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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


196

17e année - N°196
Février 1993
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

Le gouvernement, oubliant ses promesses de "transparence", empêche
tout débat parlementaire sur les activités subversives soutenues par l'Etat

LA CONTRE-GUERILLA RESTE INTOUCHABLE

    Alors que se poursuivent les assassinats commis ou couverts par des organisations clandestines de l'Etat, le gouvernement refuse d'ouvrir un débat parlementaire sur les activités subversives de l'Organisation Contre-Guérilla en dépit des promesses de "transparence" faites pendant la campagne électorale.
    Récemment, deux partis de l'opposition, le Parti du Bien-être (RP) et le Parti Travailliste du Peuple (HEP) ont soumis au Parlement une motion pour que l'Assemblée Nationale mène enquête.
    Par ailleurs, un groupe de députés du HEP fit une proposition similaire. Le député d'Adiyaman, Celal Kürkoglu et 14 autres députés du SHP précisèrent que les plaintes contre la Contre-Guérilla s'étaient intensifiées après l'assassinat du célèbre journaliste Ugur Mumcu. Evoquant la découverte d'organisations comme Gladio dans les pays de l'OTAN, créées après la Deuxième Guerre Mondiale pour contrer une éventuelle invasion communiste, les députés du SHP demandèrent que soit également ouverte une enquête en Turquie.
    Contre leurs propres promesses électorales, le Premier Ministre Demirel et le Vice-Premier Ministre Inönü empêchèrent les groupes de leurs partis de voter en faveur d'un tel débat.
    Lors du meeting du groupe parlementaire du SHP, Inönü fit savoir qu'un tel débat n'était pas opportun parce qu'il pouvait offusquer le principal partenaire de la coalition, le DYP, et l'armée. Sous sa pression, le groupe parlementaire de son parti vota contre l'ouverture d'un débat parlementaire sur le sujet.

RAPPEL HISTORIQUE SUR LA CONTRE-GUERILLA

    Le terme Contre-Guérilla fut utilisé pour la première fois juste après le coup-d'Etat du 12 mars 1971, lorsque les généraux forcèrent le gouvernement de Süleyman Demirel à démissionner par la publication d'un mémorandum. L'infâme Mansion Ziverbey, dans le district d' Erenköy, à Istanbul, était un important centre d'interrogation. Des dizaines d'intellectuels, parmi eux d'importants écrivains et des journalistes, ainsi que certains officiers progressistes de l'armée, y furent placés en détention. Parmi les journalistes torturés se trouvait Ugur Mumcu, qui maintes fois dénonça le problème de la Contre-Guérilla dans ses articles et ses livres. Mumcu fut assassiné le 24 janvier de cette année.
    Dans ce centre d'interrogation, les victimes du coup-d'Etat de 1971 subirent des tortures hautement sophistiquées. Au cours des interrogatoires, les tortionnaires intimidaient toujours leurs victimes de la manière suivant: "Nous sommes la Contre-Guérilla. Même le Président de la République ne peut rien contre nous".
    En fait, cette sinistre organisation existe déjà depuis 1952 sous le nom de Département de Guerre Spéciale, dont les quartiers généraux se trouvaient dans les bâtiments la Mission d'Aide Militaire Américaine à Ankara. La formation des officiers de ce département était assurée par les services de renseignement américains.
    Talat Turhan, officier de l'armée à la retraite et torturé à Ziverbey, a écrit trois livres sur les opérations des groupes de la Contre-Guérilla en Turquie. Dans une interview concédée au quotidien Dateline le 24 octobre 1990, Turhan précise que l'organisation contre-guérilla, comparable à Gladio, fut créé après que la Turquie soit devenue membre de l'OTAN en 1952. Il y fait allusion à un possible lien entre l'Organisation Contre-Guérilla et les assassinats de Cetin Emec, ancien rédacteur-en-chef du quotidien à grand tirage Hürriyet, de l'avocat Muammer Aksoy, partisan convaincu des principes de réforme d'Atatürk, le conférencier en théologie et ancien ministre du SHP, Bahriye Ücok, et l'écrivain Turan Dursun. "Théoriquement, si les assassins ne peuvent être retrouvés et si les assassinats politiques se poursuivent, les auteurs de ces crimes ne peuvent être que les forces de sécurité et les agences de renseignement. Ces organisation peuvent agir indépendamment ou en collaboration. Elles pourraient même coopérer avec des agences de renseignement étrangères. C'est au gouvernement de prouver l'exactitude ou inexactitude de cette théorie", déclara-t-il.
    Evoquant la période qui précéda le coup-d'Etat de 1971, Turhan expliquait: "Avant le coup-d'Etat du 12 mars 1971, il s'est produit une intensification des activités terroristes individuelles. Cette atmosphère politique fut suivie du coup-d'Etat militaire. C'était tout bénéfice pour les Etats-Unis, qui se montraient contraires aux libertés concédées par la Constitution de 1961. L'incitation au coup-d'Etat était justifiée par la nécessité d'apporter des amendements à la Constitution rendant à nouveau possible l'exploitation du pays par les Etats-Unis".
    Selon Turhan, le coup-d'Etat militaire du 12 septembre 1980 avait exactement le même objectif. "Ceux qui voulaient exploiter ce pays encore plus qu'ils ne le faisaient par le passé organisèrent un autre putsch. Les provocations et les assassinats par des personnes inconnues plongèrent la Turquie dans un bain de sang. L'issue de cette situation fut le coup-d'Etat", rappelait Turhan. Il confia à Dateline que l'idée de départ de créer un groupe de résistance contre l'invasion d'un pays membre de l'OTAN, orchestrée par l'Union Soviétique, était légitime. "On ne peut pas blâmer la création d'une telle organisation ni ses activités si elles restent dans la légalité. Mais si elle agit sous l'influence de forces étrangères, surtout de l'impérialisme américain, il est fort probable qu'elle soit utilisée pour des activités illégales. C'est ce qui s'est passé en Italie et c'est ce qui est en train de se produire en Turquie", dit-il.
    Turhan, qui avait beaucoup d'influence au sein de l'armée après le coup-d'Etat de 1960, fut accusé d'avoir participé à deux tentatives de putschs militaires et dut quitter l'armée en 1964. Après le coup-d'Etat de 1971, instigué par des officiers d'extrême-droite, Turhan fut incarcéré pour activités subversives et pour avoir tenté un coup-d'Etat gauchiste.
    Durant son procès, il présenta plusieurs documents à la cour. Parmi eux il y en avait un intitulé Opérations Contre-Guérilla publié par l'armée américaine comme manuel de terrain FM-31-16. Par la suite, il fut traduit en turc et publié par l'armé turque sous le code ST-31-1S.
    Il a également présenté -en tant que preuve des opérations contre-guérilla en Turquie- un livre intitulé Guerre de Contre-Révolte, par David Galula. Ce livre, publié en 1964 par Frederick A. Praeger, Inc., que Turhan présenta comme la maison d'édition de la CIA, parut en Turquie en 1965 par initiative de l'armée turque. Selon Turhan, Opérations Contre-Guérilla, était un manuel pour les organisations contre-guérilla en Turquie.
    Opérations Contre-Guérilla donne des détails techniques détaillés sur les embuscades, les activités terroristes, les sabotages, las attaques contre les postes de police et les patrouilles, les vols à main armée et la torture. Un autre ouvrage de Galula sur la guerre de contre-révolution contient, au chapitre sept, des tactiques pour influencer les leaders politiques locaux et truquer les élections lorsqu'il s'avère nécessaire.
    "Dans certaines élections locales, il se peut que tous les candidats à l'élection soient des incapables et qu'il soit impossible d'en trouver des meilleurs. C'est une situation bien regrettable. Mais dans ces conditions il ne reste d'autre alternative que d'amener un autre candidat d'un autre voisinage et truquer les élections", explique le livre.
    Aidées et soutenues par le Département de la Guerre Spéciale, les bandes armées du Parti de l'Action Nationaliste (MHP), dirigé par l'ancien colonel Alparslan Türkes et connu sous le nom de Loups Gris, avait déjà assassiné 42 personnes de gauche au cours des cinq ans de gouvernement du Parti de la Justice, qui s'étendit jusqu'en 1971. Après avoir oeuvré pour l'instabilité du pays au travers de la violence politique des Loups Gris, les forces armées sont intervenues le 12 mars 1971. Pendant les deux ans de répression qui suivirent le Département de la Guerre Spéciale s'est mis en évidence. Cette organisation fut responsable de toutes les arrestations et tortures en collaboration avec les Loups Gris.

LA CONTRE-GUERILLA ET LES TROUS DE MEMOIRE D'ECEVIT

    Lorsque le parti social démocrate SHP arriva au pouvoir par deux fois, en 1973 y 1978, toutes les forces démocratiques de Turquie qui le soutenaient, demandèrent au Premier Ministre Bülent Ecevit de mettre fin à cette sinistre organisation. Bien qu'au début Ecevit promit d'oeuvrer en conséquence, il ne tint jamais ses promesses et céda a la pression de l'armée.
    En mai 1977, des dizaines de personnes se sont données rendez-vous à la Place Taksim d'Istanbul pour les festivités du premier mai et ont commencé à scander des slogans dans lesquels elles réclamaient du travail et critiquaient le gouvernement. Des franc-tireurs de l'armée étaient positionnés sur les toits. Soudain, quelqu'un ouvrit le feu. Des dizaines de protestants furent atteints par les coups de feu tirés depuis les toits et les fenêtres des chambres d'hôtel qui donnaient sur la place. Il y eut une trentaine de morts et des centaines de blessés. Le quotidien Aydinlik attribua ce massacre à l'Organisation Contre-Guérilla et jusqu'à présent aucune preuve ne put contredire cette affirmation.
    Au cours de la même période, les médias rapportaient quotidiennement l'assassinat de personnalités tel que des journalistes, des écrivains, des professeurs d'université et des leaders syndicaux, mais les auteurs de ces crimes provocants n'ont jamais été identifiés.
    L'arrestation de Mehmet Ali Agca, l'activiste d'extrême-droite qui assassina le célèbre journaliste Abdi Ipekci en 1978, fut une exception. [Mais quelques mois plus tard, grâce à la complicité des forces armées, cet assassin notoire put s'évader d'un pénitencier militaire extrêmement bien gardé. Ce même Agca allait tirer sur le Pape le 13 mai 1981. Le mobile de ce crime, commis au pays de "Gladio" par un Loup Gris qui jouissait de la protection du "Gladio" turc n'a jamais été découvert, malgré les nombreux procès publics célébrés à Rome].
    La question de l'Organisation Contre-Guérilla fut évoquée au Parlement en 1978 par le sénateur du CHP, Niyazi Ünsal, et le député Süleyman Genc. Ils accusaient l'organisation d'avoir fourni des armes à des groupes terroristes comme les Loups Gris et les avoir poussés à agir. Mais Bülent Ecevit, Premier Ministre Socio-démocrate pendant cette période, empêcha tout débat sur cette organisation subversive malgré ses promesses électorales.
    Rappelons ce que disait l'édition de février de 1978 du bulletin d'Info-Türk:
    "En fait, depuis les dernières élections générales [1977], Ecevit semble avoir oublié ses précédentes déclarations et il n'a même pas mentionné les activités illégales de l'organisation contre-guérilla dans le programme du gouvernement".
    "Après la controverse soulevée par ce problème, Ecevit était ne pouvait garder le silence mais, au lieu d'insister sur ses précédentes déclarations, il demanda de clore le débat".
    "Le 4 février 1978, au cours d'une conférence de presse, Ecevit nia l'existence d'une organisation contre-guérilla et précisa que ses déclarations antérieurs n'étaient pas des affirmations mais des suppositions. `D'après mes investigations il n'existe officiellement aucune organisation contre-guérilla créée par l'Etat. Nous devons nous montrer tous respectueux envers les forces armées turques et les aider dans leur volonté de rester en dehors du monde politique', souligna Ecevit".
    Deux après la publication de cet article, en septembre 1980, le général Evren renversait le gouvernement et prenait le pouvoir sous prétexte que la violence politique prenait des dimensions incontrôlables. C'était encore l'Organisation Contre-Guérilla qui planifiait et attisait la violence politique qui avait servi de prétexte à ce nouveau coup-d'Etat militaire.

LES REVELATIONS D'ECEVIT SUR LA CONTRE-GUERILLA

    Douze ans après ces déclarations, lors de la découverte des activités de "Gladio" dans d'autres pays de l'OTAN, Ecevit reconnaissait que de nombreux indices donnaient à penser qu'une force paramilitaire clandestine de l'OTAN existait également en Turquie. Voici les déclarations faites par Ecevit le 13 novembre 1990:
    "En 1974, juste avant l'opération militaire à Chypre, je fus informé pour la première fois de l'existence d'un département chargé d'une guerre spéciale au sein du quartier général de l'Etat-Major turc. Ils me demandaient de l'argent. Lorsque j'ai voulu savoir qui avait fiancé le département jusque là, on me répondit que les Etats-Unis s'en étaient chargés", expliqua Ecevit.
    "Devant mon insistance, un briefing secret fut tenu pour nous expliquer à moi et au Ministre de la Défense, Hasan Isik, le fonctionnement de cette organisation. On nous dit que le Département de Guerre Spéciale était une organisation composée de `patriotes volontaires'. Nous apprîmes également que ses quartiers généraux se trouvaient dans le même bâtiment que la délégation d'aide militaire américaine à la Turquie, que l'organisation avait des dépôts d'armes secrets et que ses membres étaient initiés à des techniques de guerre spéciale. Si le pays était envahi par un agresseur, les membres de cette organisation clandestine étaient supposés déclencher la guerre contre-guérilla. Selon mes interlocuteurs, l'organisation était composée principalement de personnes jeunes qui en vieillissant pourraient devenir des hommes politiques.
    "C'était une arme secrète. J'ai pensé que nous devions agir vite et prendre des mesures contre l'utilisation de cette organisation. Mais c'était l'époque de l'opération à Chypre et rien n'a été fait".
    Ecevit expliqua que lorsqu'il redevint Premier Ministre en 1978, il discuta de l'affaire avec Kenan Evren, chef d'Etat-Major à l'époque. "Je lui ai dit que nous devrions donner un statut officiel au Département de Guerre Spéciale. Evren me promit de le faire".
    Ecevit précisa que plusieurs incidents survenus en 1977 et 1978 n'étaient toujours pas éclaircis. "Le plus important s'est produit lors du rassemblement du premier mai 1977 à la Place Taksim d'Istanbul. Il provoqua la mort de plus de 30 personnes. J'ai averti Fahri Korutürk, président de la Turquie, que je soupçonnais la branche civile du Département de Guerre Spéciale d'être derrière les incidents du premier mai. Il me demanda de lui soumettre mes craintes par écrit".
    Ecevit mentionna également une tentative d'assassinat contre sa personne le 29 mai 1977. Au cours de l'incident un policier blessa Mehmet Isvan, un associé d'Ecevit, avec une arme spéciale actionnant un petit missile. "Après l'incident on laissa entendre que les forces de police turques n'étaient censées disposer d'une telle arme. Nos tentatives pour essayer de découvrir l'origine de cette arme sont restés vains. Nous ne sûmes jamais d'où elle provenait ou qui l'avait remise au policier qui en fit l'usage", expliqua Ecevit.
    En 1977, Ecevit -qui alors était Premier Ministre- avertit publiquement Ecevit de ne pas prendre part à un rassemblement politique à Taksim car il y avait des indices d'un possible attentat contre lui.
    "En 1978, lorsque je suis arrivé au pouvoir, j'étais curieux de savoir où Demirel avait eu cette information", poursuivait Ecevit. "J'ai demandé le dossier pour l'examiner. L'avertissement était écrit sur une feuille blanche sans signature. Ni les autorités policières, ni l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT) n'avaient apparemment cherché à savoir d'où provenait le papier. Ceci me fit penser à nouveau au Département de Guerre Spéciale.
    Ecevit expliqua qu'à cette époque il attribuait la violence de droite aux activités clandestines du département. Selon lui, la Turquie se trouvait dans un grand tourbillon social qui allait précipiter le pays vers le coup-d'Etat d'Evren en 1980.
    A l'époque, les gangs armés affiliés au Parti d'Action Nationaliste (MHP), d'idéologie néo-fasciste, combattaient les groupes de gauche, rappelait Ecevit. Plus d'une fois, son cortège avait subi des coups de feu durant sa tournée à travers le pays: "Dans une petite ville, j'ai parlé du département de guerre spéciale et de mes soupçons concernant ses activités avec un général de l'armée que je savais directement lié au département.
    "Je fis part de mes préoccupations au général. Il me répondit que les personnes qui travaillaient pour cette organisations étaient des gens de bonne volonté. Selon lui, elles aimaient leur pays. Lorsque je lui ai répliqué que des membres de groupes violents affiliés au MHP pouvaient s'intégrer dans cette organisation clandestine, il me répondit que le chef du MHP [dans la ville où nous avions été attaqués] était également un patriote et un homme de bonne volonté. Sans le savoir, il venait d'admettre que le chef du MHP de la ville où nous trouvions était également membre du Département de Guerre Spéciale".

LA VERSION MILITAIRE DE LA CONTRE-GUERILLA

    Le général Kenan Evren, chef militaire du putsch de 1980, admit également l'existence du Département de Guerre Spéciale et sa participation à plusieurs activités clandestines dans les mémoires qu'il publia en 1990.
    Selon lui, avant le coup-d'Etat militaire du 5 mai 1980, le Premier Ministre Süleyman Demirel avait demandé l'utilisation du Département de Guerre Spéciale pour combattre le terrorisme.
    J'ai rejeté sa demande. Mais Demirel insista et ajouta que le département avait déjà été utilisé en 1971 pour combattre les activités subversives. J'ai une nouvelle fois refusé sa demande. Pendant la période où j'ai travaillé à la direction du Quartier Général de l'Etat-Major, le département ne fut jamais utilisé au delà de son but initial. Certaines personnes affiliées peuvent avoir participé à ces incidents. Il m'est impossible de le savoir. Ils peuvent avoir pris part sans m'avertir", précisa-t-il.
    Evren confirma que le Département de Guerre Spéciale avait déjà été utilisé antérieurement dans ce genre d'activités. Il participa, par exemple, à l'assassinat de neuf militants de gauche à Kizildere, dans le nord de l'Anatolie, le 30 mars 1972.
    D'autre part, dans une interview publiée le 26 novembre 1990, Evren déclarait au quotidien Hürriyet que des civils affiliés à une organisation paramilitaire clandestine créée par le Département de Guerre Spéciale, au Quartier Général de l'Armée, pouvaient avoir pris part, à son insu, à des incidents terroristes avant 1980.
    Après ces révélations, en 1990 les Forces Armées turques reconnurent pour la première fois l'existence de ce département, mais nièrent sa participation à des activités subversives.
    Le 3 décembre 1990, le Lieutenant-Général Dogan Bayazit, chef de la Division des Opérations de l'Etat-Major, déclara aux journalistes: "Le département fut créé pour opposer une résistance en forme de guerre de guérilla et d'opérations de délivrance et de kidnapping à une éventuelle invasion".
    Le Brigadier Général Kemal Yilmaz, chef du controversé Département de Guerre Spéciale, confirma que l'organisation avait été créée en septembre 1952, lorsque Adnan Menderes, un allié convaincu des E.U., était Premier Ministre et la Turquie venait d'adhérer à l'OTAN en tant que membre.
    Selon Yilmaz, le Département de Guerre Spéciale, composé de civils et de nombreux officiers, organisa un mouvement de résistance à Chypre entre 1963 et 1974 et fut également utilisé en 1980 pour récupérer les otages d'un avion des Lignes Aériennes Turques détourné sur Diyarbakir par des terroristes fondamentalistes musulmans. "Le département est toujours actif dans les opérations de sécurité menées contre le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), dans les provinces du sud-est de la Turquie", poursuivit-il.
    Aux affirmations d'Ecevit, Beyazit répondit que celui-ci n'avait pris connaissance du département qu'en 1974, en tant que Premier Ministre, lorsqu'on lui demanda des fonds additionnels: "En 1974, Ecevit assista à un briefing de l'Etat-Major. Les généraux présents dans la réunion prirent note des commentaires du Premier Ministre: `C'est [mon] devoir national [d'apporter des fonds au département]. En principe, je suis d'accord pour utiliser des fonds nationaux. Déterminez ce dont vous avez besoin et remettez-moi une liste'. Si Ecevit prétend qu'il ne fut pas entièrement informé, c'est qu'il n'a pas lu convenablement les décrets qu'il signa".
    Bayazit ajouta que le département n'est pas une organisation clandestine mais une division de l'armée. Cependant, il nia que cet organisme ait été créé à la demande de l'OTAN. Il dit également qu'il n'existait aucun lien entre le Département de Guerre Spéciale et l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT). Mais il admit la coopération du département avec l'OTAN dans des problèmes techniques et la participation occasionnelle aux programmes d'entraînement de l'OTAN en Turquie et à l'étranger.
    L'organisation n'était pas particulièrement anti-communiste, souligna Bayazit. "Si la Turquie avait été un pays sous la seule menace d'une invasion communiste, le département aurait été structuré comme un bouclier contre le communisme. Mais le pays court d'autres danger provenant par exemple du fondamentalisme religieux, du Président Saddam Hussein ou de la Grèce", ajouta-t-il. "Le département s'opposerait également à une révolution religieuse en Turquie".
    Lors d'une conférence de presse, Bayazit nia l'utilisation de la mansion de Ziverbey par le département. "Le département ne s'est vu assigner aucune activité illégale pendant le coup-d'Etat militaire du 12 septembre 1980".

LA CONTRE-GUERILLA CHANGE DE NOM

    L'Organisation Contre-Guérilla changea officiellement de nom en 1992 et devint le Commandement des Forces Spéciales (CFS) des Forces Armées Turques. L'organisation refaisait son apparition dans la presse le 23 octobre 1992 sous sa nouvelle dénomination.
    Le Général Kemal Yilmaz, Commandant des CFS, rappela que dans de nombreux pays démocratiques il existe des forces similaires sous des appellations comme Commandos SAS, Unités Alpines, Unités Aéroportées et Forces Delta.
    Le CFS agit sous le concept de forces spéciales. Ce concept stipule qu'il faut des forces qui agissent derrière les forces ennemies, affaiblissant leurs principales unités pendant le conflit, expliqua Yilmaz.
    "La fonction de base du CFS est de soutenir les opérations des Forces Armées Turques grâce à ses activités irrégulières. Celles-ci consistent en l'élaboration de plans et l'exécution, en temps de paix, d'opérations destinées à préparer le terrain pour une éventuelle guerre. En temps de guerre, le CFS est responsable de la création de forces locales irrégulières ainsi que de leur direction et contrôle suivant les directives du bureau du Chef d'Etat-Major. Les unités du CFS se composent également d'officiers et d'officiers non commissionnés, tous soumis à une formation additionnelle de trois ans et demi. Ces unités s'entraînent régulièrement dans plusieurs pays membres de l'OTAN. Les commandos du CFS sont familiarisés avec les armes les plus perfectionnées du monde".
    Faisant allusion à certains articles de presse qui avaient émis la possibilité d'un lien entre les opérations présumées de la contre-guérilla et l'assassinat de journalistes turcs dans le Sud-est, le Général Yilmaz déclara: Qui a inventé le terme contre-guérilla? Moi, je ne le sais pas. Nous n'utilisons pas ce terme dans notre vocabulaire". Niant toute participation du CFS dans des opérations secrètes, comme il avait été évoqué dans certaines déclarations, Yilmaz manifesta: "Le CFS est composé de membres qui ne se connaissent pas entre eux mais qui sont prêts à accepter les ordres qu'ils recevront, uniquement pendant une occupation du territoire. Ils agissent sous l'état d'urgence extraordinaire décrété par le bureau du gouverneur, responsable des opérations de sécurité dans la région du sud-est. Les unités du CFS n'agissent dans le Sud-est qu'en tant que force potentielle".
    Avant l'opération de Chypre en 1974, Yilmaz avait déclaré que les forces spéciales avaient été expédiées sur l'île pour organiser la résistance turque et contribuer à sa sécurité.
    "Les membres de l'unité savent qu'en état de guerre, ils devront agir parmi les forces ennemies, mais en temps de paix ils ne savent pas quel genre de tâches ils auront à exécuter ni sous quel commandement ils agiront", précisa Yilmaz. "C'est un plus pour la sécurité d'une quelconque opération de résistance dans une région occupée. C'est pour cette raison que les forces spéciales ne sont pas organisées en temps de paix".
    Yilmaz ajouta que les unités spéciales n'avaient pas été utilisées lors des coups-d'Etat militaires qui se sont produits en Turquie. "Nous étions les seules unités à ne pas être mobilisées pendant l'opération militaire de 1980".

LA CONTRE-GUERILLA ET LE HEZBOLLAH

    Malgré toutes ces tentatives pour blanchir le nom de l'armée, le nombre croissant d'assassinats non élucidés montre que, quelle que soit sa dénomination officielle et sa structure, l'Organisation Contre-Guérilla poursuit ses sinistres activités, particulièrement dans le Sud-est. En fait, les assassinats des 18 derniers mois ressemblent à si méprendre à ceux perpétrés avant le putsch militaire de 1980.
    Prenons par exemple les assassinats politiques qui se sont produits au début de l'année 1991.
    Le 10 juillet 1991, à Diyarbakir, des milliers de personnes marchaient dans les rues de la ville à l'occasion des funérailles du président provincial du HEP, Vedat Aydin. Celui-ci avait été enlevé chez lui le 5 juillet et retrouvé mort... le corps broyé par les brutales tortures qu'il avait subies. Parmi les policiers qui se trouvaient dans l'enceinte du château de la ville figuraient des hommes masqués. Ces derniers commencèrent à tirer sur les manifestants. Sept personnes furent blessées et 250 autres blessées. Parmi les blessés figuraient cinq parlementaires et 13 journalistes. Les habitants locaux attribuent les incidents à la contre-guérilla.
    En février 1993, 400 personnes furent victimes de "meurtres non résolus" dans la région du sud-est.

    Et récemment:
    Le 11.2, l'hebdomadaire Aktüel affirmait qu'un groupe d'officiers de l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT) avaient enlevé cinq suspects des mains de la gendarmerie dans la province orientale de Mus et les avaient exécutés dans les champs. Les corps furent retrouvés criblés de balles quelques jours après leur détention.
    Le 25.2, le président provincial d'Erzincan du Parti des Libertés et de la Démocratie (ÖZDEP), Cemal Akar, fut retrouvé décapité et mutilé dans le village de Zagge, province d'Hakkari. Il était disparu depuis le 25 janvier.
    Le 26.2, le mari de Bedia Argin, représentante provinciale du HEP à Batman, Ahmet Argin, de 45 ans, fut retrouvé assassiné près du village de Binatli. Selon le président du HEP, Ahmet Türk, Argin fut torturé avant d'être abattu d'une balle dans la tête. Peu de temps auparavant, il s'était exprimé à la télévision à propos des assassinats politiques.
    Le 27.2, un ancien représentant du Pari Socialiste (SP), Ömer Güven et son ami, Cemal Özyurt, furent retrouvés assassinés dans le district de Cizre. Le SP avait été interdit par le Tribunal Constitutionnel un an auparavant.
    Le 27 février également, le président local de l'Association des Droits de l'Homme de Turquie (IHD), l'avocat Metin Can, et son ami, le Dr Hasan Kaya, furent retrouvés à Tunceli les mains liées derrière le dos avec une balle dans la tête.
    Deux activistes des droits de l'homme avaient également été enlevés une semaine auparavant. Selon des témoins ils se trouvaient dans une maison à Can lorsqu'ils reçurent un appel téléphonique leur disant qu'il s'était produit un accident téléphonique et qu'il fallait de l'aide. Après leur départ de la maison on ne les revit plus jamais.
    La police empêcha les photographes de presse de prendre des photos sur le pont Dinarsu, à 12 kilomètres de la ville de Tunceli, où les corps furent rejetés par le courant. Une foule de quelque 500 personnes se rassembla à cet endroit et cria "A bas la Contre-Guérilla".
    Les habitants de la région, ainsi que leurs représentants parlementaires, affirmèrent que le Hezbollah kurde local, un groupe islamique radical, est toléré, protégé et soutenu par la Contre-Guérilla. Les Loups Gris de la période qui précéda le coup-d'Etat de 1980 furent remplacés par le Hezbollah.
    Le Hezbollah Islamique (Parti de Dieu) surgit après que les forces de sécurité aient été infiltrées par des activistes islamiques radicaux pendant le gouvernement ANAP.
    Le 16 février 1992, le magazine hebdomadaire 2000e Dogru rapportait qu'un groupe de militants du Hezbollah étaient entraînés dans le quartier général d'une équipe anti-terroriste d'élite à Istanbul. Le reporter de l'hebdomadaire, Halit Güngen, était tué d'une balle dans la tête par le Hezbollah deux jours après la publication de l'information.
    Dans plusieurs agglomérations, surtout autour de Mardin et près de la frontière avec la Syrie, le Hezbollah mène également une campagne basée sur la distribution gratuite de cassettes en arabe. Plusieurs places de marché des grandes villes sont en réalité contrôlées par des membres du Hezbollah et selon des sources locales, la police est au courant.
    A Nusaybin, les voitures de patrouille de la police font souvent entendre les cassettes du Hezbollah, en arabe et en turc, lors de leur passage dans les rues.
    Pendant la nuit, les villages près de la frontière sont devenus des petites villes fantômes où tous les rideaux de fer des magasins sont baissés. Leurs habitants s'enferment chez eux et ne restent dans les rues que les équipes antiterroristes.
    Quasiment chaque nuit, des individus frappent aux portes se faisant passer pour des guérilleros mais les gens savent déjà qu'il ne faut pas répondre. Celui qui ouvre la porte peut être emmené hors de chez lui et subir un interrogatoire à la manière du Hezbollah avant d'être abattu sur place.
    Le Quotidien d'Information Turc du 23 février 1993, rapportait les propositions d'un débat parlementaire sur la contre-guérilla:
    "Selon ceux qui ont été victimes des activités de la contre-guérilla, ou qui en ont été témoins par le passé, celle-ci est bien plus qu'un concept. Il s'agit d'une réalité. Elle n'est pas seulement organisée mais centralisée et elle a mené des activités clandestines violant les lois et la Constitution turque. La seule manière de découvrir la vérité est de mener une enquête en règle qui détermine si les plaintes sont fondées et d'ouvrir les portes de l'armée turque afin de faire toute la lumière sur cette affaire.
    "Si cette enquête n'est pas menée, le débat se poursuivra indéfiniment et causera un grand préjudice à la crédibilité de l'Etat".
    La réponse du gouvernement à ce souhait, comme il a été expliqué au début de cet article, fut un refus catégorique.

CHIFFRES ALARMANTS CONCERNANT LES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN 1992

    Le 23 février, la Fondation des Droits de l'Homme de Turquie (TIHV) remit à la presse son rapport concernant les plaintes de torture en 1992. "L'année dernière, un total de 2.933 personnes furent tuées par la violence politique en Turquie", soutient le président du TIHV, Yavuz Önen.
    Ci-après sont reproduits les fait principaux du rapport:
    _ En 1992, les violations des droits de l'homme n'ont pas diminué en intensité et la vie sociale de la région du sud-est a été paralysée par les tactiques à l'arme lourde des forces de sécurité et des organisations qui leur font face.
    _ Des 2.933 personnes décédées en 1992, 17 étaient en détention policière, 92 son mortes le 21 mars, pendant les festivités du Newroz (Nouvel An kurde), transformées en bain de sang dans le Sud-est, 38 furent victimes d'attentats à la bombe et 103 ont été abattues par la police parce qu'elles refusaient de s'arrêter malgré les injonctions des forces de sécurité.
    _ 8 représentants de partis ont été victimes d'assassinats politiques.
    _ 747 membres des forces de sécurité ont été tués au cours d'affrontements avec des soi-disant "groupes terroristes". 972 membres de ces groupes ont également perdu la vie.
    _ Le nombre de meurtres restés sans solution s'élève à 360, celui des assassinats à 285 et les attaques contre des civiles, à 189.
    _ Tout au long de l'année 1992, un total de 594 personnes furent torturées par la police. 11 d'entre elles étaient des enfants et 93 des femmes. Cependant, le chiffre réel est bien plus élevé. Il ne s'agit là que des cas rapportés.
    _ Huit personnes ont disparu après avoir été arrêtées par la police.
    _ En 1992, les forces de sécurité ont attaqué 56 reporters alors qu'ils exerçaient leur métier.
    _ 13 journalistes et trois vendeurs de journaux ont été assassinés.
    _ 189 revues ou journaux ont été confisqués par la police sous mandat de différentes cours de la sécurité de l'Etat et 20 livres furent confisqués.
    _ Les journalistes et écrivains ont écopé d'un total de 23 ans, 8 mois et 15 jours de prison.
    _ Les journalistes et écrivains ont également reçu des amendes pour un total de 5.976.000.000 LT (747.000 $) en l'espace d'un an.
    _ 32 organisation indépendantes ont été fermées par les forces de sécurité, parmi elles, trois branches de l'Association des Droits de l'Homme.
    _ 39 syndicats de fonctionnaires publics ont été interdits par les gouverneurs.
    _ 63 étudiantes universitaires ont été arrêtées pour avoir porté un turban sur la tête.
    Önen s'est plaint de l'indifférence générale des partis politiques turcs, du Parlement et des responsables du gouvernement. "Les partis de la coalition, DYP et SHP, n'ont pas tenu les promesses faites avant leur arrivée au pouvoir. Bien qu'ils s'étaient engagés à reconsidérer l'état d'urgence et le système des gardiens de village payés par l'Etat dans le Sud-est, ils n'ont encore rien fait. Pire encore, ils ont adopté une position encore plus violente", affirmait Önen.

TENTATIVES POUR CONTRER LES EFFETS DE "MIDNIGHT EXPRESS"...

    Le projet de film de 15 millions de dollars, dont l'idée surgit il y a un pour laver la mauvaise image de la Turquie créée par le film d'Alan Parker "Midnight Express" n'a toujours pas vu le jour en raison des tentatives frustrées pour qu'il soit financé par l'industrie de la défense.
    L'idée fut proposée par l'Association Turco-Américaine et soutenue par le Ministère de la Culture. On chercha de l'aide à Hollywood. La compagnie cinématographique américaine Copro accepta le projet et on imagina un scénario de film, qui serait intitulé Istanbul. Robert Long fut proposé comme directeur et producteur.
    L'action se déroulerait après une Guerre Mondiale. Il était prévu que le film serait tourné entièrement en Turquie, avec des apparitions fréquentes des endroits historiques du pays.
    Tout était donc prêt. Mais le film avait besoin d'appuis financiers et Copro entra en contact avec le Sous-secrétariat des Industries de la Défense (SSM) de Turquie. Cependant, le SSM, qui tentait d'établir une structure de défense solide, n'a pas réservé un bon accueil au projet, considérant qu'il ne contribuerait pas au renforcement de cette jeune industrie. Dans une tentative pour éviter un refroidissement des relations avec le Ministère de la Culture, le SSM a récemment envoyé au Ministère une liste des compagnies de défense donnant des subventions générales ainsi que des subventions pour des projets ayant un lien avec la défense. Cependant, ces compagnies n'ont pas accueilli très favorablement le projet.

REALITE DES PRISONS TURQUES

    Bien que Midnight Express est considéré par les autorités turques con un film de propagande contre la Turquie, les prisons de ce pays restent un des plus honteux exemples de violation des droits de l'homme.
    Récemment, le 3 février, le Ministère de la Justice tenta de restreindre les droits des prisonniers de la Prison de type E de Diyarbakir. Une nouvelle réglementation mettait fin à la représentation de la prison à l'intérieur de l'enceinte, interdisait l'utilisation de machines à écrire et n'autorisait qu'une visite toutes les deux semaines.
    Le 8 février, 260 prisonniers qui refusaient ces restrictions se sont mis en grève de la faim. Los forces de sécurité firent une descente dans la prison en plein milieu de la grève. 202 prisonniers kurdes furent sérieusement blessés et 20 autres furent transportés à l'hôpital. Pour protester contre cette opération, tous les prisonniers politiques se sont joints à la grève de la faim et de nombreux commerçants de Diyarbakir fermèrent leurs volets.
    Des grèves similaires contre les conditions carcérales inhumaines se sont produites dans les prisons de Bayrampasa (Istanbul) et Buca (Izmir).
    Le 15 février, le Quotidien d'Information Turc rapportait que "le nom de Diyarbakir évoquait la "torture" dans l'esprit de nombreux turcs, en raison du traitement inhumain subi par les détenus et les condamnés, surtout après le coup-d'Etat militaire de 1980.
    "Il se pourrait que pas un seul suspect de `crimes terroristes ou politiques' n'ait échappé aux douloureux chocs électriques, au jet d'eau à pression ou au "traitement" à la matraque dans cette prison.
    "La plupart d'entre eux sont restés des jours entiers dans une cage à attendre leur sort tandis que leurs gardiens leur appliquaient les techniques les plus vicieuses, issues de la Guerre du Vietnam, aussi bien pour les interrogatoires que pour la réhabilitation.
    "Après le putsch de 1980, la prison de Diyarbakir est devenue le symbole de la répression et de la torture partout en Turquie et servit également de centre d'assimilation forcée, où des centaines de personnes étaient rassemblées pour y apprendre `le mode de vie turc'. Sous la menace des armes ou des matraques, avant et après de longues sessions de torture, on apprenait à des centaines de prisonniers étrangers à parler le turc et à chanter l'hymne national, souvent des dizaines de fois dans la même journée.
    "Des images publiées au milieu des années 80 montraient la présence constante les drapeaux turcs sur le sol, sur les murs, au plafond, dans les coins des lits et sur les tables. Les cellules étaient décorées avec des drapeaux turcs et des slogans.
    "`Comme je suis heureux d'être turc' était le slogan principal, écrit partout dans le but apparent de répondre aux demandes et activités séparatistes. Ce slogan devait être répété constamment par tous les prisonniers. La direction de la prison de Diyarbakir avait réussi à transformer un centre de réclusion et de réhabilitation en un endroit synonyme de cauchemars et lavages de cerveau..."

UNE EVASION SPECTACULAIRE

    Le 17 février, vers trois heures du matin, 18 prisonniers ont réussi à s'évader de la Prison de Nevsehir. Neuf d'entre eux étaient des membres présumés de l'illégal PKK, quatre du Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie (TIKKO) et deux du DEV-SOL.
    Les prisonniers avaient creusé un tunnel de plus de 30 mètres de long en 40 ou 60 jours avec des pièces en métal et en bois obtenues par l'intermédiaire de leurs visiteurs. Une fois sortis du tunnel, ils se sont cachés dans des draps blancs pour se camoufler dans la neige et ont rampé pendant près d'un kilomètre pour éviter d'être repérés par les gardiens.
    Le gouvernement a immédiatement suspendu 15 fonctionnaires de la prison, y compris le directeur, et fit ouvrir un enquête pour négligence. Les prisonniers politiques furent soumis à un régime plus sévère. Et toutes les prisonnières durent se soumettre à un examen médical afin de déterminer si elles avaient eu des relations sexuelles avec les détenus masculins. Le Secrétaire Général des l'Association des Droits de l'Homme de Turquie (IHD), Hüsnü Öndül, s'insurgea contre ce contrôle, le considérant incompatible avec le respect de la dignité humaine.
    Deux jours après, le 19 février, sept prisonniers politiques s'évadaient de la prison de Bayrampasa à Istanbul. Des membres du DEV-SOL et du TIKKO se sont enfuis déguisés en gardiens de prison.
    Ces 25 prisonniers s'ajoutent aux plus de 7.900 personnes qui ont réussi à s'enfuir des prisons turques ces 15 dernières années. Seuls 2.700 ont été repris.
    Le 18 février, pendant un meeting, le gouvernement décida de soumettre au Parlement un projet de loi de réforme du système carcéral pour maintenir les prisons sous contrôle de l'Etat et garantir leur sécurité.
    Le projet du gouvernement donne des pouvoirs complémentaires aux directeurs de prison, sous la supervision des gouverneurs publics. Il suggère également l'installation d'un équipement électronique et des circuits de télévision fermés pour contrôler et protéger les prisons.
    L'élément essentiel de la réforme serait l'abandon du système de la salle commune au profit de la cellule ou du dortoir. Avec le système actuel, un certain nombre de prisonniers vivent ensemble et exercent leurs activités dans des salles communes.
    Le système du dortoir avait déjà été essayé en 1990 par le gouvernement ANAP. La prison d'Eskisehir avait été choisie comme terrain d'essai. Mais les prisonniers réagirent mal aux mauvaises conditions de vie et aux normes d'administration de la prison d'Eskisehir, qui ne disposait de l'appui d'aucune réglementation légale, estimèrent que leurs droits étaient violés et entreprirent une série de grèves de la faim. Devant la réaction du public, la nouvelle coalition gouvernementale ferma la prison dès son arrivée au pouvoir à la fin de l'année 1991.
    Après la dernière évasion, la réouverture de la prison d'Eskisehir fut remise à l'ordre du jour. D'après le Ministre de la Justice, Seyfi Oktay, les 87 millions de dollars demandés par le gouvernement au Fond Européen pour le Logement seront destinés à la construction de prisons mieux protégées.

LA GUERRE DES ENCYCLOPEDIES DANS LA PRESSE TURQUE

    Suite à une rude compétition pour augmenter leurs ventes, en offrant à leurs lecteurs des encyclopédies gratuites, trois importants journaux turcs qui risquaient le désastre financier malgré l'augmentation de leurs ventes durent demander une trêve fin février 1983.
    La campagne avait été lancée en octobre 1992 par les quotidiens Sabah, Hürriyet et Milliyet, promettant à leurs lecteurs des collections complètes d'encyclopédies: deux volumes en échange des coupons découpés quotidiennement dans le journal pendant un mois.
    La campagne, baptisé "Première Guerre des Encyclopédies" par les autres journaux, prit une dangereuse tournure en janvier 1993 lorsque les journaux commencèrent à offrir à leurs lecteurs leurs propres encyclopédies en échange de celles de leurs concurrents. En outre, les quotidiens ont commencé à offrir des "méga", "golden" et "super" coupons, qui donnait aux lecteurs une deuxième, troisième et quatrième chance de recevoir les volumes qu'ils auraient ratés. Alors qu'au début 30 volumes étaient nécessaires pour avoir deux volumes, avec les super coupons on pouvait avoir les mêmes volumes pour seulement huit coupons. Dans la pratique, au lieu d'acheter le journal tous les jours, les lecteurs pouvaient recevoir leurs encyclopédies en l'achetant huit fois seulement.
    Pour éviter une catastrophe générale, les journaux rivaux se sont mis d'accord pour mettre fin au système des super coupons bonus et demandèrent à leurs lecteurs de découper soigneusement le coupon tous les jours.
    Grâce à la campagne des encyclopédies, qui dure depuis octobre, les trois journaux ont quasiment double leur tirage. La vente des principaux journaux, qui tournait de 500.000 ou 700.000 exemplaires, se situe actuellement entre 1.200.000 et 1.500.000.
    Selon les experts, la "guerre des encyclopédies" aurait coûté aux journaux entre un et trois trillions de lires (entre 12,5 et 25 millions de dollars).
    Malgré un accroissement annuel de la population de 2,5 pour cent, le tirage quotidien des journaux turcs stagne à 3,5 millions depuis dix ans. Suite à la dernière campagne, le tirage quotidien a franchi la barre des 4 millions d'exemplaires, mais à quel prix !

NESIN COMPTE PUBLIER LES VERSETS SATANIQUES

    L'humoriste turc de renommée internationale, Aziz Nesin, annonçait le 3 février qu'il allait faire traduire en turc le controversé livre de Salman Rushdie Les Versets Sataniques pour le publier.
    Le gouvernement turc avait interdit son importation sa distribution en 1989.
    Le 4 février, Cumhuri Islami, un important quotidien iranien, dénonçait les déclarations de Nesin et affirmait que celui-ci devait subir la même "fatwa" que Rushdie. "Il n'a plus sa place parmi les musulmans et, tout comme Rushdie, devrait être tué". Le journal appela également à boycotter les livres de Nesin, dont plus d'une centaine ont été traduits et publiés en Iran.
    Nesin rétorqua qu'il s'en fichait. "La peur de la mort ne veut pas dire que je ne doive pas faire mon devoir... Si 60 millions de personnes [en Turquie] demeurent dans le silence, il est certain que le fondamentalisme prendra le dessus". Il ajouta qu'il serait ravi du boycotte de ses livres en Iran. "Ces voleurs vendent mes livres depuis 40 ans et ne m'ont toujours pas payé la moindre livre pour les droits de reproduction", précisa-t-il.
    Aziz Nesin, président du Syndicat des Ecrivains de Turquie (TYS), avait déjà fait l'objet de violentes attaques du milieu ultra-nationaliste pour avoir déclaré que la majorité des turcs n'étaient que de stupides idiots.
    "N'ont-ils pas voté `oui' pour une Constitution rédigée sous l'égide des généraux et fait Evren président pour sept longues années? N'ont-ils pas fait l'éloge des belligérants généraux qui avaient destitué un gouvernement civil en 1980 pour installer une administration de marionnettes?", précisa Nesin.
    Le 4 février, une cour pénale d'Istanbul introduisit une action en justice contre Nesin, demandant une peine maximale de six ans de prison pour avoir "insulté la nation turque".

PROPOSITIONS POUR METTRE FIN A LA TORTURE EN TURQUIE

    La première partie du rapport sur la torture policière en Turquie, rédigé par le Comité du Conseil de l'Europe pour la Prévention de la Torture (CPT), fut publié dans notre numéro de janvier 1993. Ci-après nous reproduisons la seconde et dernière partie de ce rapport sur les mesures nécessaires pour mettre fin à la torture en Turquie:

    • Des mesures s'imposent, sur plusieurs fronts, si l'on veut traiter ce problème de manière efficace. Les garanties juridiques contre la torture et les autres formes de mauvais traitements doivent être renforcées et de nouvelles garanties introduites. En même temps, I'enseignement des droits de l'homme et la formation professionnelle des responsables de l'application des lois doivent être intensifiés. A cet égard, les récentes dispositions prises pour envoyer quelques 20 fonctionnaires de police turcs dans différents autres pays européens pour étudier les techniques de police, constituent une mesure appréciable. Le CPT espère qu'elles feront partie d'un processus permanent.
    Par ailleurs, le ministère public doit agir avec célérité et de manière efficace en présence de plaintes de torture et de mauvais traitements. Sur ce point, la récente annulation par la Cour Constitutionnelle de l'article 15 (3) de la loi relative à la lutte contre le terrorisme du 12 avril 1991 (qui restreignait considérablement les possibilités pour le ministère public d'engager des poursuites contre des fonctionnaires de police à l'encontre desquels ont été formulées des allégations de mauvais traitements de personnes commis dans l'exercice de leurs fonctions liées à la lutte contre le terrorisme), constitue un progrès notable. Afin de faciliter l'action efficace du ministère public, la portée des examens médicaux de personnes détenues par la police et la gendarmerie, effectués par les instituts de médecine légale, devrait être élargie (les certificats médicaux devraient contenir un exposé des allégations, une description clinique, et les conclusions correspondantes). En outre, des mesures appropriées devraient être prises pour garantir l'indépendance, tant des médecins des instituts de médecine légale que d'autres médecins assumant des fonctions médico-légales ainsi que pour les faire bénéficier d'une formation spécialisée.
    Il convient aussi d'assurer un encadrement et une surveillance corrects des responsables de l'application des lois, y compris par la mise en place d'organes de contrôle efficaces et indépendants dotés des pouvoirs nécessaires. Et, il ne faut pas non plus perdre de vue la question des conditions de travail de tels fonctionnaires, car des conditions de travail satisfaisantes sont indispensables au développement d une force de police de haut niveau.
    La mise en oeuvre de la récente réglementation relative aux conditions matérielles de détention doit aussi être poursuivie de manière vigoureuse dans toute la Turquie. Des progrès considérables ont été effectués, en ce domaine, à Ankara et à Diyarbakir, conformément aux recommandations du CPT. Toutefois, la situation constatée récemment à la direction de la police d'Adana (et plus précisément au département de lutte contre le terrorisme) donne à penser que dans d'autres parties de la Turquie, des personnes peuvent encore être détenues par la police ou la gendarmerie dans des conditions matérielles totalement inacceptables.
    • Mention particulière doit être faite de la loi, récemment adoptée et entrée en vigueur le 1er décembre 1992, modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale et de la loi relative à l'organisation et la procédure des cours de sûreté de l'Etat. Il s'agit d'une version révisée du texte qui avait été l'objet d'un renvoi à la Grande Assemblée Nationale par le Président de la République, précédemment dans l'année. Entre autres, la nouvelle loi clarifie l'existence de certaines garanties fondamentales contre les mauvais traitements, tels le droit pour une personne détenue de faire informer un proche de sa détention et le droit à l'accès à un avocat (garanties qui existaient déjà auparavant, mais qui étaient largement inopérantes dans la pratique); elle réglemente de manière détaillée le déroulement pratique des interrogatoires; elle introduit le droit de recourir au juge en vue de la libération immédiate de la personne appréhendée et elle réduit les périodes maximales de détention par la police/gendarmerie. L'introduction de ces dispositions est un pas en avant des plus appréciables. Toutefois, le CPT regrette vivement que l'application de ces dispositions aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l'Etat ait été expressément écartée. Certes, le nombre d'infractions relevant de la compétence de ces cours a aussi été réduit par la loi nouvelle, mais il demeure considérable (crimes contre l'Etat, infractions liées au terrorisme, aux stupéfiants et aux armes, etc.).
    • Le CPT saisit cette occasion pour souligner qu'il abhorre le terrorisme, crime tout particulièrement méprisable dans un pays démocratique comme la Turquie. Le Comité déplore également le trafic illicite de drogues ou d'armes. En outre, il est pleinement conscient des grandes difficultés auxquelles les forces de l'ordre sont confrontées dans leur lutte contre ces phénomènes destructeurs. De telles actions criminelles rencontrent, à juste titre, une réponse ferme des institutions de l'Etat. Cependant, en aucune circonstance, on ne saurait permettre que cette réponse dégénère en actes de torture ou en d'autres formes de mauvais traitements de la part des responsables de l'application des lois. De tels actes sont à la fois des violations scandaleuses des droits de l'homme et des méthodes fondamentalement inefficaces pour obtenir des preuves fiables dans la lutte contre le crime. Ils sont par ailleurs dégradants pour les fonctionnaires qui les infligent ou les autorisent. Et, plus grave encore, ils peuvent à la longue saper la structure même d'un Etat démocratique.
    • Malheureusement, la loi turque. en son libellé actuel. n offre pas de protection adéquate contre le recours à ces méthodes à l'encontre de personnes appréhendées parce que soupçonnées d'infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l'Etat. Au contraire, elle facilite le recours à ces méthodes. Les personnes suspectées de crimes à caractère collectif, peuvent être détenues jusqu'à 15 jours par la police ou la gendarmerie (30 jours dans les régions où l'état d'urgence a été déclaré). Pendant cette période, tout contact avec le monde extérieur est habituellement dénié.
    Il est vrai que l'article 13 de la nouvelle loi, traitant des procédés d'interrogatoire prohibés, s'applique aussi aux personnes soupçonnées d'infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l'Etat. Néanmoins, il serait peu sage de croire que ces dispositions suffiront, à elles seules, à mettre un terme à la torture et aux mauvais traitements. Les méthodes décrites à l'article 13 étaient, depuis de nombreuses années déjà, illégales en droit turc en vertu de l'interdiction générale de la torture et des mauvais traitements contenue dans l'article 17 (3) de la Constitution. De plus, la règle selon laquelle les déclarations obtenues par de telles méthodes n'ont pas valeur de preuve, ne constitue que la réaffirmation bienvenue d'un principe déjà consacré par le système juridique turc.
    En réalité, les périodes de détention au secret sont suffisamment longues pour que les traces physiques de torture et de mauvais traitements guérissent et s'atténuent; un nombre incalculable de prisonniers a décrit aux délégations du CPT les techniques de traitement utilisées par des fonctionnaires de police. Il convient aussi de noter que certaines méthodes de torture communément utilisées ne laissent pas de traces physiques, ou n'en laisseront pas si elles sont utilisées de manière experte. Il en résulte qu'il sera souvent difficile de démontrer qu'une déclaration a été obtenue par des mauvais traitements. Il en va de même pour l'admissibilité des autres preuves obtenues par des mauvais traitements (cf. article 24 de la loi nouvelle).
    • Le CPT ne conteste pas, qu'à titre exceptionnel, des procédures légales spécifiques puissent s'avérer nécessaires pour combattre certaines formes de criminalité, en particulier en matière de terrorisme. Cependant, même en prenant en compte les conditions de sécurité très difficiles dans certaines parties de la Turquie, une période de détention au secret allant jusqu'à 15, voire 30 jours, est manifestement excessive. Il est évident qu'un juste équilibre entre les impératifs de sécurité et les droits fondamentaux des détenus n'a pas été trouvé.
    Le CPT en appelle au Gouvernement de la Turquie afin qu'il prenne les mesures appropriées pour réduire les périodes maximales pendant lesquelles des personnes soupçonnées d'une infraction relevant des cours de sûreté de l'Etat peuvent être détenues par la police ou la gendarmerie; qu'il définisse clairement les cas dans lesquels l'exercice du droit de ces personnes d'informer un proche de leur détention peut être retardé et limite strictement dans le temps l'application d'une telle mesure; qu'il garantisse à ces personnes, dès le début de leur détention, le droit à l'accès à un avocat indépendant (sans qu'il soit nécessairement leur propre avocat) ainsi qu'à un médecin autre que celui choisi par la police.
    • Pour ce qui est des suspects de droit commun, les modifications introduites par la loi précitée pourraient porter un coup sévère à la pratique de la torture et des mauvais traitements. Néanmoins, beaucoup dépendra de la manière dont ces dispositions seront mises en oeuvre en pratique. C'est là une question que le Comité a l'intention de suivre de très près dans les mois à venir, en étroite coopération avec les autorités turques. Toutefois, le CPT croit devoir faire dès à présent certaines observations.
    • La période maximale de détention par la police pour les infractions à caractère collectif (impliquant 3 personnes ou plus), bien que réduite, continue d'être relativement longue - jusqu'à huit jours sur décision d'un juge à la requête du ministère public. A cet égard, le CPT souhaite souligner que, dans l'intérêt de la prévention des mauvais traitements, il est capital qu'un détenu soit physiquement présenté au juge auquel la requête en prolongation de la détention est soumise. La nouvelle loi n'est pas claire sur ce point.
    • Bien que le contenu précis du droit à l'accès à un avocat soit impressionnant (cf. en particulier les articles 141 15 et 20 de la loi), il n'en comporte pas moins potentiellement une faiblesse: à l'exception du cas des personnes de moins de 18 ans ou des personnes handicapées, un avocat sera seulement désigné si la personne en détention le demande. Un système à toute épreuve devra être trouvé pour garantir que les détenus soient informés (comme la loi l'exige) de leur droit à désigner un avocat et ne soient pas soumis à des pressions lorsqu'ils envisagent de l'exercer. Cela vaut aussi pour le droit des personnes en détention de faire savoir à un proche de leur choix qu'elles ont été appréhendées. Il faudra de même veiller à ce que la possibilité de recueillir dans certains cas une déclaration en l'absence de l'avocat désigné par la personne détenue, ne fasse pas l'l'objet d'abus.
    • Dans le cadre des nouvelles dispositions, le ministère public sera mieux à même d'exercer une influence considérable sur la manière dont les fonctionnaires de police s'acquittent de leurs tâches et, plus particulièrement, traitent les personnes détenues qui sont sous leur garde. Le CPT espère vivement que le ministère public fera un usage efficace des possibilités qui lui sont ouvertes, et ce dans le but de prévenir les mauvais traitements.
    • La nouvelle loi passe sous silence la question du droit, pour les personnes détenues par la police ou la gendarmerie, d'avoir accès à un médecin. Cependant, une circulaire du Ministère de l'Intérieur en date du 21 septembre 1992, reconnait un droit d'accès à un médecin selon les modalités précédemment recommandées par le CPT (à savoir un droit pour le détenu d'être examiné par un médecin de son choix - le cas échéant, un médecin dont le nom figure sur une liste approuvée par l'organe professionnel compétent - en sus de tout examen effectué par un médecin employé par I'Etat). Le CPT s'en félicite, bien que la consécration de ce droit par la loi soit préférable. Des circulaires antérieures traitant de garanties importantes pour les personnes détenues sont, en effet, restées lettre morte.
    • Il convient enfin de souligner à nouveau que la seule action du législateur ne saurait mettre un terme au phénomène de la torture et des autres formes de mauvais traitements infligés par la police. Il sera toujours possible de réduire l'effet des dispositions législatives par l'utilisation de plus en plus experte de techniques de mauvais traitements. On peut, en effet, légitimement avancer que s'attaquer aux racines du problème de la torture et des mauvais traitements implique davantage un changement des mentalités que des lois. C'est là un processus qui ne concerne pas seulement les fonctionnaires de police mais l'intégralité du système pénal.
    • Le CPT est convaincu que s abstenir de faire une déclaration publique -comme le lui ont demandé les autorités turques - aurait eu des effets négatifs pour la protection des droits de l'homme. La présente déclaration est faite dans un esprit constructif. Loin de constituer un obstacle, elle devrait faciliter les efforts des deux parties - agissant en coopération - en vue de renforcer la protection des personnes privées de liberté contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants.