LA
TERREUR DU 1er MAI
- 3.000 personnes détenus dans les
zones industrielles
- Des grèves interdites dans les
provinces du Kurdistan.
- Chasses à l'homme contre des membres
de la guérilla kurde
- Censure accrue sur la presse
- Protestation du Parlement Européen
Alors que dans le monde entier
des manifestations de masse célébraient le 1er mai, une fois de plus,
la Turquie a connu, à cette occasion, une répression brutale qui a
causé l'arrestation de plus de 3.000 personnes ainsi que blessé
d'autres.
Dès avant le 1er mai, de
nombreuses organisations syndicales ainsi que des groupes de gauche
avaient déclaré qu'ils étaient déterminés à marcher sur la place Taksim
et ce, malgré les mesures décrétées par la police. La place Taksim est
l'endroit où les syndicats et les groupes de gauche avaient l'habitude
de manifester avant que de telles démonstrations soient interdites par
la junte militaire après le coup d'Etat de 1980.
Ainsi, à Istanbul, le 1er mai
1990, des dizaines de milliers de policiers aidés de troupes venant des
autres villes principales du pays, ont pris position dans divers points
de la ville. Un détachement de commandos de l'armée étaient également
stationné à Taksim afin de prêter main forte aux policiers en cas de
besoin.
Les forces de sécurité ont érigé
des barricades humains dans les rues menant à la place et ont procédé à
des fouilles corporelles ainsi qu'à des contrôle d'identité. Elle ont
également contrôlé minutieusement tous les passagers des bus
municipaux. La police a clairement montré sa détermination à ne pas
permettre aucune manifestation dans cette zone en arrêtant de nombreux
jeunes gens dans la rue ou dans les bus et en emmenant les manifestants
potentiels au poste. Elle était équipée de véhicules anti-émeute dotés
de canons à eau, de chiens dressés et d'hélicoptères. Dès midi, elle
réquisitionnait les bus municipaux pour transporter près de 3.000
suspects.
Cependant, le premier incident de
cette journée a eu lieu à un autre endroit. Vers 8 heures du matin,
près de 800 ouvriers ont commencé à marcher vers Kazlicesme, une
banlieue industrielle qui se trouve sur la route principale menant à
l'aéroport d'Istanbul. La Police a utilisé des matraques pour disperser
les manifestants. Au cours de l'affrontement, sept policiers ont été
blessés par des pierres. La police en a arrêté 20.
Dès midi, un groupe de
manifestants a affronté les policiers dans Harbiye, l'une des rues
principales menant à la place Taksim. Trois voitures et un car de
police ont été endommagés par des jets de pierre. Une jeune femme et un
homme ont été blessés par balles.
De petits groupes de manifestants
se sont heurtés à la police à Tepebasi, Dolapdere, Güngören et
Bahcelievler. La police a procédé à de nombreuses arrestations. Le
lendemain, le chef de la police d'Istanbul, Hamdi Ardali a déclaré que
3.304 personnes avaient été mises en état d'arrestation dont 1.300 ont
été relâchées après avoir été interrogées brièvement.
Quatre des blessés, dont Gülay
Beceren, étudiante à l'Université Technique d'Istanbul, âgée de 20 ans,
ont été hospitalisés. Il semblerait que Gülay Beceren, après avoir été
blessée par balles au dos et à l'épaule, restera infirme toute sa vie
car une balle a traversé une de ses vertèbres. Quant aux autres
blessés, moins gravement touchés puisque seulement atteints par
pierres, ils ont refusé de se rendre à l'hôpital, craignant d'y être
arrêtés.
Il y a également eu des incidents
à Ankara, Izmir, Bursa, Adana, Mersin, Erzincan, Edirne, Malatya et à
Bolu où 318 personnes ont été arrêtées pour avoir pris part à des
manifestations non autorisées ou pour avoir brandi des pancartes.
A Ankara, Erdal Inönü, leader du
Parti populiste social-démocrate (SHP), qui est le principal parti de
l'opposition en Turquie, s'est rendu à pied des bureaux de son parti au
quartier général de la Confédération des Syndicats Turcs (TURK-IS),
accompagné d'autres dirigeants du parti. Lors d'une conférence de
presse, il a âprement critiqué le gouvernement turc pour avoir interdit
les manifestations du 1er mai: "Le 1er mai est fêté à travers le monde
entier comme étant le jour du travail. Cela doit être une grande
déception pour nous tous que la Turquie n'ait pas encore atteint ce
niveau de démocratie."
Süleyman Demirel, leader du parti
de la Juste Voie (DYP) et l'un des politiciens anti-communistes les
plus virulents a également critiqué l'interdiction du 1er mai en ces
termes: "Je ne vois aucune objection à ce que le 1er mai soit fêté
comme étant la fête du travail. Combien de temps allons-nous encore
vivre dans la peur des manifestations de rue? Nous ne pouvons pas nous
libérer du fait que nous soyons une société restrictive si nous avons
peur d'exprimer nos idées en public."
La terreur du 1er mai a également
provoqué des réactions à l'étranger. Ainsi la Confédération européenne
des Syndicats (CES) a immédiatement publié un communiqué dans lequel
elle condamne les pratiques du gouvernement turc.
Bien que le TBKP soit légalisé par Özal pour séduire l'Europe, les
prison sont toujours pleines d'intellectuels socialistes et kurdes
LA GREVE DE LA FAIM
DES JOURNALISTES
SOUS LES VERROUS
CONTRE L'INJUSTICE
Le régime d'Ankara a procédé
récemment à la remise en liberté de tous les dirigeants et membres du
Parti Communiste Unifié de Turquie (TBKP) et ce, visiblement, dans le
but de calmer les institutions internationales de défense des droits de
l'homme.
Le président Turgut Özal avait
déjà donné plus tôt le feu vert à ce geste de séduction envers l'Europe
Occidentale. Ainsi, la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara avait d'abord
décidé, le 4 mai dernier, de relâcher le président et le secrétaire
général du TBKP, Nihat Sargin et Nabi Yagci (Haydar Kutlu), et ensuite,
le 18 mai, de relâcher 10 autres membres du TBKP dont la femme de Nabi
Yagci, Cicek Yagci.
Les sympathisants de Yagci et de
Sargin ainsi que des observateurs de plusieurs organisations de défense
des droits de l'homme de Grande-Bretagne, de RFA et de Grèce se sont
livrés à des démonstrations de joie lorsque Vehbi Benli, le juge le
plus ancien de la CSE, a annoncé la décision.
Yagci a déclaré après sa
libération "qu'il s'agit d'une décision tardive mais correcte. Nous
voulons prouver que le communisme n'est pas monstrueux. Nous sommes des
êtres humains comme tous les autres."
Le 25 avril dernier, Yagci et
Sargin avaient cessé leur grève de la faim suite à la promesse par Özal
de lever les articles anti-démocratiques du Code Pénal Turc.
Encouragés par ces libérations,
les dirigeants du TBKP ont annoncé qu'ils allaient demander en juin
1990 la légalisation de leur parti au ministère de l'intérieur. Dans le
but d'obtenir l'appui du monde des affaires, des représentants du
comité central du TBKP ont récemment rendu visite aux organisations des
hommes d'affaires et aux éditeurs des médias de droite.
Bien que le TBKP bénéficie
maintenant de la compréhension et même de l'appui des cercles de droite
et ce, en échange de l'abandon de ses positions radicales ainsi que de
la promesse de collaborer avec toutes les forces politiques du pays, y
compris l'ANAP, et avec le grand capital, de nombreux intellectuels de
gauche qui ont refusé toute concession sont, quant à eux, toujours en
prison.
Le gouvernement, afin d'autoriser
la Cour de Sûreté de l'Etat à relâcher les dirigeants du TBKP, avait
annoncé à la fin du mois d'avril que la modification des articles 141,
142 et 163 du Code Pénal turc allait être immédiatement élaborée et
envoyée à l'Assemblée Nationale. Il avait même divulgué les textes des
projets de modifications à la presse.
Mais dès que la libération des
dirigeants du TBKP est intervenue, ces projets ont été mis au frigo et
les accusations portées contre les intellectuels kurdes et de gauche
ainsi que contre les activistes n'appartenant pas au TBKP ont repris de
plus belle. Les prisons turques sont toujours peuplées par des
prisonniers de conscience.
GREVE DE LA FAIM DE JOURNALISTES
Le 16 mai dernier, juste après
que Sargin et Yagci aient été libérés, huit prisonniers de Canakkale
ont entamé une grève de la faim.
Les détenus, parmi lesquels on
compte cinq journalistes, ont publié une déclaration avant d'entamer
leur mouvement de grève, dans laquelle ils estiment qu'après la
libération de Haydar Kutlu et de Nihat Sargin, toutes les poursuites
considérant la pensée comme un crime n'ont plus aucune justification
légale.
Ces cinq journalistes sont:
Erhan Tuksan, rédacteur en chef
de la revue pour la jeunesse Ilerici Yurtsever Genclik et qui et
condamné à 123 ans de prison.
Irfan Asik, rédacteur en chef de
la revue politique Partizan et qui est condamné à 111 ans de prison.
Hasan Fikret Ulusoydan, rédacteur
en chef de la revue politique Halkin Sesi qui est condamné à 66 ans de
prison.
Mehmet Ozgen, rédacteur en chef
de la revue politique Bagimsiz Türkiye, qui est condamné à 43 ans de
prison.
Kazim Arli, rédacteur en chef de
la revue politique Öncü qui est condamné à 22 ans et 6 mois de prison.
De plus, selon le numéro du 24
avril 1990 du quotidien Cumhuriyet, les journalistes suivants sont
toujours en prison:
Veli Yilmaz (éditeur de Halkin
Kurtulusu), condamné à 748 ans de prison.
Abdullah Erdogan (éditeur de
Kitle), condamné à 36 ans de prison.
Huseyin Ulgen (éditeur de Genc
Sosyalistler), condamné à 12 ans et 3 mois de prison.
Candemir Ozler (éditeur de Savas
Yolu), condamné à 23 ans et 10 mois de prison.
Alaattin Sahin (éditeur de Halkin
Yolu), condamné à 130 ans de prison.
Osman Tas (éditeur de Halkin
Kurtulusu), condamné à 661 ans et 2 mois de prison.
Ilker Demir (éditeur de Kitle),
condamné à 30 ans de prison.
Haci Ali Ozer (éditeur de Emegin
Birligi), durée de condamnation inconnue.
Remzi Kucukertan (éditeur de
Devrimci Proletarya), condamné à 17 ans et 16 mois de prison.
Ertugrul Mavioglu (éditeur de
Yeni Cözüm), condamné à 3 ans.
Surreya Uri (éditeur de Durum),
durée de condamnation inconnue.
Mehmet Resat Guvenilir (éditeur
de Emegin Birligi), condamné à 29 ans et 9 mois de prison.
Güzel Aslaner (éditeur de Halkin
Birligi), condamné à 146 ans de prison.
Abuzer Kilic (éditeur de Emek),
passible de 100 ans de prisons.
Quand aux journalistes suivants,
ils sont reconnus coupables ou mis en accusation mais les forces de
sécurité n'ont pas encore réussi à les arrêter.
Mustafa Tutuncubasi (éditeur de
Halkin Sesi), condamné à 42 ans de prison.
Dogan Yurdakul (éditeur de
Aydinlik), condamné à 18 ans de prison.
Aydogan Buyukozden (éditeur de
2000e Dogru), condamné à 11 ans et 5 mois de prison lors de quatre
procès. Mais, il subsiste 52 autres accusations à son encontre.
Celik Malkoc (éditeur de Yeni
Cozum), condamné à 7 ans et 6 mois de prison. Mais il est passible
d'une peine de 100 ans de prison dans d'autres procès.
En plus de tous ceux-là, de
nombreux auteurs, traducteurs, éditeurs et artistes sont toujours en
prison ou s'y retrouveront très souvent.
SIRMEN DETENU A L'AEROPORT
Ali Sirmen, journaliste au
quotidien Cumhuriyet a été empêché, le 6 mai dernier, de prendre son
avion pour le Portugal où il devait assister à une réunion du PEN,
l'organisation International des Ecrivains.
Alors qu'il s'apprêtait à
franchir le contrôle de passeport de l'aéroport Atatürk d'Istanbul, la
police a annoncé à Sirmen qu'un mandat avait été lancé contre lui et
l'a empêché de prendre son avion. Sirmen a argué du fait qu'il a quitté
sept fois le pays depuis sa libération en 1986, et que son départ ne
devait pas être empêché. Il a également produit le cachet de police
figurant sur son passeport indiquant la levée de l'interdiction de
quitter le pays. Mais la police de l'aéroport lui a déclaré qu'un
nouveau mandat avait été lancé et qu'il datait de 1982.
Sirmen a été détenu brièvement ,
mais il a raté son avion.
Le journaliste avait été arrêté
en 1982 en raison de son appartenance à l'Association Turque pour la
Paix. Il avait été jugé en même temps que 25 autres activistes et a
passé 38 mois en prison entre 1982 et 1986. Les charges retenues contre
lui avaient été abandonnées par le tribunal militaire après sa
libération.
LES AUTRES POURSUITES EN MAI
Le 1/5, à Istanbul, la police a
arrêté le propriétaire de la maison d'édition Bizim Ofset, Hasan Basri
Gürses, pour avoir imprimé des revues de gauche. Toutes les revues
imprimées dans la maison ont été saisies.
Le 4/5, Osman Günes, rédacteur en
chef de la revue mensuelle Emek Dunyasi a été arrêté sur ordre de la
cour de Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul pour s'être livré à de la
propagande séparatiste dans les articles qu'il publie dans cette revue.
Le 4/5, le conseil des ministres
a interdit l'introduction en Turquie d'un livre imprimé en RFA et
intitulé: "Le Kurdistan Turc: Structure économique et sociale".
Le 5/5, la Cour de Sûreté de
l'Etat d'Istanbul a ordonné l'arrestation des journalistes Ali Aslan et
Mehmet Torus, respectivement propriétaire et éditeur responsable de la
revue mensuelle Hedef.
Le 9/5, Dogu Perincek, rédacteur
en chef de l'hebdomadaire 2000e Dogru a été à nouveau mis en accusation
pour son article "La Prescription de Kissinger". Il risque une nouvelle
peine de prison allant jusqu'à 6 ans pour propagande séparatiste.
Le 15/5, Dogu Perincek a encore
été accusé de se livrer à de la "propagande séparatiste" à cause d'un
discours qu'il a prononcé à Malatya.
Le 15/5, deux correspondants de
l'hebdomadaire 2000e Dogru, Faysal Dagli et Baki Karadeniz, ont
été détenus par la police qui a effectué une descente dans le bureau de
Diyarbakir du magazine.
Le 16/5, le dessinateur Erol
Anar, membre de l'Association des droits de l'homme en Turquie (IHD), a
été détenu par la police à Ankara.
Le 17/5, la police a interrompu
une réunion des représentants de 17 revues de gauche qui se
rencontraient afin d'évaluer la situation après que la censure imposée
par le Gouverneur Régional soit entrée en vigueur. Quatorze
journalistes ont été relâchés mais les trois autres ont été maintenus
en détention préventive.
L'IPI CRITIQUE LE REGIME TURC
La 39ème Assemblée Générale de
l'Institut International de la Presse (IPI) a adopté, lors de sa
réunion de Bordeaux en mai dernier, une résolution condamnant les
pratiques qui restreignent la liberté de la presse en Turquie.
Cette résolution traduit
l'inquiétude de l'IPI quant aux violations déclare que les pressions
dont la presse turque fait l'objet ne sont pas compatibles avec le
voeux de la Turquie d'entrer dans la Communauté Européenne.
L'IPI continue en relevant qu'au
moins 24 journalistes sont en prison en Turquie pour avoir exprimé leur
opinion dans leurs articles. De plus, de nombreux périodiques ne
paraissent plus car il leur est impossible de se faire imprimer à cause
d'une mesure gouvernementale qui prévoit la fermeture de toute
imprimerie qui imprimerait des publications considérées comme
désagréable par le gouvernement.
L'INTERFERENCE DANS L'ELECTION DU PATRIARCHE ARMENIEN
Selon les estimations de la presse turque, il y a a
entre 55.000 et 60.000 Arméniens en Turquie. Si on se rappelle qu'au
début du siècle, la population arménienne était estimée à 2 millions de
personnes, on peut aisément imaginer l'ampleur de la répression que
cette minorité ethnique a dû subir. Cette chute exceptionnelle du
nombre d'Arméniens en Turquie suffit à prouver le génocide et les
déportations d'Arméniens durant la 1ère Guerre Mondiale, aucune preuve
supplémentaire n'est nécessaire et pourtant, le Gouvernement turc le
nie depuis des dizaines d'années.
La communauté arménienne de
Turquie a récemment subi une nouvelle immixtion du gouvernement turc
dans ses affaires internes.
Depuis la mort du Patriarche
Shnork, 82ème patriarche de l'Eglise Apostolique Arménienne Orthodoxe
(Grégorienne) de Turquie, survenue le 7 mai 1990, les Arméniens se
préparent à élire son successeur et ce, selon une procédure
démocratique. Le patriarche est généralement élu par une assemblée
représentant toutes les paroisses locales parce que l'Eglise arménienne
suit une forme congrégationnelle de gestion.
Cependant, après la mort du
patriarche Shnork, le gouverneur d'Istanbul a envoyé une lettre à
l'Evêque-président Sohan Simon Sivaciyan, lui recommandant huit
nouveaux "principes conducteurs" formulés par le gouvernement turc, qui
devraient régir les élections patriarcales à venir. Ainsi, la directive
stipule particulièrement cinq conditions préalables que le nouveau
patriarche devra remplir: le candidat ainsi que son père doivent avoir
la nationalité turque qu'ils n'auront jamais perdue, il doit être âgé
de 40 ans; n'avoir jamais été déclaré coupable d'un crime et enfin, il
doit jouir de la confiance de l'Etat turc.
Cela veut dire que le patriarche
ne sera plus élu mais qu'il sera désigné car il n'existe qu'une seule
personne qui réunisse toutes ces conditions préalables: Simon Sahan
Sivaciyan. Les autres candidats à savoir: l'archevêque Karekin
Kazanciyan (Jérusalem) et l'Evêque Karekin Bekcioglu (Marseille) ont
été exclus en raison de la condition de nationalité tandis que l'Evêque
Mesrob Mutafyan l'a été en raison de son âge: il a 34 ans.
LE PROCES SCANDALEUX DU DR. BESIKCI
Le procès du Dr Ismail Besikci,
l'intellectuel turc le plus éminent actuellement en prison, continue à
provoquer des réactions virulentes à travers le monde. Le sociologue
Besikci est détenu depuis plus de deux mois pour avoir écrit des livres
sur la question kurde (v. Info-Türk, mars et avril 1990).
La justice turque le soumet à des
pratiques irrégulières et ne tient absolument pas compte des
protestations émanant des organisations démocratiques aussi bien en
Turquie qu'à l'étranger. Le 15
mai dernier, le Dr Besikci n'a pas été amené à son audience à la Cour
de Sûreté de l'Etat d'Ankara. L'administration pénitentiaire a refusé
de l'y envoyer sous prétexte que "ce jour là, une réunion des
prisonniers et de leurs parents était organisée à la prison."
Un groupe de 200 personnes a
manifesté en face du bâtiment de la Cour de Sûreté de l'Etat afin de
protester contre le fait qu'on ait empêché Besikci d'assister à
l'audience ainsi que contre l'interdiction qui leur était faite de
pénétrer dans la salle d'audience.
Les avocats de Besikci ont estimé
qu'il était criminel de la part de l'administration de la prison de ne
pas avoir envoyé Besikci à l'audience.
TERRORISME D'ETAT AU KURDISTAN
Après avoir mis en vigueur le
décret édictant l'état d'urgence et octroyant les pleins pouvoirs au
Gouverneur Régional, le terrorisme d'Etat a pris une nouvelle dimension
au Kurdistan turc. Le Gouverneur régional Hayri Kozakcioglu, usant de
ses pouvoirs extraordinaires, a annoncé le 8 mai dernier l'interdiction
de toute forme de grève dans sa région.
Le Sud-Est est la région la plus
défavorisée de Turquie et la révolte de la population n'est pas
uniquement provoquée par la répression nationale mais également par des
conditions de vie insupportables. Ainsi, alors que le revenu moyen par
habitant est estimé à l'échelle nationale à 1.448 dollars, au Kurdistan
ce chiffre n'atteint que 500 à 600 dollars.
Le chômage endémique se fait le
plus sentir dans cette région. Selon le quotidien Cumhuriyet du 25
mars, le nombre de personnes inactives enregistrées a augmenté de 33,4%
les quatres dernières années et ce, dans onze provinces de cette région
(Adiyaman, Agri, Bingol, Bitlis, Diyarbakir, Hakkari, Mardin, Mus,
Siirt, Tunceli et Van). Selon la même source, la part de ces onze
provinces des investissements publics ne se montent qu'à 4,3% alors que
11.3% de la population turque y vit.
C'est surtout pour cette raison
que le peuple kurde recherche des solutions plus radicales à ses
problèmes chroniques et qu'il soutient le Parti Ouvrier du Kurdistan
(PKK) et ce dans le but de se garder aussi bien de l'oppression
nationale que de la pauvreté.
L'Etat turc qui s'est montré
incapable d'apporter des solutions effectives à ces problèmes, a choisi
d'intensifier ses assauts contre la guérilla PKK.
Ainsi, le quartier général du
gouverneur à Diyarbakir a annoncé que durant les 10 premiers jours du
mois de mai, 46 personnes, dont 26 faisaient parti du PKK, sont mortes
de façon violente.
De plus, 25 autres membres du PKK
auraient été tués lors de quatre affrontements armés avec les forces de
sécurité à Siirt, Hakkari et Kars. Selon des sources officielles, deux
blessés appartenant au PKK auraient été capturés. Trois gardiens de
village ainsi qu'un policier ont également été tués.
Dans la province de Siirt, le 4
mai dernier, les forces de sécurité et les gardiens de village ont
affronté des membres du PKK près du village de Dereler dans le district
de Sirnak. Selon le bureau du gouverneur régional, 17 membres du PKK
auraient été abattus.
Trois gardiens de village ont été
abattus aux environs de Yüksekova, dans la province de Hakkari, pendant
qu'un groupe d'hommes armés entrait dans le territoire turc en
traversant la frontière iranienne.
De même, près de l'agglomération
de Aralik à Kars, un autre groupe de guérilla s'est également heurté
aux forces de sécurité. Un Kurde qu'on présume comme appartenant au PKK
a été abattu pendant le combat, quant au reste du groupe, il a réussi à
s'échapper.
Le quatrième incident s'est
également passé à Kars près de la frontière iranienne. Selon le bureau
du Gouverneur régional, six membres du PKK ont été tués et deux autres
ont été blessés. Un policier qui avait été touché lors de l'incident,
est décédé lors de son transfert à l'hôpital. Un membre du PKK a aussi
abattu un gardien de village de Sirnak dans la province de Siirt.
Une patrouille turque a été
attaquée par des guérilleros à Dargecit dans la province de Mardin et
deux de ses membres ont été tués lors d'échanges de coups de feu.
A Diyarbakir, des membres du PKK
ont attaqué la maison de Sabri Celik, gardien du village de Yazlica, et
ont exécuté ce dernier. Après, ils ont mis le feu à la maison.
Le 9 mai dernier, un autre membre
du PKK a été tué lors d'un affrontement avec les forces du gouvernement
turc à Igdir, Kars. Dans la zone de Beytussebab à Hakkari, six gardiens
de village ont été abattus.
A Bingol, le même jour, un autre
gardien de village a été tué par des membres de la guérilla.
INÖNÜ PROTESTE PAR LE PEUPLE KURDE
Après que l'état d'urgence ait
été décrété dans l'Est du pays, et ce avec la complicité des partis de
l'opposition bénéficiant d'une représentation parlementaire, la
population kurde de Turquie a perdu toute confiance dans les partis
politiques, y compris ceux de l'opposition. Erdal Inönü, leader du
Parti Social Démocrate Populiste (SHP), a été hué lors de la visite de
cinq jours qu'il a effectué dans les provinces sud-orientales au début
du mois de mai.
Dans un premier temps, il s'est
rendu dans des villes des provinces de Diyarbakir, Siirt, Mardin et
Hakkari où il s'était adressé à de petits auditoires. A Cizre, où il y
a eu des affrontements avec les forces de sécurité en mars dernier, les
gens ont ignoré Inönü ainsi que les députés qui l'accompagnaient. Des
jeunes les ont même hués et insultés en criant: "Vous venez dans notre
ville comme une force d'occupation", faisant ainsi allusion aux lourdes
mesures de sécurité et aux membres de la police spéciale qui
accompagnaient les visiteurs. Lorsque la voiture d'Inönü a quitté la
ville, elle a été accompagnée de huées et une petite pierre a même été
lancée contre elle, ce qui a provoqué une certaine panique.
A Idil aussi, Inönü et ceux qui
l'accompagnaient ont été snobés. Malgré le désintérêt évident de la
population, Inönü s'est quand même adressé à un petit groupe en ces
termes: "Vous ne devriez pas nous confondre avec le gouvernement. Nous
ne sommes pas encore au pouvoir, nous ne pouvons donc pas résoudre vos
problèmes. Nous ne sommes pas responsables des agissements du
gouvernement."
A Uludere, dans la province
d'Hakkari, alors qu'Inönü s'adressait à un auditoire, des gens ont
crié: "Où sont les députés que vous avez expulsés?" Ceci, en référence
aux sept députés SHP exclus du parti en 1989 pour avoir participé à un
meeting international à Paris au sujet de l'identité nationale kurde et
ce, sans avoir reçu l'autorisation des instances supérieures du parti.
A Bitlis, Inönü a accepté le
retour au sein du SHP de ces sept députés à condition qu'ils prêtent
allégeance au parti.
Cependant, plusieurs de ces
députés ont déjà annoncé qu'ils n'avaient pas l'intention de se
repentir. Ainsi, Mahmut Alinak a déclaré qu'Inönü essayait seulement
d'apaiser les gens du Sud-Est et il a ajouté: "Il trompe les gens".
Ismail Hakki Onal, un autre de
ces sept députés exclus du SHP a accusé Inönü de ne pas dire la vérité.
Quant au député de Diyarbakir, Salih Sumer, il a déclaré: "Nous n'avons
commis aucune faute pour laquelle nous devrions nous excuser".
Lors de ses discours prononcés à
l'occasion de cette visite, Inönü a accusé le gouvernement et l'ANAP de
propager de fausses informations en disant que le SHP soutient le
gouvernement dans les mesures qu'il a prises dans le Sud-Est. Il a
déclaré: "Ils essayent de nuire à notre image. Nous ne soutenons pas
ces mesures. Votre cause est notre cause. Je suis venu ici seuls. Nous
ne pouvons pas être tenus responsables des erreurs gouvernementales".
Il a ajouté qu'on ne pouvait pas
l'accuser de soutenir les mesures gouvernementales en se basant
uniquement sur le fait qu'il s'est rendu à la résidence présidentielle
de Cankaya afin d'y rencontrer le président Turgut Özal.
A Diyarbakir, des danses
folkloriques kurdes ont été dansées et des chansons kurdes ont été
interprétées en kurde lors d'un dîner donné en l'honneur d'Inönü. Le
lendemain, le chanteur Bedri Ayseli, qui les avait chantées, était
arrêté.
L'ATTITUDE DECEVANTE D'INÖNÜ EN EUROPE
Alors que le SHP se présente
comme étant le principal défenseur des droits de l'homme en Turquie,
son leader, Erdal Inönü, a plus qu'étonné les démocrates turcs en exil
lorsque, lors de ses entretiens à Bruxelles en avril dernier avec les
sociaux démocrates européens, il s'est avéré qu'il partageait un
certain nombre de points de vue des dirigeants turcs au sujet de la
question kurde ainsi que du problème épineux de la torture.
Inönü s'était rendu à Bruxelles
le 23 avril sur l'invitation de Guy Spitaels, président de l'Union
Européenne des Partis Socialistes et Sociaux démocrates européens. A
cette occasion, il a donné une conférence au Parlement Européen durant
laquelle il a déclaré:
"Dans une période où les
institutions démocratiques proprement dites ne pouvaient
fonctionner librement, les méthodes utilisées pour appréhender et punir
les terroristes responsables de l'anarchie ont donné lieu à la
propagation d'allégations de tortures, de violation des droits de
l'Homme. Ces allégations, ces propagandes exagérées de ceux qui ont
quitté le pays ont contribué à ternir l'image de la Turquie en Europe."
Quant à la question des
minorités, il a clairement rejeté l'idée d'une égalité du droits de la
minorité kurde avec les autres minorités turques. Cependant, il a
reconnu que les Kurdes devraient avoir le droit de parler et de chanter
dans leur propre langue, par contre, il a refusé catégoriquement de
leur accorder le droit d'avoir leurs propres institutions politiques,
sociales et éducatives. Il a essayé de justifier sa position en ces
termes:
"La question des minorités en
Turquie a été débattue lors des négociations du Traité de Lausanne et
finalement, dans ce forum international, les vue de la Turquie en la
matière ont été acceptées. Selon ces vues auxquelles les délégations de
l'Angleterre, de la France, de l'Italie et de la Grèce étaient
signataires, il était reconnu que les trois minorités religieuses (à
savoir les Juifs, les Arméniens et les Grecs orthodoxes) existant en
Turquie avaient les mêmes droits politiques que tous les autres
citoyens turcs et également le droit de protéger leur propre culture et
leur propre religion. D'autres groupes ethniques tels que les Kurdes,
les "Laz" ou les Arabes dont la langue maternelle différait mais dont
la religion était celle de l'Islam n'ont pas été mentionnés en tant que
minorités. Tous ces groupes ethniques qui partagent essentiellement une
culture et une religion communes, faisaient partie intégrante au même
titre que les Turcs du peuple de la Turquie. Avec le temps, une réelle
osmose s'est formée entre les citoyens turcs d'origine kurde et tous
les autres."
Il est regrettable qu'Inönü ait
fait une telle déclaration dans un pays qui comprend trois communautés
linguistiques (Français, Flamand et Allemand) et dans lequel chacune de
ces communautés jouit de ses propres institutions politiques, sociales
et éducatives et ce, en dépit du fait que toutes les trois soient de
religion catholique.
Inönü, en accusant toutes les
organisations kurdes de se livrer à des actions séparatistes, a défendu
la répression qui règne dans le Kurdistan turc en ces termes:
"A notre avis, permettre à ces
personnes de s'exprimer dans leur langue maternelle ne serait pas une
concession au terrorisme mais une attitude naturelle. Il n'y a
cependant aucune doute que nous devons protéger la vie de nos citoyens
menacés par des agressions armées et qu'il est naturel que nos forces
de sécurité répriment ces actes de violence. Il n'y a aucune divergence
de vue sur ce point parmi nos partis politiques."
Pour être cohérent, ce leader
démocrate de la Turquie et cet ancien professeur d'université aurait dû
exposer objectivement les vraies raisons de la lutte armée entamée par
les organisations kurdes. Il n'a même pas abordé le terrorisme d'Etat
qui règne au Kurdistan turc depuis la proclamation de la République. Si
certaines organisations kurdes ont dû se résoudre à avoir recours à la
lutte armée dans la région, c'est uniquement le résultat d'une
répression exercée par l'armée turque et les forces de sécurité et ce,
depuis plus de 60 ans et surtout durant la période consécutive au coup
d'Etat militaire de 1980.
Il est aussi regrettable
qu'Inönü affirme que les accusations de torture sont exagérées
par ceux qui ont fui le pays car, juste quelques jours après sa
conférence, Amnesty International, considérée comme l'organisation des
droits de l'homme le plus fiable, publiait un nouveau rapport sur la
torture continuelle pratiquée en Turquie (Voir nouveau rapport d'AI sur
la Turquie).
Il est évident qu'Inönü s'est
rendu à Bruxelles en tant qu'émissaire du régime turc qui l'a chargé de
transformer la vision négative de l'Europe quant aux droits de l'homme
en Turquie.
C'est pour cette raison qu'il est
retourné bredouille en Turquie. En fait, dès son retour de Bruxelles,
il a dû admettre que les chances de la Turquie d'entrer dans la
Communauté Européenne sont très minces: "Ils ont dit qu'aucun nouveau
membre ne sera accepté et ce jusqu'en 1993. Mais j'ai l'impression que
même à ce moment là, leur opinion quant à l'entrée de la Turquie sera
négative".
Au même moment, Mesut Barzani,
leader du parti Irakien kurde démocrate (IKDP) a déclaré à Orumiyeh
(Iran) que la Turquie ne sera jamais acceptée au sein de la communauté
et ce aussi longtemps que le gouvernement turc ne trouvera pas de
solution au problème kurde. Il a déclaré lors d'une interview accordée
au quotidien Hürriyet, qu'en septembre dernier, lors d'une réunion de
l'Internationale Socialiste à Stockholm, il avait longuement évoqué les
conditions de vie dans les camps de Kurdes irakiens en Turquie et ce,
avec Erdal Inönü. "Inönü m'avait promis de faire quelque chose. Mais il
n'a jamais rien fait de concret", a-t-il dit.
Barzani a déclaré que les pays
présents à la réunion de Stockholm partagaient l'idée selon laquelle la
Turquie ne sera jamais acceptée dans la communauté avant que le
problème kurde ne soit résolu. Il a ajouté: "A moins que les 12
millions (de Kurdes turcs) n'obtiennent des droits individuels ou
culturels, aucun pays européen n'acceptera l'entrée de la Turquie à la
Communauté. La Turquie n'a pas d'autre alternative".
REPRESSION DE CES DEUX DERNIERS MOIS
Le 1/3, sept membres présumés de
l'organisation de gauche Partizan ont été arrêtés à Bursa.
Le 9/3, la Cour de Sûreté de
l'Etat d'Istanbul a arrêté 77 étudiants pour avoir pris part aux
affrontements avec la police à l'Université Yildiz le 2 mars dernier.
En guise de protestations, les étudiants ont entamé une grève de la
faim à la prison de Bayrampasa.
Le 15/3, la Cour de Sûreté de
l'Etat n° 1 d'Istanbul a commencé le procès de 19 étudiants de
l'Université Uludag pour manifestation illégale.
Le 16/3, 108 étudiants de
l'Université Uludag ont été mis en accusation par la Cour Criminelle de
Bursa pour manifestation illégale.
Le 18/3, le procureur public
d'Istanbul a ouvert un nouveau procès politique à la Cour de Sûreté de
l'Etat d'Istanbul contre sept membre présumés d'une organisation
clandestine nommée: "16 juin". Trois des prévenus risquent la peine
capitale.
Le 22/3, neuf personnes ont été
jugées par la Cour de Sûreté de l'Etat n° 2 d'Istanbul pour activités
anti-séculaires.
Le 23/3, la police a annoncé
l'arrestation de 33 militants fondamentalistes après une opération coup
de filet à Istanbul, Ankara et Malatya.
Le 23/3, à Izmir, trois membres
du PKK ont été condamnés à des peines de prison allant jusqu'à 12 ans
et 6 mois de prison.
Le 24/3, quatre militants
présumés du Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie (TDKP) ont été
mis en accusation par la Cour de Sûreté de l'Etat de Malatya.
Le 27/3, la police a annoncé
l'arrestation de 27 membres présumés du TDKP à Istanbul. En même temps,
un officiel du parti était arrêté à Sakarya.
Le 31/3, quatre membres du Parti
Socialiste ont été arrêtés à Denizli pour avoir incité les ouvriers à
faire la grève.
Le 6/4, dix-huit membres présumés
de l'organisation de jeunes Genç Partizan ont été arrêtés à Istanbul et
à Eskisehir.
Le 6/4, le procès de 41 personnes
qui ont déclaré qu'elles étaient membres du Parti Communiste Unifié de
Turquie (TBKP) a commencé à Istanbul. Tous les prévenus risquent une
peine de prison allant jusqu'à 15 ans.
Le 7/4, dix membres présumés du
Parti Communiste Marxiste-Léniniste de Turquie (TKP/ML) ont été
appréhendés à Kocaeli.
Le 15/4, à Tunceli, le président
local de l'Association des Droits de l'Homme (IHD) a été arrêté, et ce,
en raison d'une action de protestation menée avec des hommes d'affaires
kurdes.
Le 17/4, il a été révélé que la
police place en permanence 6.000 lignes téléphoniques sur écoute ainsi
que 17.000 autres occasionnellement.
Le 17/4, la Cour de Sûreté de
l'Etat d'Istanbul a mis en accusation 101 étudiants dont 84 ont été
arrêtés, pour avoir pris part aux incidents de l'université Yildiz le 2
mars dernier. Tous risquent une peine de prison allant jusqu'à 15 ans.
Le 20/4, 129 étudiants ont été
exclus de l'Université Technique du Moyen-orient (ODTU) et ce, pour une
année académique pour avoir manifesté afin de protester contre le
paiement obligatoire du service de bus scolaire.
Le 20/4, un lycéen, Y.O., a été
condamné à un mois et dix jours de prison pour propagande communiste.
Il avait déjà été arrêté il y a trois ans alors qu'il était âgé de 14
ans et avait été condamné une première fois à un an et six mois de
prison. Ce verdict avait été cassé par la Cour d'Appel et il avait été
jugé une seconde fois par la Cour de Sûreté de l'Etat de Kayseri.
Le 21/4, le maire de Nusaybin,
Muslim Yildirim, a été démis de son poste par le ministère de
l'intérieur. Il est accusé de soutenir les activités du PKK dans sa
ville.
Le 22/4, la journée de la terre a
été célébrée dans de nombreuses régions de la Turquie par des groupes
écologistes. A Istanbul, neuf membres du Parti des Verts (YP) ont été
détenus par la police pour des manifestations illégales.
Le 22/4, la police a annoncé
l'arrestation de trois militants de l'Armée Révolutionnaire des
Ouvriers-Peasants de Turquie (TIKKO) à Istanbul.
Le 22/4, la Cour d'Appel a
approuvé la peine de mort prononcée à l'encontre d'un militant du
TIKKO, Adil Sahin.
Le 23/4, à Burdur, un membre de
la Maison du Peuple, Arif Canyilmaz, a été assassiné par un groupe de
militants d'extrême-droite.
Le 25/4, cinq dirigeants de
l'Associations des Ouvriers (ED) à Ankara ont été mis en détention
préventive par la police. L'un des détenus, Mustafa Gul, a déclaré
après sa libération qu'il avait été torturé, ainsi que quatre autres
détenus, durant les interrogatoires de la police.
Le 30/4, Ahmet Silmer, membre du
bureau administratif du Parti des Verts (YP) a été condamné par un
tribunal de Bodrum sous prétexte qu'il aurait insulté le président
Turgut Özal en affichant son portrait avec la mention "No comment"
en-dessous.
MALAISE DANS LES PRISONS TURQUES
Le 1er mars, trois prisonniers
politiques de sexe féminin ont entamé une grève de la faim à la prison
central d'Ankara. Solmaz Karabulut, Fatma Ozyurt et Ayser Turk ont
déclaré qu'elles avaient été battues par les gardes.
Le 9 mars, il a été rapporté que
dix-huit prisonniers de gauche ont mené une grève de la faim pendant
sept jours à la prison de Bismil.
Le 13 mars, cinq prisonniers
politiques, jugés par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Izmir, ont mis fin
à leur grève de la faim qu'ils avaient entamée le 2 février 1990.
Quatre d'entre eux ont été hospitalisés en raison de la forte
détérioration de leur santé. En représailles, le 25 mars dernier,
l'administration de la prison leur a interdit de recevoir la visite de
leurs parents pendant trois mois.
Le 14 mars, des prisonniers
politiques détenus à la prison de Metris à Istanbul se sont révoltés
quand l'administration de la prison a apporté des restrictions aux
visites de leurs parents.
Le 22 mars, la presse a rapporté
que la grève de la faim de 77 étudiants détenus à la Prison Bayrampasa
entrait dans son 19ème jour.
Le 12 avril, à la prison Buca à
Izmir, 28 prisonniers politiques se sont vus interdire de recevoir la
visite de leurs poches pendant une durée de trois mois sous prétexte
qu'ils ne s'étaient pas levés, en signes de respect, à l'entrée des
autorités carcérales.
Le 30 avril, de nombreux
incidents ont eu lieu dans les prisons turques durant les visites à
l'occasion de la Fête de Ramadan. A Istanbul, à la prison de
Sagmalcilar, 400 prisonniers politiques ont refusé de voir leurs
parents en signe de protestation contre les restrictions apportées à
leur liberté de converser avec eux. A la suite de cela, les familles en
visite se sont heurtées aux gendarmes et aux gardes.
A Ankara, des incidents
similaires ont eu lieu et ont causé l'arrestation de 20 visiteurs.
Le 5 mai, un groupe de 57 femmes
en visite à la prison centrale d'Ankara a déclaré qu'elles avaient été
soumises à des fouilles physiques notamment de leurs organes génitaux,
par des femmes policiers et ce en présence de gardes et de policiers de
sexe masculin. Elles se sont adressées au ministère de la Justice et
lui ont demandé d'entamer une procédure légale contre les responsables
de cet acte.
Le 7 mai, un prisonnier
politique, Erhan Yaka, a entamé une grève de la faim en guise de
protestation contre le refus essuyé par sa demande de transfert de la
prison de Kirsehir de type E vers la prison de Canakkale.
CONTROVERSE AU SUJET DE LA PEINE CAPITALE
La menace du régime d'Ankara
d'exécuter une série de peines capitales prononcées à l'encontre de
militants kurdes a provoqué la montée d'une nouvelle polémique autour
de la peine de mort. Pour le moment, 267 peines capitales attendent
leur ratification par l'Assemblée Nationale. 41 d'entre elles
concernent des militants du PKK.
Après les coups d'Etats de 1971
et 1980, de nombreux jeunes militants avaient été exécutés même s'ils
n'avaient pas été impliqués dans les "crimes" mentionnés par l'article
146 du Code Pénal turc, qui ne prévoit la peine capitale que pour ceux
qui renversent le régime constitutionnel.
Dans le but de contourner la
menace du gouvernement, un député SHP, Kamer Genc, a déposé une
proposition de loi au Parlement et ce, dans le but de réhabiliter trois
jeunes activistes qui ont été pendus en 1972.
Deniz Gezmis, Huseyin Inan et
Yusuf Aslan avaient été condamnés à mort par un tribunal militaire pour
avoir tenté de renverser le régime constitutionnel. Ils ont été pendus
le 6 mai 1972.
Ils étaient tous les trois
leaders de l'organisation DEV-GENC (Jeunesse Révolutionnaire). Bien
qu'ils étaient impliqués dans un certain nombre de hold-up de banques
et dans le kidnapping de citoyens américains, ils n'avaient jamais
commis de meurtre. Halit Celenk, le juriste qui les avaient défendu
devant le tribunal militaire estime que: "La peine de mort qui a été
prononcée à leur égard résulte des conditions extraordinaires que
connaissait le pays à cette époque. Ces condamnations étaient injustes."
ELECTIONS A CHYPRE DU NORD
Les dernières élections
présidentielles et législatives ont renforcé le pouvoir de Rauf
Denktas, chef de "la République turque de Chypre du Nord (KKTC)".
Lors des élections
présidentielles du 22 avril dernier, Denktas a comptabilisé 66,7% des
voix alors que son adversaire, Ismail Bozkurt, n'en obtenait que 32,5%
des voix.
Quant aux législatives du 6 mai
1990, le Parti National de l'Unité (UBP), dont Denktas a été le
fondateur, a raflé 34 des 50 sièges de l'Assemblée Nationale ce qui
représente 54% des voix.
Les trois partis composant
l'opposition qui s'étaient alliés pour l'occasion, ils ont recueilli 16
sièges avec 44% des voix. Les sièges se répartissent de la façon
suivante: sept pour le parti républicain turc (CTP) et les deux
derniers ont été au Parti pour la Résurrection (YDP).
Le résultat des élections a
surpris Denktas et l'UBP. Juste avant les élections, dans une interview
qu'il avait accordée à un journal turc, Denktas n'avait pas écarté la
possibilité d'une victoire de l'opposition.
Le premiers ministre, Mr Eroglu,
a demandé aux partis de l'opposition de travailler en harmonie avec le
gouvernement mais, Mustafa Akinci, le leader du TKP, a déclaré que son
parti envisageait de boycotter l'Assemblée Législative.
Akinci accuse l'UBP d'avoir
utilisé des pratiques anti-démocratiques avant les élections: "Nous
n'allons pas à nouveaux jouer les utilités. Nous sommes opposés au fait
de donner l'impression qu'il règne une démocratie de bon ton en KKTC et
ce malgré toutes les pratiques anti-démocratiques du gouvernement."
Le leader du TKP a également
critiqué la Turquie pour s'être immiscée dans les élections:
"L'opposition ne s'est pas uniquement battue contre l'UBP pendant ces
élections mais également contre la Radio et la Télévision turque (TRT),
ainsi que contre le gouvernement d'Ankara et les partis de l'opposition
en Turquie."
Les partis de l'opposition ont
également dénoncé le système électoral en vigueur dans la KKTC. Les
journaux de l'opposition ont rapporté que l'UBP pouvait enlever 68% des
sièges avec seulement 54% des voix.
AMNESTY INTERNATIONAL ACCUSE LE REGIME D'ANKARA
Amnesty International estime dans
un rapport publié le 9 mai 1990 que les tortures systématiques et les
autres violations des droits de l'homme n'ont pas cessé en Turquie.
Le rapport titre: "La Turquie:
poursuite des violations des droits de l'homme" et dit que le régime
turc détient des prisonniers de conscience, torture des prisonniers
politiques et de droit commun et même des "procès injustes" de
prisonniers politiques devant des cours militaires et des cours de
sûreté de l'Etat.
AI rapporte que:
"Durant 1989 et les premiers mois
de 1990, AI a continué à recevoir des allégations de torture ¬—ainsi
que de décès causés par la torture— et croit que toute personne détenue
pur des motifs politiques risque d'être torturée en Turquie.
Parmi les victimes, on retrouve des enfants. De telles allégations de
torture proviennent de toutes parts du pays. Les suspects dans des
affaires criminelles sont également torturés lors de leur détention au
poste de police et en prison."
La Turquie est signataire de la
Convention Européenne pour la prévention de la torture depuis février
1990 ainsi que de la convention des Nations Unies contre la torture,
depuis août 1989. Le gouvernement turc continue à nier toutes les
allégations de torture systématique.
AI estime que les tortures et les
mauvais traitements ont lieu la plupart du temps, lors des
interrogatoires menés par des policiers lorsque les détenus n'ont pas
le droit de voir leur avocat ou leur famille.
Selon l'article 128 de la loi
turque: la durée de détention administrative maximum est de 24 heures.
Cependant, le procureur de l'Etat peut la porter à 15 jours et dans
huit provinces de Turquie orientale où la législation d'urgence est en
vigueur, il peut la porter à 30 jours.
Le rapport dit que la police
retient très souvent les gens pendant une période plus longue que celle
prévue par la loi ce qui "augmente de façon importante le risque de
torture et de mauvais traitements".
AI a déclaré que le ministère de
la Justice a proposé en septembre et novembre derniers, de réduire la
période de détention maximum à 10 jours (à l'exception des zones où la
législation d'urgence est en vigueur), de diminuer de moitié les
sentences prévues pour certains crimes politiques et de lever la peine
de mort pour 13 des 29 crimes pour laquelle elle et prévue.
Ces propositions sont toujours
débattues au Parlement turc: AI estime que "ces propositions sont en
général un pas dans la bonne direction mais dans leur forme actuelle,
elles sont bien au-dessous des standards internationaux concernant les
sauvegardes pour la prévention de la torture. Ceci implique
l'obligation de faire comparaître tous les détenus devant une autorité
juridictionnelle et ce, très vite après leur arrestation ainsi que leur
permettre promptement de voir, non seulement leur avocat mais encore
des médecins et des proches."
Le rapport reprend les
estimations de l'Association des droits de l'homme de Turquie (IHD) qui
estime qu'à la fin de 1989, il y avait 5.000 prisonniers politiques en
Turquie. Parmi eux, on comptait des centaines de prisonniers de
conscience, membres d'organisations politiques, de syndicats et de
groupes kurdes illégaux, ainsi que des journalistes et des activistes
politiques.
Selon cette organisation, depuis
1982, plus de 40 prisons haute sécurité ont été construites afin d'y
interner les prisonniers politiques.
AI révèle que ces confessions et
autres déclarations obtenues sous la torture sont utilisées comme
preuves devant les tribunaux militaires et les cours de sûreté de
l'Etat pour condamner les détenus à des peines de prison ou à mort:
"Les Cours militaires et les Cours de Sûreté de l'Etat n'ont tenu
compte, que dans un nombre très réduit des cas, des déclarations selon
lesquelles ces aveux avaient été obtenus sous la torture. Dans la
plupart des cas, elles se contentent d'ignorer de telles allégations ou
alors, elles déclinent toute responsabilité en ce qui concerne ces
plaintes."
Le porte-parole du ministère des
Affaires étrangères, Murat Sungur, a déclaré, en réponse à ce rapport:
"Il s'agit, comme le rapport précédent, d'une photocopie des autres
rapports déjà publiés à propos de la Turquie. A sa lecture, on ressent
très fort que l'organisations a fait de gros efforts afin de trouver
des points à critiquer.
RESOLUTION DU PARLEMENT EUROPEEN A PROPOS DES DROITS DE L'HOMME EN
TURQUIE
Le Parlement Européen a, lors de
sa session du 17 mai 1990, adopté la résolution suivante qui combine
six motions relatives à la situation des droits de l'homme en Turquie
qui sont l'œuvre de différents groupes politiques:
"Le parlement européen
"A. considérant que la situation
des droits de l'homme et des minorités en Turquie a constitué pour la
Commission des Communautés européennes une raison importante pour
émettre, en son temps, un avis négatif sur l'adhésion de la Turquie à
la CEE,
"B. considérant que les problèmes
les plus importants qui se posent en matière des droits de l'homme en
Turquie sont causés par l'emploi qui est fait des articles du code
pénal turc qui, tels que les articles 141, 142 et 163, touchent à la
liberté d'organisation et à la liberté d'opinion,
"C. considérant que selon de
nombreux rapports récents notamment d'Amnistie International et
d'Helsinki Watch, la torture des prisonniers pour obtenir des aveux est
encore très répandue en Turquie,
"D. considérant que le
gouvernement turc a ordonné, il est vrai, de limiter la période
d'isolement des détenus dans les postes de police, période au cours de
laquelle des sévices sont fréquemment commis, mais que les
fonctionnaires de la justice ne s'en tiennent pas à cette directive,
"E. considérant que, depuis
longtemps déjà, le gouvernement turc envisage de modifier ou de
supprimer les articles 141, 142 et 163 du code pénal mais qu'il n'a
toujours pas présenté de proposition formelle au parlement turc,
"F. considérant que le parlement
turc s'est montré sensible aux critiques qui lui ont été adressées par
l'opinion publique internationale à propos de la situation des droits
de l'homme en Turquie et qu'il a institué une commission parlementaire
qui s'occupera exclusivement de l'amélioration de la situation des
droits de l'homme,
"G. considérant que, le 9 avril
de cette année, le gouvernement turc a arrêté une décision ayant force
de loi, aux termes de laquelle, sous le couvert de la lutte contre le
terrorisme, la liberté de presse a été sérieusement limitée et des
mesures continuant de porter atteinte aux droits de l'homme, telles que
l'interdiction du droit de grève et des mesures d'expulsion, peuvent
être prise,
"H. considérant que le sociologue
turc Ismail Besikci a été arrêté le 12 mas 1990 en raison de son livre
intitulé "Le Kurdistan, une colonie partagée entre Etats" qui a été
confisqué pour "propagande séparatiste".
"I. préoccupé par le fait que
plus de 300 manifestants ont été arrêtés lors des manifestations du 1er
mai à Istanbul et que les forces de l'ordre ont molesté les
travailleurs qui manifestent partout en Turquie;
"1. Demande la suppression des
articles 141, 142 et 163 du code pénal turc;
"2. Estime que la suppression des
mesures d'isolement des détenus dans les postes des police peut
constituer la contribution la plus déterminante à la disparition de la
torture dans les postes de police turcs, ainsi qu'à une amélioration
majeure de l'image de la Turquie dans la Communauté et dans le monde;
"3. Exprime sa profonde
réprobation pour la sanglante répression qui s'est abattue sur les
manifestants du 1er mai et invite les autorités turques à lever
l'interdiction qui pèse sur la commémoration de la fête des
travailleurs et à libérer les manifestants arrêtés;
"4. Se félicite de la libération
de Kutlu et Sargin et forme l'espoir que le peuple turc lui-même sera
mis en mesure de décider du sort du parti communiste qu'ils dirigent,
en l'occurrence lors des prochaines élections;
"5. Espère, à bref délai, la
libération de Ismail Besikci et de tous ceux qui, pacifiquement, ont
fait usage du droit à la liberté d'expression ou d'organisation
('prisonniers de conscience');
"6. Estime que seule la
reconnaissance des droits politiques, sociaux et culturels de la
minorité kurde de Turquie rend la cohabitation possible dans les
provinces du Sud-Est; en appelle au gouvernement turc pour qu'il cesse
de réprimer et de considérer plus longtemps comme des actes délictueux
les manifestations pacifiques de l'identité kurde;
"8. Condamne les actions
terroristes;
"9. Souhaite vivement des progrès
entre les parties en présence afin qu'elles renoncent à la violence et
envisagent une solution pacifique et démocratique au problème de la
minorité kurde;
"10. Charge son Président de
transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au
gouvernement et au parlement turc."