen pour traiter un patient à environ 10.000$. "Un pays riche pourrait consacrer davantage au traitement et aux services" déclara Ozen, "mais c'est tout ce que nous pouvons nous permettre."
    Bien que la Fondation pour les Droits de l'Homme fut fondée en avril 1990, le gouvernement turc ne lui accorda le statut légal que le 30 décembre, à travers une annonce écrite, parue dans le Journal  Officiel.
    Au cours de sa première année de fonctionnement, 40 victimes de la torture furent traités en tant que malades en consultation externe. La plupart des malades vivaient à Ankara, mais cinq patients d'Istanbul et un d'Izmir furent envoyés à la fondation par des médecins de ces deux villes.
    Cependant, Ozen indiqua que ce n'était là que la première phase de l'opération. Après un heureux début de la deuxième phase du centre de traitement, la fondation prévoit la création d'un véritable Centre de Réhabilitation pour les Victimes de la Torture, "espérons que ce sera pour 1992", ajouta-t-il. Ozen indiqua également qu'ils enverraient trois médecins turcs au Centre Danois de Réhabilitation pour les Victimes de la Torture où, pendant une semaine, ils seront formés et un autre qui, lui, restera plus longtemps.
    Le Centre de Traitement Médical espère subvenir aux besoins des personnes actuellement en prison, grâce à l'envoi de médicaments et d'autres produits pharmaceutiques.
    L'essentiel du financement de la fondation provient des dons effectués par des centres de réhabilitation similaires en Europe, le Centre des Nations Unies pour les Droits de l'Homme  à Genève, Amnesty International et ses affiliés, le Parti Ecolo Allemand et des dons de particuliers en Turquie.
    Le coût total du projet du Centre de Traitement Médical est estimé à environ 400 millions de LT. "Même un don de 1.000 LT est le bienvenu" dit Ozen. "Nous avons vraiment besoin de plus d'argent."

UN QUART DES PRISONNIERS SONT MALADES

    Le 21 janvier, l'Association des Médecins de Turque (TTB) communiqua qu'un quart des personnes détenues dans les prisons turques étaient malades et pria instamment le Ministère de la Justice de prendre des mesures pour améliorer les conditions sanitaires dans les pénitentiaires du pays.
    Dans une pétition adressée au Ministère de la Justice —qui, en Turquie, est également responsable de l'administration des prisons— le TTB soumit également une liste de 237 détenus dont on savait qu'ils étaient atteints de plusieurs maladies et demanda plus d'information concernant la santé d'autres prisonniers.
    Le ministre de la justice, Oltan Sungurlu, déclara que le ministère ne satisferait pas la demande du TTB. "Est-ce que le TTB n'a pas confiance dans les médecins qui s'occupent des services sanitaires dans les prisons?" demanda Sungurlu.


RESUME SUR LES DROITS DE L'HOMME POUR L'ANNEE 1990

    La Fondation des Droits de l'Homme de Turquie (TIHV) a publié le rapport suivant en ce qui concerne l'évolution des droits de l'homme en Turquie, en considérant les aspects positifs et négatifs:

Les peines de mort

    En raison des modifications apportées au Code pénal turc, la peine de mort a été abolie dans le cas de 13 délits. Selon un communiqué émanant du Ministère de la Justice, 62 personnes définitivement condamnées à mort sont sur le point de bénéficier de cette modification. Cependant, les dossiers de ces personnes attendent toujours d'être étudiés à la Commission de la Justice de la Grande Assemblée Nationale Turque.
    A la fin de l'année 1990, le nombre total des dossiers des personnes définitivement condamnées à mort s'élevait à 315.    
    L'intensification des attaques armées et des attentats à la bombe ont amené les plus hautes autorités de l'Etat, spécialement le Président de la République, à déclarer que les peines de mort seront exécutées quand il sera nécessaire. Les autorités ont donc continué à traiter ces condamnés comme des otages.
    Bien que la peine de mort résultant de 13 délits ait été abolie, elle reste la peine infligée dans une quarantaine d'autres cas. Donc, bien que la Turquie soit le seul pays membre du Conseil de l'Europe à ne pas avoir ratifié le Protocole N°6, elle est aussi l'un des 7 pays de la CSCE qui exécutent les peines de mort.

La Torture

    L'existence de la torture fut également dénoncée encore en 1990. Dans les locaux des services de la sûreté et lors des interrogatoires, les mauvais traitements furent plus fréquents, c'était comme une procédure systématique. Une étude réalisée à Izmir révèle que 45% des 200 condamnés pour un délit ordinaire ont été soumis à la torture. L'interdiction pour les suspects de rencontrer leur avocat une fois qu'ils ont été placés en détention constitue un autre facteur qui facilite la torture.
    Les circulaires délivrées par le cabinet du Premier Ministre et par le Ministère de la Justice étaient censées apporter la possibilité d'effectuer ces rencontres. Cependant, ces circulaires soumettent ces droits à certaines conditions. La première condition est que l'inculpé présente une demande pour que lui soit accordée une telle rencontre, la police communique alors la demande au Procureur, et finalement ce dernier pourrait accepter ou refuser une telle demande. Etant donné que cette procédure facilite des prétextes pour une attitude arbitraire, la rencontre suspect-avocat ne repose toujours pas sur des conditions sûres. Une des conditions qui rend la torture possible reste donc inchangée.
    Par ailleurs, l'incident que créa le procureur de la Cour de Sûreté de l'Etat, Nusret Demiral, en refusant de recevoir certains représentants du Conseil de l'Europe, écarta les perspectives d'une inspection internationale.
    Un autre aspect qui rendait possible la torture était le fait que la police pouvait prendre des suspects ou des condamnés dans les prisons pour les interroger ou pour recueillir leur témoignage. Tandis que la Cour Constitutionnelle annulait une clause relative à cette pratique dans la Loi sur les Devoirs et les Compétences de la Police, le décret d'Etat d'urgence N° 430 daté du 12 décembre 1990, introduisit une clause similaire.

Enquête de sécurité

    Alors que la réglementation sur les enquêtes de sécurité avait été abolie par le Conseil d'Etat  car elle n'avait pas été promulguée dans le Journal Officiel (J.O.), elle fut réintroduite (J.O. du 13 avril 1990). La nouvelle réglementation rend tout personnel sujet à une inspection connue sous le nom de "Investigation d'Archives" ou "Enquête de Sécurité". Ces inspections seront basées sur des informations rassemblées par des "groupes de renseignements". L'ancien système est donc appliqué à nouveau et de manière étendue.

Libertés individuelles

    Au cours de l'année 1990, les services de sécurité intensifièrent encore leur habitude d'arrêter n'importe qui sans difficulté. Des fonctionnaires qui demandaient une aide alimentaire du FAO, les personnes organisant des manifestations de protestation, les femmes qui ont manifesté avec leurs casseroles à pression, les audiences dans les salles de tribunal, les gens qui ont dit "Non!" à la guerre, tous furent arrêtés sans difficultés, de manière arbitraire. Une étudiante d'une école secondaire, âgée de 16 ans, qui avait collé un poster disant "Non à la guerre", fut seulement relâchée après avoir purgé une détention de deux mois. Cet incident montre une fois de plus que  l'absence dans la juridiction turque d'une limitation du temps de détention et la facilité qu'ont les juges à donner des mandats d'arrêt constituent toujours une menace pour les libertés individuelles.

Liberté de conscience et de religion

    La direction des Affaires Religieuses a demandé aux gouverneurs, au travers d'une circulaire (65.2/962/172), que lui soit envoyé confidentiellement une liste des personnes qui ont abandonné l'Islam au cours des dix dernières années(Milliyet, 26.10.1990). Cette circulaire semble aller dans le sens de l'enregistrement et exerce donc une pression sur la liberté de religion et de conscience.
    D'un autre côté, la Loi  No. 3670 du 25 octobre 1990 a introduit la liberté vestimentaire dans les établissements d'enseignement supérieur.
    Auparavant, la Cour Constitutionnelle avait aboli un article stipulant que les femmes pouvaient se couvrir la tête en fonction de leurs croyances religieuses, sous motif qu'il contredisait bon nombre de clauses de la Constitution, spécialement celle concernant le principe de la laïcité. L'adoption de la nouvelle loi constitue un acte politique au mépris d'un principe constitutionnel.

Liberté de pensée et d'expression

    Le débat sur les articles 141, 142 et 163 du Code Pénal Turc (TCK) était encore à l'ordre du jour en 1990. Des cercles gouvernementaux soutenaient qu'ils attendaient que les partis de l'opposition précisent leur attitude. Cependant, l'attitude du Parti Populiste Social Démocrate (SHP) en faveur de l'abolition de ces articles était déjà claire.
    Le gouvernement soutenait également que l'abolition de ces articles soulèverait des problèmes vis-à-vis de la Constitution.
    Le projet qu'aurait préparé le gouvernement à ce propos fut abandonné vers la fin de l'année.
    D'ailleurs, aucune diminution ou flexibilité dans l'application de ces articles ne fut décelable. Selon une déclaration faite par le Ministre de la Justice le 14 novembre 1990, le nombre des personnes poursuivies en vertu des articles 142 et 163 est de 1.269. Le nombre total des personnes jugées entre 1981 et 1990 sur ces articles serait de 10.949.
    En 1990, le nombre des procès intentés pour "insultes contre le Président de la République" augmenta considérablement. Compte tenu qu'une insulte peut être facilement comme un "délit politique",  les 42 procès intentés en un an constituent un chiffre révélateur du degré de respect de la liberté d'expression et de critique.
    D'ailleurs, des journalistes furent condamnés pour s'être opposés à la Loi sur les Délits Contre la Mémoire d'Atatürk.
    Des procès furent intentés également contre de nombreuses personnes en vertu de l'article 142/3 pour avoir parlé et traduit une "langue interdite par la loi".

Liberté de la presse

    En 1990, la presse fut encore victime de l'application des clauses anti-démocratiques de la Constitution et de la Loi sur la presse. On confisqua certains journaux quotidiens (Bugün, Günes, Günaydin, Sabah, etc). Sabah reçut en plus une notification lui indiquant que sa publication pouvait être interdite.
    Par ailleurs, les magazines de gauche ont été continuellement soumis aux ordres de confiscation émanant des tribunaux.
    28 journalistes se trouvaient en prison au cours de l'année 1990.
    La liberté de la presse s'est également trouvée confrontée à des problèmes internes de monopole et d'auto-censure. Par exemple, le propriétaire du quotidien Günes, dans une notification écrite, demanda aux journalistes du quotidien de suivre une certaine ligne de pensée sur l'affaire de Chypre.
    Les attaques contre la presse et les journalistes ont finalement atteint une dimension physique: deux journalistes (Turan Dursun et Cetin Emeç) perdirent la vie dans des attaques armées.

Libertés des Arts

    Tandis que bon nombre de concerts étaient interdits par les gouverneurs car ils "risquaient de perturber l'ordre public", le théâtre et le cinéma ont également dû faire face aux mêmes problèmes.
    La pièce Pir Sultan Abdal, qui, de manière intermittente était à l'affiche depuis 1967, fut interdite par le gouverneur lors de la 13ème représentation de l'Ankara Birlik Tiyatrosu à Istanbul. La représentation a pu reprendre grâce à une décision favorable d'un tribunal suite la requête du théâtre.
    Dans le cas du cinéma, un fait significatif fut l'interdiction du film The Naked Gun sous la pression de la police et de l'administration qui prétendaient que certains passages du film humiliaient le leader spirituel iranien Khomeini. Les autorités iraniennes avaient également pris des dispositions pour éviter la projection du film.

Liberté d'association et de fondation

    Le gouverneur d'Ankara a fait paraître une circulaire qui affirme que les fonctionnaires n'ont pas le droit d'être membres d'une association (2 avril 1990, Bulletin TIHV). Or, la loi sur les associations ne comprend pas de clause aussi générale; elle reconnaît, au contraire, le droit d'association pour les fonctionnaires avec quelques exceptions.
    En 1990, les associations ont également subi les effets des provisions légales leur interdisant de faire des déclarations politiques. L'Association des Industriels et Hommes d'Affaires Turcs (TUSIAD) dont la position politique était proche de celle du gouvernement et qui fréquemment informait le public de son point de vue sur certains thèmes, reçut des avertissements lorsqu'elle s'est permis de critiquer ouvertement le gouvernement, et son président fut interrogé par le procureur.
    Pour ce qui est des fondations, rappelons le long et fastidieux procès que dut subir la Fondation pour les Droits de l'Homme de Turquie (TIHV) dans sa procédure d'enregistrement.

Liberté de réunion et de manifestation

    Les limitations dans la liberté de réunion et de manifestation, une des libertés collectives les plus effectives, constituent une part importante des violations des droits de l'homme perpétrées en 1990.
    Le bilan des manifestations du 1er Mai, montre qu'en réalité, l'atmosphère d'insécurité résultait des pressions exercées par l'autorité politique. Voici les chiffres approximatifs: 40 blessés dont un grièvement et 3.304 détenus rien qu'à Istanbul d'après les chiffres révélés par les autorités officielles; environ 100 arrestations par les tribunaux dans toute la Turquie et, pour le moment, 33 condamnations.    
    De plus, les gouverneurs interdirent les rassemblements sur le thème "Non à la guerre", les réunions et les défilés de fonctionnaires réclamant la  syndicalisation, les réunions pour les droits de l'homme, un panel sur "la place des Femmes dans la société et leurs problèmes"  à Ankara et les réunions des partis de l'opposition (celles du SHP et du SP à Istanbul).
    Les restrictions que le gouverneur d'Ankara imposa aux fonctions des municipalités dont le maire appartient aux partis de l'opposition ont particulièrement attiré l'attention. Dans le cadre de ces restrictions, le gouverneur n'a pas permis le déroulement d'un tournoi d'échecs, d'une partie de volley-ball, d'une course cycliste, d'un concours de garderie, et d'une soirée d'enseignants.
    La circulaire N° 5032 émanant du Ministère de l'Intérieur confère aux gouverneurs provinciaux le droit d'autoriser des meetings, droit réservé jusqu'alors aux sous-préfets. Ceci veut dire que seuls les gouverneurs provinciaux et les autorités de la sûreté auront le  dernier mot dans ces cas au lieu des sous-préfets qui, selon le gouvernement, ne font pas assez attention aux meetings et au manifestations.

Libertés syndicales

    Le pas le plus important, à ce propos, fut accompli par les fonctionnaires qui ont commencé à faire usage de leurs droits syndicaux en 1990. Certains groupes soutiennent que ni la Constitution, ni les lois apparentées ne comprennent des clauses interdisant la syndicalisation des fonctionnaires et que certains traités internationaux, auxquels la Turquie avait adhéré, reconnaissaient le droit de syndicalisation aux fonctionnaires, ont constitué leur syndicats comme Egitim-Is 'enseignement), Kam-Sen (travaux publics), Bel-Sen (municipalités), etc. Le 2ème tribunal de travail d'Ankara a décidé de classer un procès concernant les fondateurs d'Egitim-Is.
    A la fin de l'année 1990, l'augmentation du nombre des grèves constitua un événement majeur. Les revendications des travailleurs ont donné lieu à une activité commune: Les syndicats ont annoncé que tous les travailleurs quitteront leur travail le 3 janvier 1991..

L'état d'urgence

    Les décrets d'Etats d'urgence ont continué à restreindre les libertés, spécialement dans le sud-est de l'Anatolie. Ces décrets, qui ont force de loi (KHK), ont étendu les restrictions, touchant surtout la presse, en dehors de cette région.
    La  Cour Constitutionnelle a fait usage de son pouvoir pour étudier ces décrets. Lorsque cette cour supérieure laissa entrevoir qu'il pourrait annuler certaines clauses de ces décrets, le gouvernement s'est reporté sur le décret n° 430, qui abolit le décret N° 424 et modifie le décret N° 425. Ainsi, le pouvoir politique tenta de rendre inefficace le contrôle constitutionnel.

L'aspect judiciaire

    L'incident créé par le Président de la Cour d'Appel en exigeant que soit préalablement examiné le discours prononcé traditionnellement par le Président de l'Union des Barreaux de Turquie (TBB) au début de l'année judiciaire, fut considéré comme un acte de "censure", et fit l'objet de nombreuses réactions. Conséquence de cet incident, le TBB ne participa pas aux cérémonies.
    L'incident ne fit  qu'accentuer les inquiétudes pour l'indépendance du pouvoir judiciaire, car il est de notoriété publique que les discours des présidents du TBB sont plutôt critiques, et il est clair que celui de cette année ne serait pas une exception.
    Les nominations  faites par le Président de la République aux sièges vacants de la Cour Constitutionnelle ont également accentué ces inquiétudes. La femme du Premier Ministre fut nommée membre suppléant.
    Le choix opéré à l'avance par le Président de la République parmi les trois candidats à un siège de la Cour des Comptes et ce en accord avec la volonté de la majorité représentative du parti de la Mère Patrie (ANAP), montre qu'on tente d'imprimer à cette cour supérieure une composition dominée par le pouvoir dirigeant. Lorsqu'on laissa entendre que ce membre avait des liens avec une confrérie religieuse, la susceptibilité en fut atteinte.

CENSURE DE LA PRESSE TURQUE

    Les nouvelles concernant la Guerre du Golfe ont été soumises à des restrictions dans la presse turque ainsi que dans d'autres médias. Le 31 janvier 1991, un communiqué émanant du Département de la Presse et de l'Information indiquait que les restrictions auxquelles étaient soumis tous les journalistes travaillant sur le sol turc étaient destinées à préserver la sécurité des installations et des opérations conjointes des forces multinationales dans le pays.
    Nezih Demirkent, président de l'Association des Journalistes, déclara qu'en fait cette situation ne différait en rien de celle imposée précédemment par le gouvernement, qui voulait simplement éviter la publication de certaines informations.
    "Je comprends que l'on impose certaines restrictions momentanées pour préserver la sécurité dans certaines situations d'urgence, mais toutes les autres restrictions et censures sont inacceptables puisqu'elles conduisent à une violation de la liberté d'expression. Malgré les restrictions imposées par le Pentagone sur les informations concernant la guerre, les officiers américains donnaient continuellement des conférences de presse sur les rebondissements quotidiens de la guerre aux journalistes américains ou autres, tandis que le gouvernement turc préférait maintenir la presse et le public dans l'ignorance" ajouta-t-il.

LE 2000E DOGRU INTERDIT A NOUVEAU

    Le 31 janvier, le Ministère de l'Intérieur ferma l'hebdomadaire 2000e Dogru pour une période de deux mois en vertu du Décret de l'Etat d'Urgence N° 430. L'imprimerie Serler, qui imprimait cette revue, fut également frappée d'une suspension de dix jours.
    L'année dernière, 2000e Dogru avait déjà été fermé pendant quatre mois.
    Depuis 1987, cet hebdomadaire a été confisqué à 26 reprises et ses éditeurs et contributeurs ont fait l'objet de 116 actions en justice.
    Avant sa deuxième suspension, en janvier, le 2000e Dogru avait été confisqué à deux reprises: la première fut ordonnée par une cour criminelle d'Elazig pour propagande séparatiste, et la seconde le fut par la CSE d'Istanbul prétextant que ses articles critiquaient la politique menée par le gouvernement dans le Golfe.

PRESSIONS SUR LES MEDIAS EN JANVIER

    Le 2.1, Mustafa Ayan et Adnan Pasa furent mis en accusation par la CSE d'Ankara pour avoir distribué à Zonguldak deux revues politiques, Devrimci Emek et Direnis-Hedef. Accusés de propagande communiste, chacun risque une peine de prison de 12 ans.
    Le 2.1, la CSE d'Istanbul ordonna la confiscation du N° 11 de l'hebdomadaire Yeni Ülke et d'un livre intitulé Sivan'in Sevdasi (L'amour de Sivan), de l'écrivain kurde en exil, Mahmut Baksi.
    Le 4.1, à Ankara, le gouverneur interdit la projection d'un film documentaire sur la longue marche des mineurs de charbon.
    Le 5.1, le journal Kars Mücadele fit savoir que depuis qu'il avait ouvert ses portes en 1987, des procureurs avaient intenté 132 actions en justice contre ses éditeurs et contributeurs. Rien que l'éditeur du journal, le juriste Goksal Tanriverdi, fut mis en accusation dans 54 actions différentes. En raison de l'intensité des poursuites, le journal s'est vu contraint à remplacer ses rédacteur en chef à cinq reprises.
    Le 10.1, la CSE d'Istanbul confisqua le deuxième numéro de la nouvelle revue, Cizgi, car celle-ci contenait un article sur l'Islam et les droits de l'homme.
    Le 14.1, la CSE d'Istanbul ordonna la confiscation de deux mensuels, Komün et Hedef, ainsi que le N° 13 de l'hebdomadaire Yeni Ülke. Les éditeurs des revues sont accusés de propagande communiste et séparatiste.
    Le 15.1, le gouverneur d'Usak interdit l'affichage du poster que le SHP, principal parti de l'opposition, avait imprimé pour mener campagne contre la guerre. Le poster portait la slogan "Non à la Guerre, Longue Vie à la Paix!"
    Le 17.1, le président du Parti Socialiste (SP), Ferit Ilsever, fut traduit devant la cour N° 2 du tribunal criminel de première instance pour avoir insulté le Président de la République. Il risque une peine de prison de quatre ans. Quant à l'éditeur de l'hebdomadaire 2000e Dogru, Adnan Akfirat, qui publia la déclaration d'Ilsever, il risque 8 ans de prison.
    Le 19.1, la CSE d'Istanbul confisqua la publication N° 14 de l'hebdomadaire Yeni Ülke pour ses articles contre la guerre.
    Le 21.1, la CSE de Konya condamna Kerim Bozdag, journaliste de la revue islamiste, Akdogus, à un an de prison pour avoir suspendu une bannière sans y avoir été autorisé.
    Le 23.1, deux journalistes du quotidien Cumhuriyet furent traduits devant une cour criminelle d'Istanbul pour avoir insulté le Président de la République. Ilhan Selcuk risque une peine de prison de 9 ans et Oktay Akbal 4 ans et 6 mois de prison.
    Le 24.1, tous les composants du groupe musical, Ekin, furent mis en état d'arrestation.
    Le 24.1, la Cour Pénale de Première Instance No.2 d'Istanbul ordonna que le numéro d'août 1987 de l'édition turque de Playboy et celui de janvier 1990 de Playman soient détruits par le feu. Ces publications avaient déjà été confisquées pour obscénité.
    Le 24.1, le gouverneur interdit la représentation de Pir Sultan Abdal au théâtre Birlik à Izmir.
    Le 28.1, le gouverneur d'Istanbul ordonna la fermeture du journal Konstantiniyye Haberleri (Nouvelles de Konstantinyye), vieux de dix-huit mois, sous prétexte que son nom évoquait Constantinople, ancien nom grec d'Istanbul sous l'Empire Byzantin. Le propriétaire, Cuneyt Ayral, tint ces propos: "Depuis le jour où notre journal est paru pour la première fois, nous avons reçu des réactions de diverses sources. Aucune compagnie ne veut nous confier sa publicité. Même dans la rue, des passants nous demandent si nous louons les Roumis (Grecs). Nous n'abandonnerons pas. Nous irons en justice."
    Le 29.1, l'éditeur responsable du quotidien Cumhuriyet, Okay Gönensin, fut mis en accusation pour une information concernant Nermin Alkan, une étudiante de 16 ans arrêtée pour avoir affiché des posters contre la guerre sur les murs de son école. Gönensin risque trois mois de prison.
    Le 30.1, la CSE d'Istanbul confisqua un livre sur le mouvement des travailleurs publié par la Maison d'Edition Devrimci Proletarya, ainsi que le N° 27 du mensuel Özgürlük Dünyasi.
    Le 31.1, le mensuel Deng fut confisqué par ordre d'une cour pénale d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 31.1, les gouverneurs décidèrent de supprimer les représentations de Pir Sultan Abdal par le Théâtre Birlik à Edirne et Kirklareli.

TERREUR D'ETAT EN JANVIER

    Le 2.1, à Erzincan, deux membres du SHP furent arrêtés pour avoir distribué des tracts de solidarité envers le mineurs de charbon en grève.
    Le 2.1, à Ankara, la police annonça l'arrestation de 22 personnes qui appartiendraient à une organisation de gauche clandestine.
    Le 3.1, à Ankara, 54 personnes, parentes des prisonniers politiques, furent arrêtées pour avoir organisé une manifestation devant la prison à l'occasion de leur visite de Nouvel An. A Ceyhan, sept autres parents de prisonniers politiques furent arrêtés pour avoir protesté contre les restrictions imposées aux visites de Nouvel An.
    Le 4.1, deux avocats, Husnu Ondul et Esin Fatma Kulac, furent arrêtés pour avoir fait paraître un communiqué dans lequel ils s'élevaient contre l'arrestation de mineurs de charbon en grève. La police perquisitionna également leurs bureaux et maisons et confisqua certains documents. Ondul est un membre distingué de l'Association des Droits de l'Homme (IHD), de la Fondation pour les Droits de l'Homme (TIHV) et de l'Association des Juristes Contemporains (CHD). Deux juristes arrêtés se sont mis en grève de la faim.
    Le 6.1, la Cour d'Appel Militaire prononçait une peine de mort contre Mahir Gunes et la sentence était soumise à l'Assemblée Nationale pour y être ratifiée.
    Le 6.1, à Ankara, le gouverneur annula un débat sur les effets nocifs de la guerre pour la santé organisé par la Chambre des Médecins d'Ankara.
    Le 6.1, à Bursa, sept étudiants furent arrêtés pour avoir organisé une action de solidarité envers les mineurs en grève.
    Le 8.1, outre les deux juristes arrêtés auparavant, la police en arrêta deux autres, Ali Yildirim et Aydin Erdogan, à Ankara, pour avoir organisé des manifestations en faveur des mineurs en grève.
    Le 9.1, la CSE d'Istanbul arrêta neuf étudiants universitaires pour avoir organisé des manifestations en faveur des mineurs en grève.
    Le 10.1, à Ankara, la police arrêta quatre étudiants de l'Université de Hacettepe pour avoir mené une action en faveur des mineurs en grève.
    Le 11.1, cinq personnes furent arrêtées à Ankara pour avoir vendu un calendrier portant des inscriptions considérées comme insultantes pour le Président de la République.
    Le 15.1, à Istanbul, 50 personnes furent arrêtées au cours d'une opération de ratissage menée par la police dans les bas quartiers de Kucukcekmece et Avcilar.
    Le 16.1, commença le procès de 17 membres présumés du Parti Communiste de Turquie/Marxiste-Léniniste (TKP/ML) à la CSE d'Istanbul. Une femme qui se trouvait parmi les défendeurs, Hüsniye Tasli, déclara qu'elle et beaucoup de ses camarades avaient été torturés par la police au cours de l'interrogatoire.
    Le 19.1, la police annonça l'arrestation de 16 membres présumés du Groupe Armée de Propagande Marxiste-Léniniste (MLSPB) à Gebze.
    Le 21.1, à Kars, la police arrêta cinq personnes qui étaient en train de distribuer les posters du SHP contre la guerre.
    Le 21.1, à Sanliurfa, Turan Saritemur, président local du principal parti de l'opposition, le SHP, fut traduit devant un tribunal pour avoir donné à son fils un nom kurde, Velat. Le procureur rappelant que la loi sur la population interdit tout nom incompatible avec l'usage commun turc, demanda au tribunal de changer le nom du nouveau-né.
    Le 22.1, un écolier de 12 ans, ainsi que quatre autres personnes, étaient arrêtés à Istanbul pour avoir collé des posters contre la guerre.
    Le 22.1, le professeur Dr. Leziz Onaran, Président de l'Association des Docteurs Contre la Guerre Nucléaire (NUSHED), fut arrêté à Ankara pour avoir organisé précédemment une manifestation contre la guerre.
    Le 22.1, le gouverneur d'Ankara fermait définitivement l'Association des Juristes Contemporains (CHD), sous prétexte que ses membres participaient à des activités politiques. Quatre membres de l'association avaient été arrêtés début janvier pour avoir publié un communiqué de solidarité envers les mineurs en grève.
    Le 23.1, trois membres du Parti Socialiste (SP) furent arrêtés à Istanbul pour avoir envoyé au président Özal un drapeau américain en signe de protestation pour son attitude pro-américaine. Le même jour, onze membres dominants du Parti Travailliste du Peuple (HEP), furent arrêtés dans la région de Karakocan, province d'Elazig.
    Le 24.1, la police lança une opération de grande envergure contre les membres de deux associations, l'Association de Solidarité envers les Familles des Prisonniers (TAYAD) et l'Association des Femmes dans la Lutte Démocratique (DEMKAD), toutes deux fermées en décembre 1990. Parmi les détenus figuraient également les présidents locaux des deux associations. La police perquisitionna également le bureau du mensuel Mücadele.
    Le 25.1, le président du Parti Socialiste (SP) à Ankara, Ilknur Kalan, fut arrêté, accusé d'avoir insulté le Président de la République.
    Le 25.1, les forces de sécurité arrêtèrent plus de 100 Kurdes au cours d'une opération de ratissage à Nusaybin.
    Le 27.1, à Istanbul, la police empêcha par la force une manifestation des membres du IHD, et le président de ce parti, l'avocat Ercan Kanar fut arrêté en compagnie de dix autres membres. A Ankara, une réunion exigeant la fin de la guerre, organisée par l'association des diplômes de la Faculté des Sciences Politiques, fut interdite par le gouverneur. Les leaders politiques invités au débat ne furent donc pas autorisés à exprimer leur point de vue sur la Guerre du Golfe.
    Le 28.1, à Ankara, une manifestation contre la guerre, composée d'une centaine de personnes fut dissoute de force par la police. 11 manifestants et 4 journalistes furent arrêtés.
    Le 30.1, la police perquisitionna la Maison du Peuple de Cankaya à Ankara et six personnes furent arrêtées.
    Le 30.1, la Cour Militaire d'Appel confirma une peine de prison de deux ans et vingt jours contre Osman Yagiz, maire de la municipalité de Kozluca à Burdur. Il avait été condamné par la CSE d'Izmir pour propagande religieuse.
    Le 30.1, la Cour d'Appel Militaire confirma la peine de mort contre deux membres du PKK, Enver Simseksoy et Mehmet Sait Uclu, ainsi que des peines de prison pour 48 autres accusés. Le nombre de condamnations à mort soumises à l'Assemblée Nationale s'élève donc à 316, dont 173 concernant des prisonniers de gauche et 28 de droite. Quatre autres condamnés sont des militants palestiniens arrêtés à Ankara pour l'attaque qu'ils perpétrèrent contre l'ambassade d'Egypte et enfin, 111 personnes furent condamnés pour des crimes ordinaires.
    Le 31.1, une fois de plus, la police mena une opération de ratissage dans les bas quartiers de Kucukarmutlu, à Istanbul, invoquant la capture de certains individus recherchés. Au cours de l'opération, de nombreuses portes et fenêtres furent détruites et près de 300 personnes furent arrêtées.

DEBATS SUR LA TURQUIE AU PARLEMENT EUROPEEN

    Le 6 février 1990, le Comité Politique du Parlement Européen a engagé une discussion sur les relations turco-européennes sur base du rapport de M. Alman Metten. Le parlementaire socialiste hollandais dressa un rapport non seulement sur les résultats de la récente réunion de la Commission Parlementaire Mixte tenue à Ankara, duquel il était co-président, mais également sur son entretien avec le président Özal.
    o La délégation européenne a fait comprendre à son homologue turque que, la situation des droits de l'homme en Turquie est un élément déterminant pour le déblocage du 4e protocole financier et une éventuelle adhésion. Le gouvernement turc ne comprend peut-être pas suffisamment qu'il a besoin de l'accord du Conseil mais aussi... de 260 voix au Parlement européen. Ce message a été très bien compris par les députés turcs.
    o L'impression de M. Metten est que les pressions exercées par le Parlement européen ont produit un effet. Le Parlement turc vient de créer une commission des droits de l'homme, ce qui est un pas en avant considérable. Même s'il reste interdit, le parti communiste semble maintenant toléré (cf. son congrès de janvier).
    o Le Président ÖZAL, au cours de son entretien avec M. Metten, s'est engagé à supprimer les articles 141, 142 et 163 du code pénal, qui concernent le délit d'opinion. Le jour même où il a pris cet engagement, il a été communiqué à la presse àAnkara.
    o Un premier pas a été effectué la semaine dernière pour ce qui est des Kurdes : I'usage de la langue kurde n'est plus un délit. Certes, un,long chemin reste a parcourir sur le plan de l'autonomie culturelle et politique,
    o Les aspects les plus draconiens des lois spéciales applicables à l'Est de la Turquie ont été supprimés.
    o Des aspects négatifs : la non-reconnaissance des libertés de presse et syndicale, même si la tolérance semble s'accroître à l'égard des syndicats.
    o Le Président Ozal a exprimé sa préoccupation au sujet des visites rendues par le Ministre grec des affaires étrangères en Syrie, en Egypte et aux Etats-Unis, qui auraient eu pour objet d'évoquer les revendications territoriales que la Turquie envisagerait d'émettre a l'égard de l'Irak : le Président Ozal a nié absolument l existence de telles revendications de la part de la Turquie.
    M. Metten estime que la Turquie na pas l'intention de demander des compensations territoriales ou militaires mais quelle veut des compensations économiques. si la Communauté européenne ne faisait rien dans ce sens, les Etats-Unis, eux, octroieraient des compensations dont la Communauté pourrait craindre le caractère militaire.
    o Le Président turc a le sentiment que la Communauté européenne a une politique de deux poids et deux mesures à l'égard de la Turquie : ainsi, dans le cadre de l'aide spéciale à l'égard des pays touchés par la crise du Golfe, la Jordanie et l'Egypte recevront des aides, la Turquie seulement des prêts...
    o En ce qui concerne Chypre, le Président Özal a déclaré que la Turquie souhaitait une décision dans le cadre des Nations unies, sans intervention de la Communauté européenne.
    o M. Ozal et en garde les Etats membres de la Communauté : alors que Saddam Hussein tente de présenter la guerre comme une guerre entre chrétiens et musulmans, ils devraient veiller à ne pas traiter les citoyens musulmans d'une manière particulière car cela ferait le Jeu de Saddam Hussein.
    o La Turquie est consciente du problème des droits de l'homme. Indépendamment des pressions qui sont exerces sur elle, elle souhaiterait atteindre le niveau de la Communauté européenne dans ce domaine mais celle- ci, en revanche, doit comprendre que le changement législatif 'est pas tout, qu'il doit s'accompagner d'un changement dans les mentalités : précisément, l'accord d'association CEE/Turquie pourrait y contribuer.
    La Commission Politique discutera encore des relations turco-européennes dans les jours à venir, à l'occasion de la présentation de deux rapports: celui de Mme Raymonde Dury, socialiste belge, sur les problèmes généraux des relations avec la Turquie dans le cadre de la demande d'adhésion, et celui de M. William Newton Dunn, conservateur britannique, sur le 4ème Protocole Financier entre la CEE et la Turquie.