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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


208

18e année - N°208
Février 1994
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

OPERATION ANTI-KURDE EN BELGIQUE

    L'offensive anti-kurde et antidémocratique du régime turc à l'étranger a pris Bruxelles pour cible au premier jour de cette nouvelle année. Lorsqu'un groupe d'intellectuels kurdes et d'activistes, suivant une longe marche pour la liberté depuis Bonn, sont arrivés à Bruxelles, les organisations d'extrême-droite ont provoqué une centaine de jeunes turcs et organisé une violente manifestation anti-kurde à Saint-Josse, un quartier habité massivement par des immigrants turcs.
    Alors que les marcheurs kurdes se réunissaient au Hall Ten Noey, les provocateurs ont fait courir le bruit qu'ils avaient hissé le drapeau kurde devant le bâtiment et avaient brûlé un drapeau turc.
    Suite à cela, des centaines de manifestants turcs ont attaqué Ten Noey scandant des slogans tels que "Saint-Josse est un quartier turc!", "Il n'y a pas de place ici pour les Kurdes!", "A bas le PKK!"
    Pour éviter un possible massacre des Kurdes, la police est intervenue et a dispersé la foule à l'aide d'un canon à eau. Six agents de police et cinq civils ont été blessés et plusieurs vitrines et pare-brise ont été brisés pendant les incidents.
    Pendant ce temps, plusieurs groupes de Turcs ont attaqué des centres kurdes et des bureaux appartenant à des hommes d'affaires kurdes.
    Après les affrontements, les autorités belges ont déplacé le meeting kurde vers un autre point hors de Saint-Josse.
    Le lendemain, plusieurs groupes turcs ont tenté de convoquer une nouvelle manifestation anti-kurde à Saint-Josse, mais ils ont été dispersés par la police et 63 personnes ont été arrêtées.
    Le Ministre de l'Intérieur Louis Tobback a déclaré que, selon les rapports de la gendarmerie, ces manifestations anti-kurdes étaient provoquées et orchestrées par des organisations turques d'extrême-droite.
    En fait, ces organisations maintiennent de bonnes relations avec les missions diplomatiques à Bruxelles. Les manifestations du 1er janvier ont été provoquées intentionnellement dans le but de discréditer les organisations kurdes aux yeux de l'opinion publique belge. Chacun sait que, suite à l'interdiction du PKK en Allemagne et en France, le gouvernement turc avait intensifié ses pressions sur le gouvernement belge pour qu'il prenne des mesures similaires. Après que les autorités belges aient rejeté la demande, les missions diplomatiques turques ont provoqué les incidents de Nouvel An pour donner aux organisations kurdes une image de source de problèmes et de désordre.
    Lorsque le Premier Ministre turc Tansu Ciller est venue à Bruxelles le 10 janvier dernier dans le cadre d'une réunion au sommet de l'OTAN, elle a profité de la moindre occasion pour demander aux alliés de la Turquie, principalement la Belgique, de bannir les activités politiques kurdes en Europe. Faisant allusion aux incidents du Nouvel An, elle a déclaré que l'attitude de Bruxelles revenait à soutenir le terrorisme. Lors de ce même voyage, Ciller a reçu un groupe de représentants des organisations de droite turques dans sa suite au Hilton et fit son unique visite à la population turque dans une mosquée.
    Suite à ces événements, quatre organisations étrangères, l'Association des Arméniens Démocrates, le Centre Culturel de Mésopotamie, les Ateliers du Soleil/Info-Türk et l'Institut de Bruxelles ont lancé l'appel suivant aux autorités fédérales communautaires, régionales et municipales:
    "Les organisations soussignées regroupant des citoyens d'origines différentes et œuvrant pour promouvoir une cohabitation harmonieuse dans les quartiers populaires de Bruxelles tiennent à attirer l'attention sur les leçons qu'elles ont tirées des événements dramatiques du Nouvel An à Saint-Josse et Schaerbeek.
    1. Les habitants de ces quartiers de forte concentration immigrée vivaient toujours dans une atmosphère de fraternité et de solidarité malgré leur diversité ethnique, sociale, confessionnelle et politique. Quelle que soit leur divergence, chaque communauté était parfaitement consciente que les problèmes de droits civils, de scolarité, de logement, de sécurité, de promotion socioculturelle et professionnelle étaient communs pour tous les habitants de ces quartiers et qu'ils devaient réagir tout ensemble pour l'égalité de chances et de droits.
    2. La cohabitation pacifique et harmonieuse se basait avant tout sur un respect et une tolérance réciproques, ce en dépit de toute tentative des milieux extrémistes visant à diviser cette population, à en provoquer une composante contre l'autre et à les discréditer ainsi aux yeux de l'opinion publique afin de justifier les politiques racistes et xénophobes.
    3. Malgré les divergences politiques et philosophiques parfois inconciliables, les manifestations culturelles, politiques ou religieuses organisées par des groupements différents se sont déroulées jusqu'ici sans moindre incident de la part des groupes opposants. C'est le cas aussi pour des dizaines de manifestations organisées dans la Salle Ten Noey. Bien que le droit d'association et de manifestation ne soit pas respecté dans certains pays d'origine notamment par les gouvernements répressifs, les habitants d'origine étrangère de Bruxelles jouissaient pleinement de ce droit dans leur pays de résidence.
    4. Comme il a été confirmé par le Ministre de l'Intérieur Louis Tobback, le 1er janvier 1994, l'attaque sur les marcheurs kurdes hébergés dans la Salle Ten Noey et le saccage des magasins kurdes à Saint-Josse et Schaerbeek ont été provoqués par les missions diplomatiques turques et menés par les "Loups Gris" des organisations néo-fascistes turques structurées depuis des années en Belgique à cause de la bienveillance de l'Ambassade turque ainsi que de certains dirigeants belges.
    5. L'agression du Nouvel An fait en effet partie du plan du gouvernement turc visant à obliger le gouvernement belge à fermer les bureaux du PKK en Belgique, à l'instar des gouvernements français et allemand. Les démarches du premier ministre turc Tansu Ciller auprès des responsables belges et ses déclarations aux médias belges quelques jours plus tard en sont la preuve irréfutable. En d'autres termes, il s'agit de la mise en pratique d'un plan audacieux en vue d'étendre "la guerre sale", menée en Turquie par l'Armée turque, aux pays européens.
    6. Tout le monde et surtout les dirigeants communaux bruxellois  savent très bien que la communauté en provenance de Turquie à Bruxelles se compose non seulement de Turcs sunnis, mais également de Turcs alévis, de Kurdes ainsi que d'Arméniens et d'Assyriens chrétiens. Or Mme Ciller a, tout en ignorant son rôle de Premier ministre d'un État laïc, choisi une mosquée turque de la chaussée de Haecht pour contacter les ressortissants de Turquie. Ainsi, elle a donné le coup de grâce à la cohabitation harmonieuse dans le microcosme anatolien de Saint-Josse et Schaerbeek.
    7.  Nous tenons également à attirer l'attention sur la visite occulte de l'ancien colonel Türkes, chef du Parti d'Action Nationaliste (MHP), néo-fasciste, à Bruxelles le 1er février 1994, juste après les événements du Nouvel An. Il faut rappeler que Türkes, responsable principal du déclenchement de la violence politique en Turquie, est le partisan le plus ardent des opérations anti-kurdes en Turquie et l'allié principal du gouvernement actuel et de l'Armée dans l'adoption et l'application de leurs politiques répressives contre les forces démocratiques de la Turquie. Pendant cette visite à Bruxelles, il lui a été permis de tenir une réunion provocatrice à l'Hôtel Sheraton, avec ses "loups gris" et d'autres extrémistes, ce en présence de l'Ambassadeur de Turquie en Belgique. C'est une nouvelle preuve irréfutable des relations dangereuses des missions diplomatiques turques avec les milieux d'extrême-droite. *
    8. Le plus grave est que les événements du Nouvel An risquent déjà de susciter, à l'approche des scrutins européens et communaux, la remontée du discours xénophobe et raciste dans les milieux extrémistes belges au nom du maintien la loi et l'ordre à Bruxelles
    "Compte tenu de ces faits, nous lançons cet appel urgent à toutes les instances belges, fédérale, communautaires, régionales ou communales:
    • La diversité ethnique, philosophique et linguistique des communautés d'origine étrangère doit être reconnue et respectée.
    • Toute provocation, ingérence et manipulation des autorités répressives ou des organisations d'extrême-droite du pays d'origine dans la coexistence pacifique des communautés étrangères doivent être arrêtée.
    • La jouissance des droits d'expression et d'organisation des communautés d'origine étrangère doit être assurée de sorte qu'elles ne soient jamais menacées par les forces racistes et xénophobes, qu'elles soient belges ou étrangères.
    • Toute mesure nécessaire doit immédiatement être prise pour protéger la vie et la propriété des communautés minoritaires contre les attaques et saccages éventuels des extrémistes.
    • Une nouvelle politique d'urbanisme doit être adoptée afin d'arrêter la ségrégation qui favorise toute provocation et manipulation.
    • La politique d'enseignement doit être développée de sorte que les jeunes, fort exposés à toutes les provocations et manipulations, soient formés en tant que citoyens qui respectent les valeurs démocratiques universelles et la diversité dans une ville pluriethnique et pluriculturelle comme Bruxelles.
    • Enfin, tous les droits civils et politiques doivent être reconnus aux citoyens d'origine étrangère, sans exiger la naturalisation, pour qu'ils soient entièrement intégrés dans la vie socio-politique de leur pays de résidence et qu'ils puissent échapper ainsi à la récupération et la manipulation des dirigeants de leur pays d'origine."

VERS UN BOULEVERSEMENT DE LA POLITIQUE TURQUE

    On s'attende à ce que les élections locales du 7 mars marquent un tournant dans la politique turque. Les observateurs politiques pensent que ces élections seront un test aussi bien pour la crédibilité de la coalition DYP-SHP que pour les politiques militaristes appliquées à la Question kurde.
    Bien que plus de dix partis politiques prennent part à ce test national, il ne semble pas possible que le vote du 27 mars se déroule d'une manière démocratique. Le Parti de la Démocratie (DEP), la seule organisation politique légale qui défende les droits et libertés du peuple kurde, a déjà laissé entendre qu'elle pourrait se retirer de la bataille politique devant la campagne de violence orchestrée par des "forces obscures".
    Si l'intention du DEP de ne pas participer aux élections se confirme, les résultats du vote dans le Kurdistan turc seront très loin de refléter le choix réel de la population kurde.
    Pour les élections du 27 mars, outre le Parti de la Juste Voie (DYP), principal partenaire de la coalition gouvernementale, trois autres partis de droite y participent: le Parti de la Mère-Patrie (ANAP), Le Parti du Bien-être (RP) et Le Parti d'Action Nationaliste (MHP).
    A gauche, trois partis sociaux-démocrates participent: le Parti Populiste Social Démocrate (SHP), partenaire de l'actuelle coalition gouvernementale, le Parti des Peuples Républicains (CHP) et le Parti de la Gauche Démocratique (DSP).
    Aux côtés de ces sept partis principaux, on retrouve d'autres formations, mais elles ne semblent pas assez populaires pour être élues aux assemblées municipales.

Les frères ennemis: ANAP et DYP

    Bien qu'ils soutiennent que leurs idéologies sont différentes, le DYP, au pouvoir, et le principal parti de l'opposition, ANAP, sont deux formations de centre-droite dont les structures politiques et le militantisme sont très similaires.
    Les leaders fondateurs des deux partis, le défunt Turgut Özal pour l'ANAP et Süleyman Demirel pour le DYP, ont laissé leurs postes à de nouveaux leaders, le dernier à contrecoeur pour devenir Président de la République. Le Premier Ministre Tansu Ciller dirige maintenant le DYP et l'ancien Premier Ministre Mesut Yilmaz dirige l'ANAP.
    Ceux qui soutiennent les politiques des partis de centre-droite flottent entre ces deux partis dans la confusion et l'incertitude. Ces personnes soutiennent le parti qui leur assigne des tâches importantes. Cela devient évident lorsque les membres de l'ANAP annoncent leur candidature sur les listes du DYP aux élections locales, et que les membres du DYP se tournent vers l'ANAP. Les membres non effectifs de ces deux partis attendent le 28 mars pour rejoindre les rangs de l'opposition.
    Cette expectative est plus visible dans les rangs du DYP. Personne ne pourra tolérer Tansu Ciller en tant que Premier Ministre si son parti perd les élections locales. Malgré son image de "femme moderne et belle", sa popularité diminue rapidement en raison de l'échec de sa politique économique, sociale, notamment en ce qui concerne les droits de l'homme. Si le DYP subit une lourde défaite aux élections, les militants se tourneront vers le Président Demirel, qui au demeurant est très mécontent avec elle, pour la destituer de son poste.
    L'ANAP semble dans une position plus à l'aise. Il a l'avantage de se trouver déjà dans l'opposition. En raison de son leadership dans les sondages, il est moins en proie aux luttes internes, même si le parti a quelques divisions, notamment à propos du groupe formé par le frère d'Özal et sa famille.

Trinité social-démocrate

    On retrouve une situation similaire dans les partis sociaux-démocrates. Bien que leurs membres partagent les mêmes opinions, le SHP, le DSP et le CHP n'ont pas été capables d'unir leurs forces, principalement à cause des disputes personnelles entre leurs leaders.
    L'agitation apparaît plus évidente au sein du SHP, qui n'a pas su tenir des promesses électorales telles qu'une rapide démocratisation et l'adoption d'un système social plus équitable. Le nouveau président, Murat Karayalcin, partage l'échec des politiques de Ciller. Il ne faut pas oublier que lors de la convention il n'a pas obtenu une victoire écrasante sur son principal rival, Aydin Güven Gürkan, et que celui-ci a pris place dans le groupe parlementaire. L'opposition au sein du SHP attend donc maintenant les résultats de mars.
    Après les élections, la plus grande épreuve de force aura lieu entre le SHP et le CHP. Les membres du SHP qui sont passés au CHP sous la direction de Deniz Baykal en croyant qu'ils allaient carrément former un gouvernement, pourraient réaliser qu'en réalité les électeurs soutiennent les sociaux-démocrates. Si le SHP perd trop de votes et le CHP gagne, l'équation sera différente. Si le CHP n'obtient pas une victoire significative aux élections locales, les perdants commenceront à regagner les rangs du SHP.
    Le parti social démocrate qui est le plus à l'aise dans la course aux élections de mars est le DSP d'Ecevit. En tant que parti uni autour du charisme d'Ecevit, le DSP n'a jamais permis le développement d'une faction au sein des organes du parti et se contente d'un certain nombre de membres obéissant inconditionnellement à leur leader.

Le phénomène du fondamentaliste RP

    Un des plus grands points d'interrogation des prochaines élections est à n'en point douter le niveau de popularité du fondamentaliste Parti du Bien-être (RP).
    Dirigé par Necmeddin Erbakan, le RP avait obtenu 17,05% des votes aux élections législatives de 1991 et avait atteint les 24,52% aux élections locales partielles de 1992.
    Les derniers sondages d'opinion indiquent que le RP peut obtenir les résultats les plus spectaculaires aux élections de mars. La direction du parti espère que la déception du public àl'égard des autres partis politiques jouera en leur faveur.
    Erbakan prétend que le nombre de leurs sympathisants a doublé en deux ans et qu'il est actuellement de 1,6 millions. Il jouit du soutien de tous ceux qui sont déçus par la corruption et des masses rurales qui ont émigré vers les villes. Beaucoup d'entre eux cherchent un refuge contre le chômage et la pauvreté dans la religion.
    Bien qu'on ne dispose de statistiques, les analystes disent que les Turcs deviennent de plus en plus observateurs. Des femmes vêtues de robes noires jusqu'à la cheville et ne laissant voir qu'un petit triangle de leur visage, sont une image courante dans les rues d'Istanbul, une ville de 11 millions d'habitants.
    Le renouveau islamique prend différentes formes en Turquie. D'une part on trouve une sorte `d'expression culturelle' qui réaffirme le passé ottoman comme centre du monde islamique.
    Les analystes détectent aussi un "Islam capitaliste libéral." Le meilleur exemple en est Ihlas, un holding qui représente 200 millions de dollars par an qui réinvestit ses profits dans des opérations et qui est structuré comme une fondation caritative musulmane. Ihlas possède le journal islamique le plus vendu, Türkiye. Celui-ci possède une salle de prière dans ses locaux à Istanbul, et dirige une chaîne de télévision fondamentaliste. Ihlas a également des intérêts dans le secteur de la construction et les hôpitaux, publie et distribue gratuitement des livres islamiques hors de Turquie.
    Devant la crainte d'une montée du fondamentalisme, les principaux hommes politiques prennent garde à se faire voir dans les mosquées et le Premier Ministre Ciller répète souvent en public: "Dieu merci je suis musulmane."

Menace d'un nouveau coup-d'Etat militaire

    En février, les déclarations du Président Süleyman Demirel, du vice-premier ministre Murat Karayalcin et du président du parlement Hüsamettin Cindoruk ont provoqué un torrent de spéculations quant à la possibilité d'une quatrième intervention militaire depuis 1960.
    Le 21 février, Demirel déclarait, "Si le pays perd son calme démocratique, la population cherchera le calme dans un régime fort". Le lendemain, Karayalcin disait, "Il est évident que certaines personnes se préparent de nouveau pour interrompre la démocratie." Sur ce, Cindoruk a proposé un "gouvernement basé sur le consensus national", gagnant le soutien de plusieurs groupes économiques qui pensent que seul un cabinet fort peut appliquer les dures réformes économiques nécessaires.
    Ces commentaires ont soulevé un tolet dans un pays qui avait vécu trois ans de d'autorité militaire dix ans auparavant et qui se trouvait toujours sous un régime semi-militaire.
    Selon Mesut Yilmaz, leader du principal parti de l'opposition, le Parti de la Mère Patrie, l'affaire du coup avait été lancée intentionnellement par le gouvernement pour détourner l'attention de son propre échec.

PROLONGATION DE L'ETAT D'URGENCE

    Le 25 février, le Parlement turc votait en faveur d'une prolongation de l'état d'urgence de quatre mois dans dix provinces du sud-est à partir du 19 mars. Malgré leur promesse d'abolir ce régime d'exception, la majorité des députés sociaux-démocrates du SHP ont également voté en faveur de la prolongation.
    L'état d'urgence avait été proclamé dans le sud-est pour remplacer la loi martiale. Sous l'état d'urgence, les gouverneurs des dix provinces jouissent de l'autorité illimitée des commandants de la loi martiale et leurs opérations de répression sont coordonnées par un super gouverneur. En fait, le super gouverneur agit en fonction des directives qu'il reçoit des militaires.
    Les dix provinces soumises à l'état d'urgence sont Batman, Bingöl, Bitlis, Diyarbakir, Hakkari, Mardin, Siirt, Sirnak, Tunceli et Van.

DESASTRE POUR LES DROITS DE L'HOMME EN FEVRIER

    L'Association des Droits de l'Homme (IHD), dans son rapport du mois de février 1994, indique que la situation des droits de l'homme en Turquie se détériore rapidement et que leur situation y est vraiment désastreuse.
    Selon ce rapport, 16 personnes en détention policière ont été tuées dans des circonstances mystérieuses en février tandis que 29 autres arrêtées par les forces de sécurités sont portées disparues.
    Le IHD rapporte que rien qu'en février:
    ° 877 personnes ont été arrêtées, 18 publications ont été confisquées, trois associations ont été perquisitionnées et le Parti Vert (YP) a été interdit.
    ° A la fin du mois de février, 68 journalistes et écrivains étaient en prison à cause de leurs opinions et neuf étaient remis en liberté.
    ° Des journalistes et des écrivains ont été condamnés à des peines de prison d'un total de 109 mois et à payer des amendes pour une valeur de 1,11 milliards de TL.
    ° Dans plusieurs procès en cours, des journalistes et des écrivains risquent des peines de prison allant jusqu'à un total de 664 mois et des amendes pour une valeur 1,05 milliards de TL.
    ° 17 villages du Sud-est ont été évacués de force.
    ° 15 bâtiments de bureaux de partis et d'associations ont subi des attentats à la bombe.
    ° Il s'est produit un total de 39 assassinats mystérieux et 34 civils ont été tués dans plusieurs incidents. La police a arrêté 153 personnes au cours de ce mois.

FERMETURE DU PARTI VERT

    Le 10 février le Tribunal Constitutionnel ordonnait la fermeture du Parti Vert (YP) sous prétexte que ses dirigeants n'avaient pas présenté leurs comptes bancaires et d'autres documents nécessaires pour 1988.
    Depuis 1971, le Tribunal Constitutionnel a fermé huit partis politiques.
    Sept de ces partis ont été interdits pour "activités séparatistes": Le Parti des travailleurs de Turquie (TIP), le Parti Travailliste de Turquie (TEP), le Parti Communiste Uni de Turquie (TBKP), le Parti Socialiste (SP), le Parti de la Turquie Socialiste (STP), le Parti des Peuples Travailleurs (HEP)  et le Parti de la Liberté et la Démocratie (ÖZDEP).
    Le Parti d'Ordre National (MNP) fut fermé pour activités anti-séculaires.

TERRORISME D'ÉTAT EN FÉVRIER

    Le 1.2, des tireurs inconnus abattent Cevdet Caylan à Gaziantep, Hasan Aric et Fesih Kaya à Diyarbakir, Hakim Toprak, Hamit Elik et une jeune femme non identifiée à Sirnak.
    Le 1.2, les forces de sécurité attaquent le village d'Asagi Söylemez à Erzurum et abattent deux enfants.
    Le 1.2, à Igdir, deux anciens membres du HEP, Faik Kizilay et Hüseyin Öden, sont assassinés par des tireurs inconnus.
    Le 1.2, une patrouille militaire arrête une voiture à l'entrée du village d'Igdeli à Pazarcik et abat Mehmet Pelen et son fils, Hasan Pelen.
    Le 1.2, à Istanbul, la police fouille plusieurs maisons et arrête sept membres du DEP.
    Le 2.2, un représentant syndical, Nebi Delice, arrêté par la police est placé en détention par la CSE d'Istanbul pour appartenance à une organisation illégale.
    Le 2.2, quelque 100 personnes qui assistaient aux funérailles d'un membre du TDKP (Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie) abattu au cours d'un raid des forces de sécurité, sont arrêtées par la police à Adana.
    Le 3.2, à Adana, le membre de l'IHD Abdülkadir Sakara aurait été torturé par la police suite à son arrestation le 1er février.
    Le 3.2, dans la prison Buca d'Izmir, le détenu politique Ekrem Tamir est battu brutalement par une équipe des forces de sécurité.
    Le 3.2, la CSE d'Istanbul place en détention onze membres présumés du TDKP arrêtés par la police le 28 janvier.
    Le 3.2, la police arrête trois membres du DEP à Adana.
    Le 4.2, à Diyarbakir, Ömer Günes et Faruk Baran sont victimes de meurtres politiques.
    Le 4.2, à Istanbul, Songül Polat affirme dans une lettre adressée à l'Association des Droits de l'Homme (IHD) qu'elle a été torturée et harcelée sexuellement par la police suite à son arrestation le 10 décembre 1993.
    Le 5.2, le secrétaire du DEP à Digor, Mehmet Yardimciel, se plaint d'avoir été torturé pendant son arrestation policière. Il rapporte également que le bureau du parti à Digor a été incendié le 4 février par des inconnus.
    Le 5.2, deux avocats, Semih Mutlu et Levent Tüzel, sont arrêtés par la police en compagnie de deux autres personnes. Le 28 janvier, au cours d'un procès politique, les deux avocats avaient accusé la police d'avoir falsifié certains documents.
    Le 6.2, à Kiziltepe, le président local du DEP, Ata Salman et huit autres membres du parti sont placés en détention par un tribunal.
    Le 7.2, l'avocat Levent Tüzel, arrêté le 5 février, affirme après sa libération avoir été torturé pendant sa détention.
    Le 7.2, le président de l'Association Anti-Guerre d'Izmir, Aytek Özen, est mis en détention par un tribunal pour avoir fait une déclaration contre le service militaire au cours d'un programme de télévision diffusé le 8 décembre.
    Le 7.2, les forces de sécurité arrêtent 30 personnes au cours d'une série d'opérations à Bitlis, Maras, Birecik et Nizip.
    Le 8.2, quatre membres présumés du TIKKO sont placés en détention par la CSE d'Istanbul. A Bursa, cinq étudiants universitaires sont arrêtés par la police.
    Le 8.2, à Urfa, Mehmet Erek, Ramazan Erek et Ahmet Erek sont retrouvés assassinés.
    Le 9.2, le travailleur Mehmet Sirin Akboga est abattu par des tireurs inconnus à Diyarbakir.
    Le 10.2, le candidat du Parti des Travailleurs (IP) à la mairie d'Usak, l'avocat Gürcan Sagcan, est arrêté par la police alors qu'il distribuait des tracts du parti.
    Le 10.2, une équipe de police abat Adnan Tayyar au cours d'un contrôle routier.
    Le 10.2, à Adana, Habib Gül affirme avoir été torturé pendant onze jours suite à son arrestation le 14 janvier.
    Le 10.2, à Bitlis, une jeune femme, Cemile Sanik, arrêtée au cours d'une attaque contre le village de Vanik, est retrouvée décapitée.
    Le 11.2, des tireurs inconnus abattent l'avocat Ufuk Demirel et deux autres personnes, Ali Dogru et Cavit Bitkin, à Diyarbakir.
    Le 12.2, le président de l'IHD à Balikesir, Mahmut Akkurt est condamné par la CSE d'Istanbul à un an de prison et à payer une amende de 100.000 TL pour avoir incité les gens au crime dans un discours prononcé en 1992.
    Le 12.2, deux maires du DEP, Abdullah Kaya (Kozluk) et Cemil Akgül (Kurtalan) sont démis de leurs fonctions par décision du Ministère de l'Intérieur.
    Le 12.2, les candidats du DEP aux mairies de Diyarbakir, Metin Toprak, Musa Özsat et Nebahat Akkoc sont arrêtés par la police au cours d'une descente chez eux.
    Le 13.2, à Salihli, une équipe de police abat Nazli Duruk, de 15 ans, au cours d'un contrôle routier.
    Le 13.2, une équipe spéciale des forces de sécurité jette une bombe et tue un garçon de 5 ans, Ibrahim Sefik, et blesse gravement trois autres.
    Le 14.2, les forces de sécurité font une descente dans une maison à Viransehir et tuent deux personnes.
    Le 14.2, le bureau d'Ankara du DEP subit un attentat à la bombe et le siège d'Antalya du Parti d'Union Socialiste (SBP) est incendié par des inconnus.
    Le 14.2, sept personnes sont placées en détention par un tribunal pour leurs activités politiques à Adana.
    Le 14.2, à Konya, l'Association des Droits et des Libertés (Özgür-Der) est fermée par le gouverneur pour activités non autorisées. Les membres de l'association qui ont résisté à la police ont été arrêtés.
    Le 14.2, Ramazan Meral est victime d'un assassinat politique à Batman.
    Le 15.2, le maire de Lice provenant du DEP, Nazmi Balkas, est démis de son poste par le Ministère de l'Intérieur.
    Le 15.2, à Istanbul, la police arrête 14 membres présumés du Parti Communiste Travailliste de Turquie (TKEP).
    Le 15.2, les forces de sécurité arrêtent neuf membres présumés de l'organisation islamiste IBDA-C à Gaziantep et Urfa.
    Le 15.2, à Adana, 17 personnes sont arrêtées pour activités pro-PKK.
    Le 15.2, Abdullah Yilmaz, kidnappé à Cizre deux mois auparavant, est retrouvé assassiné sur la route de Sirnak.
    Le 16.2, la police annonce l'arrestation de 26 personnes à Izmir pour activités pro-PKK.
    Le 16.2, des tireurs inconnus abattent le membre du DEP Ömer Akpolat à Suruc, l'étudiant Hakan Yalcin et Recep Kutlay à Diyarbakir. A Aralik, Tevfik Dogru et Isa Düzen sont victimes de l'explosion d'une mine placée par les forces de sécurité.
    Le 17.2, s'ouvre le procès de 20 avocats accusés d'aider le PKK à la CSE de Diyarbakir. Au procès assistaient des observateurs d'Amnesty International et des Associations de Barreaux de l'Union Européenne. Les défendeurs affirment avoir été torturés pendant leurs interrogatoires. La cour a décidé de relâcher huit des avocats détenus.
    Le 17.2, les forces de sécurité arrêtent le maire-adjoint de Tatvan, Ahmet Engin, et dix autres personnes de cette même ville, ainsi que huit personnes à Istanbul pour activités pro-PKK.
    Le 17.2, des assaillants inconnus assassinent Mehmet Yoldas à Diyarbakir, Yasar Akgün, Yakup Mete et Mehmet Ali Akyüz à Midyat.
    Le 18.2, le siège principal du Parti de la Démocratie (DEP) à Ankara est détruit par l'explosion d'une bombe. Dans l'attentant meurt Ekrem Akcakaya et 16 autres personnes sont blessées. Le président du DEP, Hatip Dicle, accuse l'Organisation Contre-Guérilla de mener une campagne d'attaques et attentats à la bombe pour empêcher son parti de participer aux élections.
    Le 19.2, Ömer Alevcan (28 ans), arrêté le 9 février à Siirt, meurt dans un poste de police.
    Le 18.2, des tireurs inconnus assassinent Mehmet Tektas à Diyarbakir et Ahmet Demir à Cizre.
    Le 19.2, une femme enceinte de trois mois, Zeynep Bal, se plaint d'avoir été torturée au poste de police d'Adana suite à son arrestation le 1er février. Selon elle, son mari, Hikmet Bal, est toujours détenu et subit des tortures.
    Le 19.2, à Izmir, la police tire sur un groupe qui protestait contre la hausse des prix et blesse deux personnes.
    Le 20.2, à Sason, l'ancien membre du DEP Nuri Ekinci, blessé le 16 février par des tireurs inconnus, meurt à l'hôpital.
    Le 21.2, un groupe de protecteurs de village attaque le village de Baglan à Lice, frappe les villageois et en blesse sept. Il a également mit le feu à de nombreuses maisons.
    Le 21.2, à Izmir, les forces de sécurité arrêtent 30 personnes.
    Le 21.2, à Ankara, six employés municipaux sont arrêtés pour activités en faveur du Dev-Sol.
    Le 21.2, le membre de l'IHD Menderes Kocak et son ami Murat Avsar sont arrêtés à Istanbul.
    Le 21.2, des assaillants non identifiés assassinent Mehmet Aktas à Diyarbakir et Ihsan Irgat à Cizre.
    Le 21.2, le candidat du DEP à la mairie de Sincan, Ahmet Kizil, est arrêté à Ankara.
    Le 21.2, Ramazan Olgun et le professeur Mustafa Baz sont victimes de meurtres politiques à Cizre.
    Le 22.2, l'Association des Droits et des Libertés (Özgür-Der) est fermée par le gouverneur d'Ankara parce que deux membres de l'association sont en détention.
    Le 22.2, une équipe de police intervient dans la Prison de Type E de Diyarbakir, bat tous les prisonniers politiques et blesse 25 d'entre eux.
    Le 23.2, à Izmir, le travailleur Gürhan Tamer, arrêté le 19 février au cours d'une manifestation, affirme avoir été torturé pendant sa détention.
    Le 23.2, le procureur de la CSE d'Izmir introduit une action en justice contre 21 personnes pour activités pro-PKK et demande la peine capitale pour quatre des défendeurs.
    Le 23.2, la CSE de Diyarbakir commence le procès de quatre représentants d'une association et d'un syndicat pour une déclaration commune considérée comme étant de la propagande séparatiste.
    Le 23.2,  à Istanbul, onze personnes sont arrêtées pour activités illégales.
    Le 23.2, à Tatvan, un groupe armé attaque le village d'Emek et abat cinq paysans.
    Le 24.2, à Viransehir, 18 membres ou sympathisants du DEP sont placés en détention par un tribunal. A Istanbul la police arrête six personnes.
    Le 24.2, le procureur de la CSE d'Izmir introduit trois actions en justice contre la section d'Izmir de l'IHD pour possession de publications interdites, organisation de meetings non autorisés et apologie de traîtres. Par ailleurs, le président de l'IHD d'Izmir, Yesim Islegen, et deux autres représentants, sont inculpés pour avoir organisé un meeting.
    Le 24.2, deux membres du DEP, Soner Tekes et Ahmet Tekes, sont assassinés par des tireurs inconnus à Diyarbakir.
    Le 24.2, les forces de sécurité tirent à l'arme lourde sur le village d'Heybetli, à Sason, tuent six paysans et trois enfants et blessent huit paysans et quatre enfants. Auparavant, les villageois avaient décidé d'abandonner les forces pro-gouvernementales des protecteurs de village. Suite à cette décision, le village fut attaqué il y a un mois et sept maisons ont été incendiées.
    Le 25.2, l'avocat kurde Tahsin Ekinci, kidnappé le 22 février à Ankara, est retrouvé avec sept balles dans le corps près de la ville de Gölbasi.
    Le 25.2, des tireurs inconnus abattent Giyasettin Parlak à Tatvan, Yakup Bicak à Diyarbakir et Zeki Yilmaz à Yüksekova.
    Le 26.2, le procureur de la CSE d'Istanbul intente une action en justice contre 88 personnes pour activités pro-kurdes. Onze des défendeurs risquent la peine capitale et des peines de prison d'au moins trois ans.
    Le 27.2, des tireurs inconnus assassinent Haci Hasan Gümüs à Nusaybin et Cengiz Baskin à Diyarbakir.
    Le 28.2, Yakup Cakto est victime d'un assassinat politique à Batman.

DES AVIONS TURCS ATTAQUENT L'IRAK ET L'IRAN

    Le 28 janvier, des avions turcs traversent les frontières avec l'Iran et l'Irak et bombardent Zaleh et d'autres villages abritant les bases du PKK. Le Premier Ministre Ciller décrit cette attaque aérienne comme "la plus importante opération des dix dernières années."
    Bien que les militaires turcs affirment avoir écrasé les quartiers militaires du PKK et ses bases d'entraînement, celui-ci a tout nié et soutient qu'uniquement neuf militants sont morts pendant les bombardements. Le PKK affirme également que deux avions turcs ont été abattus et a invité les journalistes à visiter la zone où s'est écrasé un F-4 turc. Un autre avion, un F-16, se serait écrasé sur territoire iranien.
    D'autre part, l'Iran a accusé l'armée turque d'avoir bombardé des villages iraniens et affirme que neuf iraniens ont été tués et 19 autres blessés au cours de l'attaque turque. Le gouvernement iranien a demandé une compensation et des excuses officielles de la Turquie pour la destruction de ces villages. Sur ce, le Ministère des Affaires Extérieurs turc a confirmé le bombardement des villages iraniens et a promis une compensation.
    L'ambassadeur irakien à Ankara, El-Tikriti, a également exprimé le mécontentement de son pays à propos du raid aérien turc sur Zaleh.
    Le quotidien Hürriyet affirme dans un reportage en première page que l'attaque aérienne était destinée à détourner l'attention électorale de la récente dévaluation de la lire turque de 13,6%.
    Auparavant, le 12 janvier, les troupes turques avaient pénétré de cinq kilomètres dans le nord de l'Irak à la poursuite des militants du PKK.
    Le 7 février, les avions et des hélicoptères turcs ont bombardé deux positions du PKK dans les régions de la frontière avec le nord de l'Irak.

LE LIVRE DE NAZIM HIKMET INTERDIT

    Le département juridique du Ministère de la Culture révélait le 15 février 1994 qu'un livre du célèbre poète turc Nazim Hikmet avait été récemment interdit de manière illégale dans la ville d'Ayvalik, province de Balikesir.
    Le livre d'Hikmet, intitulé Memleketimden Insan Manzaralari (Scènes du peuple de mon pays), avait apparemment été saisi en vertu de l'Article 142 du Code Pénal, un article controversé aboli officiellement en 1991.
    On affirme qu'une cour criminelle d'Ankara, basant sa sentence sur cet article abrogé, a ordonné l'interdiction du livre et que cette décision est devenue définitive sans avoir été soumise à un appel.
    Le département juridique du Ministère de la Culture a conclu que le livre, qui analysait les différents peuples vivant en Turquie, était dépourvu de toutes sortes de provocation et n'encourageait pas les conflits entre les classes sociales, comme le prétendait la cour criminelle d'Ankara.
    Le département juridique a ajouté que le Ministère de la Culture avait demandé au Ministère de la Justice une annulation de l'ordre de saisie.

UN REDACTEUR EN LANGUE LAZ INCULPE

    Mehmet Ali Baris Besli, propriétaire et rédacteur en chef du magazine Ogni -publié en langue Laz- était inculpé le 15 février 1994 par la Cour de la Sûreté de l'État pour séparatisme.
    L'inculpation du bureau du procureur précise que certains articles publiés en novembre 1993, dans la première édition du magazine, affirmaient qu'à l'intérieur des frontières de la République Turque il y avait une nation Laz avec sa propre langue, que cette communauté était séparée de celle de la Turquie, et qu'elle devrait se battre non seulement pour que sa langue soit officielle mais également pour son indépendance.
    Besli a nié les accusations de séparatisme, soulignant que la culture Laz pouvait largement contribuer à l'enrichissement de celle de la Turquie. Besli a ajouté que le Laz et sa langue figuraient dans les dictionnaires turcs et que ceux qui racontent des "blagues Laz" devraient également être jugés pour séparatisme.
    Le tribunal a ajourné l'audience, mais on pense que Besli sera condamné à une peine de prison allant de deux à cinq ans et à payer une amende de 100 millions de TL pour avoir disséminé des idées contre la souveraineté de l'État.

PRESSIONS SUR LES MÉDIAS EN FÉVRIER

    Le 1.2, le rédacteur du périodique Mücadele, Cafer Cakmak est arrêté par la CSE d'Istanbul pour différents articles qu'il avait publiés. Cakmak sera jugé pour propagande séparatiste et apologie d'organisations illégales.
    Le 1.2, le N° 90 de l'hebdomadaire Azadi, le N° 15 de Yeni Demokrat Genclik et le N° 118 d'Emegin Bayragi sont confisqués par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 2.2, le sociologue Ismail Besikci est condamné par la Cour Pénale N° 2 d'Ankara à neuf mois de prison pour un livre dans lequel il critique les décisions de la Cour de Cassation. L'éditeur du livre, Ünsal Öztürk, écope de la même sentence.
    Le 2.2, le correspondant d'Aydinlik Ramazan Pinarbasi est arrêté pendant les funérailles d'un membre du TDKP à Adana.
    Le 2.2, la correspondante à Igdir d'Özgür Gündem, Meral Tikiz, arrêtée par la police le 21 janvier est placée en détention par un tribunal. Elle se plaint d'avoir été torturée pendant ses 13 jours de détention.
    Le 2.2, la police fouille le siège d'Özgür Gündem à Tokat et arrête l'employé Gürsel Eroglu.
    Le 3.2, à Diyarbakir, la police arrête le distributeur du journal Özgür Gündem Tarik Celik et confisque tous les journaux.
    Le 3.2, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire Nokta, Ayse Önal, et le correspondant Figen Turna, sont attaqués à l'arme à feu par la femme d'un trafiquant.
    Le 6.2, le correspondant d'Aydinlik, Nevzat Yilmaz et celui de Gercek, Metin Göktepe, sont arrêtés par la police alors qu'ils couvraient les funérailles d'un militant politique. Après sa libération, Yilmaz a fait savoir qu'il a été torturé au poste de police.
    Le 6.2, le N° 21 du périodique Özgür Gelecek et le N° 14 de Partizan sont confisqués par la CSE d'Istanbul pour avoir fait des louanges à diverses organisations illégales.
    Le 7.2, les distributeurs d'Özgür Gündem Seyfettin Öztürk et Erel Sütpak sont arrêtés à Urfa.
    Le 7.2, le N° 28 du mensuel Hedef est confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 8.2, le N° 91 de l'hebdomadaire Azadi et le N° 20 d'Iscinin Yolu sont confisqués par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 8.2, deux correspondants d'Özgür Gündem, Bülent Celik à Ankara et Ramazan Öcalan à Urfa, sont arrêtés par la police.
    Le 9.2, le bureau d'Adana du périodique Mücadele et le siège de Diyarbakir de l'hebdomadaire Gercek sont perquisitionnés par la police.
    Le 10.2, l'éditeur de Özgür Gündem, Yasar Kaya, et le directeur de la Maison d'Édition Yurt, Ünsal Kaya, sont appelés à comparaître devant la CSE d'Ankara pour un livre qu'ils avaient publié à la mémoire de l'écrivain kurde Musa Anter, assassiné en 1992. Chacun d'eux risque une peine de prison de cinq ans.
    Le 10.2, le correspondant d'Özgür Gündem Orhan Cubuk est arrêté à Ankara.
    Le 10.2, le quotidien Aydinlik est confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 10.2, le procureur de la CSE d'Istanbul intente une action en justice contre le rédacteur de Gercek Pelin Sener pour propagande séparatiste. Il demande également que l'on interdise la publication du journal.
    Le 11.2, le procureur public intente une action en justice contre le journaliste de télévision Mehmet Ali Birand pour un programme dans lequel il affirme que le porte-parole du PKK nie certaines déclarations officielles concernant la guerre contre cette organisation. Dans ce procès, qui se tient à la Haute Cour Pénale N° 5 d'Istanbul à la demande du Chef d'État-major, Birand risque une peine de prison de six ans.
    Le 11.2, le siège d'Ankara de l'hebdomadaire Gercek est fouillé par la police et tout le matériel imprimé est confisqué. La police fait également une descente dans le siège d'Adana du périodique Taraf et arrête Kenan Turgut.
    Le 11.2, le correspondant à Igdir d'Özgür Gündem, Emine Serhat, arrêté par la police le 3 février, est placé en détention par un tribunal.
    Le 13.2, le correspondant à Diyarbakir du périodique Özgür Halk Hüseyin Bora est arrêté par la police.
    Le 15.2, le correspondant d'Özgür Gündem Ramazan Öcalan, arrêté le 8 février, est placé en détention par un tribunal.
    Le 17.2, un ancien rédacteur d'Özgür Gündem, Seyh Davut Karadag, est condamné par la CSE d'Istanbul à quatre ans de prison et à payer une amende de 572 millions de TL (31.778 $) pour divers articles. La cour a également imposé une amende de 431 millions de TL (23.944 $) au propriétaire du journal, Yasar Kaya, et a décidé de fermer Özgür Gündem pendant un mois.
    Le 17.2, la Cour de Cassation ratifie la sentence imposée à l'ancien rédacteur de l'hebdomadaire disparu 2000e Dogru, Adnan Akfirat. Le journaliste avait été condamné à un an de prison et à payer une amende de 50 millions de TL (2.778 $) par la CSE d'Istanbul pour un reportage sur les camps du PKK en Turquie.
    Le 17.2, le correspondant à Viransehir du quotidien Aydinlik, Osman Bayrak est arrêté par la police.
    Le 18.2, l'ancien rédacteur d'Özgür Gündem, Mehmet Emin Baser est placé en détention par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 18.2, le N° 108 d'Emegin Bayragi et le N° 92 d'Azadi sont confisqués par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 21.2, le siège d'Izmir du périodique Alinteri est fouillé par la police et le correspondant Halime Özcelik est arrêté. A Ankara, Davut Koc et Zafer Kirbiyik sont arrêtés pour avoir affiché des posters d'Alinteri.
    Le 22.2, le N° 93 de l'hebdomadaire Azadi est confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 24.2, les dernières éditions des périodiques Militan, Genclik et Odak sont confisquées par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste et antimilitariste.
    Le 25.2, l'ancien rédacteur du périodique Toplumsal Dayanisma, Ese Yilmaz, est condamné par la CSE d'Istanbul à 6 mois de prison et à payer une amende de 50 millions de TL (2.778 $) pour propagande séparatiste. Ce même journaliste est également condamné par la Haute Cour Pénale N° 2 d'Istanbul à dix mois de prison et à payer une amende de 1,5 millions de TL pour insulte aux Forces Armées.
    Le 26.2, le N° 17 de Yeni Demokrat Genclik est confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste. A Diyarbakir, la police saisit tous les journaux d'Özgür Gündem avant leur distribution.
    Le 28.2, le correspondant à Diyarbakir du quotidien Aydinlik, Ahmet Sümbül, est jugé par la CSE de Diyarbakir pour un reportage sur les militants du PKK. Il risque une peine de prison de 15 ans.
    Le 28.2, à Izmir, les correspondants d'Aydinlik, Eylem Sürer Kaya et de Yeni Asir, Deniz Sütcü, sont arrêtés par la police alors qu'ils couvraient une manifestation d'étudiants d'écoles supérieures.

LA PEUR ENCOURAGE L'EXODE CHRETIEN

    Le 15 février 1994, l'agence Reuter publiait le rapport suivant sur la situation des minorités chrétiennes dans le sud-est de la Turquie:
    Il y a cinq mois le Père Thomas Bektas prédisait que l'émigration viderait son village chrétien dans le sud-est de la Turquie en l'espace d'un ou deux ans.
    Sa prédiction s'est avérées trop optimiste. Les autorités turques ont ordonné aux derniers 200 habitants syriens orthodoxes, catholiques et protestants d'Hassana, Kosrah en turc, de quitter leurs maisons depuis toujours avant le 1e novembre.
    Hassana se trouve au pied des montagnes Cudi, sanctuaire des guérillas du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). "Il s'agit d'un des villages que nous avons évacués pour le soustraire à l'énorme pression qu'exerçait sur lui le PKK", a déclaré Hüseyin Avni Mutlu, administrateur nommé par l'État de la ville voisine de Silopi. `Le PKK venait continuellement demander de la nourriture, des femmes et des recrues." Les gens d'Hassana reconnaissent que des villages musulmans kurdes voisins avaient également été évacués, mais nient que le PKK les ait harcelés. "Nous n'avions pas de problèmes avec le PKK ou le gouvernement", souligne le chef d'une des six familles qui se sont réfugiées à Deir al-Zafaran, un ancien monastère situé près de la ville de Mardin. "Ce fut une erreur de nous expulser en plein hiver", se lamente le vieil homme aveugle d'un oeil et habillé d'amples vêtements et un couvre-chef rouge. Le gouvernement avait promis une compensation mais elle n'a jamais été versée.
    "Nous ne pouvons pas tout vous dire", précise un villageois d'Hassana. Les villageois syriens orthodoxes se plaignent d'actes d'intimidation, allant du vol au kidnapping, par les voisins musulmans, les gardiens de village kurdes payés par l'État pour combattre le PKK, et le groupe musulman Hizbullah. Ceux-ci agiraient en collaboration avec les forces de sécurité. Le gouvernement nie cette accusation, formulée également par les nationalistes kurdes.
    Selon les villageois, le PKK aurait tué quatre chrétiens à Bülbül en 1990 parce que leur village aurait accepté des armes fournies par l'État. Seule une douzaine de maisons sont encore habitées à Bülbül. Mais la plupart des personnes y demeurant encore ont demandé des visas pour rejoindre leurs familles en Allemagne, en Belgique ou en Suède.
    "Nous ne pouvons continuer à vivre ici", affirme un fermier. Même le prêtre, déjà âgé, Yaacoub Guney, n'incite plus les gens à rester. Je partirais aussi si je le pouvais", a-t-il dit.
    Il montre le chemin jusqu'à l'église vieille de 1300 ans de Bülbül, où il conserve une énorme Bible manuscrite, et lit couramment en syrien et en arabe les pages jaunies des écritures syriaques. La présence orthodoxe syrienne dans le sud-est de la Turquie remonte au sixième siècle, lorsque fut fondée l'église après un schisme avec l'église orthodoxe à propos de la nature divine du Christ. La communauté a survécu aux persécutions des croisades chrétiennes et des Mongols, s'accrochant même après les massacres perpétrés dans les derniers jours de l'empire ottoman.
    Actuellement, le sentiment de menace dans une région déchirée par la guerre de guérilla a accéléré ce qui est devenu un inexorable exode. Selon l'évêque métropolitain Samuel Aktas, qui dirige sa réduite paroisse du monastère Mar Gabriel, près de la ville de Midyat, il reste à peine 1.000 Syriens orthodoxes dans le Sud-est. La communauté, jadis florissante, comptait 70.000 personne dans les années 30 et 250.000 aux temps de la Turquie ottomane d'avant la première guerre mondiale, mais n'a cessé de diminuer. Quelque 12.000 personnes vivent encore dans l'ouest de la Turquie, principalement à Istanbul. "Maintes fois j'ai essayé d'interrompre cet exode vers l'Europe, mais je n'y suis pas parvenu", dit Aktas, un vigoureux ecclésiastique à la barbe blanche âgé de 49 ans. "Au début, ils partaient pour des raisons économiques, puis les familles ont suivi les travailleurs. Maintenant tout se complique et nul ne sait ce qui arrivera. Nous gardons espoir", poursuit-il. Non loin de la grille du monastère, gît la carcasse d'un camion détruit par une mine quelques jours avant Noël. Probablement posée là par le PKK et destinée aux gardiens de village, elle a causé la mort à un chauffeur civil. Le mois dernier, Aktas a multiplié les efforts pour obtenir la libération d'un prêtre kidnappé près de la ville d'Idil. Le prêtre fut enterré jusqu'au cou et pendu par les pieds à l'aide des chaînes pendant les quatre jours de captivité. Il y a un an, un professeur de langue Syriaque était kidnappé sur la même route où le prêtre a été enlevé et est resté captif pendant sept ou huit mois avant d'être libéré, ajoute Aktas.
    "Nous vivons dans la crainte", disent les villageois d'un hameau près de la ville de Nusaybin, sur la frontière syrienne. "Tout peut arriver." La plupart attendent des visas pour l'Europe, mais les fermiers des villages musulmans voisins refusent d'acheter leurs terres même si elles sont riches et fertiles. "Ils savent que bientôt ils les auront pour rien", murmure sombrement un villageois. Un sapin de Noël triste et poussiéreux occupe un coin de la pièce et des villageois gisent sur des matelas autour d'un poêle à bois. "Il est là depuis deux ans", plaisante l'un d'entre eux. "Dis-nous une chose", demande-t-il. "Comment se fait-il que vous Européens ayez admis 99% de notre peuple, mais ne concédiez des visas au un pour cent restant?"