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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


182

16e année - N°182
Décembre 1991
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

Quelles que soient les mesures que prendra le gouvernement, il ne faudrait pas abandonner les exigences
fondamentales d'onze ans de lutte et toutes les traces de la "démocratie" militariste devraient être effacées.


AGENDA 1992 POUR LA DEMOCRATIE EN TURQUIE


    Les citoyens turcs abordent la nouvelle année avec l'espoir de voir une "rapide démocratisation" tel que l'a promis le gouvernement. Quelques timides mesures, comme la fermeture de la Prison d'Eskisehir, l'autorisation de publier un journal kurde, la levée de l'interdiction sur certains livres, cassettes et films, ont déjà été adoptées.
    Cependant, comme on peut le voir dans d'autres articles de cette édition, beaucoup de pratiques anti-démocratiques tel que des arrestations et des procès pour des opinions, des tortures, des décès suspects, des confiscations de publications, des réunions interdites, etc. n'ont pas encore cessé.
    Les organes politiques et répressifs de l'armée, comme le Conseil de Sécurité Nationale, l'Organisation Contre-Guérilla ainsi que les Cours de la Sûreté de l'Etat continuent à exercer leurs sinistres fonctions. Comme avant, la Loi Anti-Terreur et un certain nombre d'articles anti-démocratiques du Code Pénal Turc sont encore utilisés contre les opposants. Le Kurdistan turc est toujours soumis à la terreur de l'Etat d'urgence.
    En effet, le programme de démocratisation de la coalition DYP-SHP ne comprend pas toutes les exigences posées par les forces démocratiques au cours des onze ans de lutte menée contre le régime du 12 septembre.
    La question n'est pas de faire certains gestes superficiels, mais de supprimer toutes les institutions et les traces de la dictature militaire et de remplacer la "démocratie" militariste par une vraie démocratie conforme aux normes universelles.
    Info-Türk, bien que soutenant chaque mesure positive adoptée par le gouvernement, continuera à rappeler l'ensemble des revendications affichées par les forces démocratiques du pays durant les temps difficiles de la lutte et à vérifier leur adoption et mise en pratique.

    Ci-après nous rappelons une fois de plus les principales revendications démocratiques.

    - La Constitution de 1982 doit être complètement modifiée
    - Le Conseil de Sécurité Nationale (MGK) doit être dissout
    - L'Etat-majeur de l'Armée doit dépendre du Ministère de la défense nationale
    - L'Organisation Contre-Guérilla doit être démantelée
    - La Loi Anti-Terreur doit être abolie
    - Les articles anti-démocratiques du Code pénal comme 125, 146, 155, 158, 159, 311, 312 et tous les décrets répressifs doivent être abrogés
    - Tous les prisonniers politiques doivent être libérés
    - Les cours de la sûreté de l'Etat doivent être dissoutes
    - La période de détention policière doit être ramenée à 24 heures et les interrogatoires aux prisonniers doivent se dérouler en présence de leur avocat
    - Tous les meurtres commis par l'Organisation Contre-Guérilla doivent être soumis à une enquête et leurs auteurs doivent être punis
    - Le système électoral doit devenir plus équitable
    - L'état d'urgence doit être levé dans le Kurdistan turc
    - Les équipes spéciales de sécurité doivent quitter la région kurde
    - Le système des protecteurs de village doit être supprimé
    - La législation doit accepter l'identité nationale des Kurdes
    - Toutes les réserves concernant l'identité nationale des Kurdes stipulées par le gouvernement turc dans les conventions internationales doivent être supprimées
    - Les droits nationaux des Kurdes à s'exprimer librement et à recevoir une éducation en kurde doivent être reconnus
    - Les émissions de radio et télévision kurdes doivent être autorisées
    - Un ordre démocratique permettant de débattre librement de la question nationale kurde et de ses solutions doit être créé
    - Les restrictions présentes dans la législation sur la presse doivent être supprimées et le monopole des médias doit être évité
    - Le Conseil supérieur de l'éducation (YÖK) doit être dissout
    - Tous les travailleurs, y compris ceux des services publics, doivent avoir droit au syndicat, aux négociations collectives et à la grève

La terreur d'Etat au Kurdistan

TIRS DE L'ARMEE SUR DES CIVILS

    Malgré le fait que le leader du parti ouvrier du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, après les élections, s'était déclaré prêt à un dialogue afin de créer un climat favorable à une solution politique du problème kurde en Turquie, le gouvernement de Demirel cherche toujours des solutions militaires et répressives.
    Le Premier Ministre Demirel, au cours de la réunion du 29 novembre du Conseil de la Sécurité Nationale (MGK), déclara que le conseil est une institution constitutionnelle et a donc certaines obligations envers le maintien de la sécurité. "Le MGK devrait s'acquitter de ses tâches comme il faut ou plus tard il ne faudrait qu'il vienne me dire que le pays est au bord du désastre." Il demanda au Secrétaire Général du MGK, Nezihi Cakar, de coordonner les activités de l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT), de l'Armée et des ministères concernés par les problèmes de sécurité et de préparer un projet pour combattre le terrorisme dans le sud-est de la Turquie.
    Conséquence de ce choix, un des événements les plus dramatiques de l'année 1991 eut lieu en décembre, lorsque des militaires firent feu contre des civils dans le Kurdistan turc.
    Premièrement, l'Armée Turque mena des raids aériens contre le PKK au dessus du triangle formé par Diyarbakir, Bingöl et Mus. Le PKK fit savoir qu'au cours de ce raid, qui coûta la vie de 14 militants de l'ARGK (Armée Kurde de Libération Nationale), les avions turcs avaient utilisé des armes chimiques.
    Le 24 décembre, les familles des militants morts dans les villes de Lice et Kulp voulaient réclamer les corps mais un commandant local refusa que ceux-ci leur soient remis et ce malgré l'autorisation du Ministre de l'Intérieur, Ismet Sezgin. Conséquence de tout ceci, l'agitation s'empara des deux villes et les forces de sécurité firent feu sur la foule et tuèrent neuf personnes.
    En représailles, les guérillas du PKK attaquèrent un poste de gendarmerie dans la province de Sirnak et tuèrent 10 soldats.
    Le lendemain, en signe de protestation contre cette terreur d'Etat, les commerçants des villes de Kulp, Lice, Hazro et Bismil à Diyarbakir refusèrent d'ouvrir leurs grilles. Les élèves des écoles moyennes n'assistèrent pas aux cours.
    Le même jour, à Istanbul, un groupe d'une vingtaine de personne attaquèrent un centre commercial avec des bombes incendiaires artisanales et 11 personnes y perdirent la vie. Le centre commercial appartient au frère du gouverneur régional, Necati Cetinkaya.
    Au cours d'une entrevue concédée à la BBC le 26 décembre dernier, le leader du PKK, Öcalan, déclara que l'attaque avec les bombes incendiaires n'avait pas été ordonnée par lui. Toutefois, mettant en garde contre le risque de voir de tels événements se reproduire à Istanbul, à Ankara et partout en Turquie, si les forces contre-guérilla intensifient leurs actions, Öcalan répéta son appel au gouvernement d'Ankara pour qu'il maintienne ouverts les voies du dialogue.

D'AUTRES VICTIMES DE LA TERREUR EN DECEMBRE

    Les groupes de droits de l'homme de Turquie ont annoncé le 13 décembre dernier qu'au cours des huit mois qui ont suivi l'adoption de la Loi Anti-Terreur, conférant aux autorités responsables de la sécurité des pouvoirs extraordinaires, 95 personnes ont été victimes du terrorisme d'Etat: huit furent torturées jusqu'à la mort, 20 furent tuées au cours de raids dans les résidences ou des embuscades, 32 le furent au cours des attaques menées par la Contre-Guérilla dans la région soumise à l'état d'urgence et 32 autres sont tombées sous les balles de la police tirant au hasard.
    Voici les meurtres qui ont été perpétrés seulement en décembre 1991:
    Le 1.12, un détachement militaire aurait abattu un garçon de 15 ans, Ismet Mirazoglu, dans le village de Serinbayir, province de Bitlis.
    Le 1.12, Ismail Hakki Kocakaya, qui avait été kidnappé le 27 novembre à Diyarbakir fut retrouvé mort. Des témoins ont déclaré que deux voitures de police avaient été utilisées pour l'enlèvement.
    Le 2.12, à Istanbul, un étudiant de 18 ans, Hüseyin Fidanoglu, perdit la vie en tombant du huitième étage du bâtiment où se trouve également le siège de l'Association des Femmes dans la Lutte Démocratique (DEMKAD). Les parents de la victime ont accusé la police de l'avoir tué.
    Le 3.12, dans le district d'Idil, province de Sirnak, un citoyen chrétien, Mihail Bayir, fut abattu par deux hommes armés. Les tueurs appartiendraient au groupe fondamentaliste Le Hizbullahci. En signe de protestation pour ces assassinats, les commerçants du district de Gercüs (Batman) fermèrent leurs commerces pour deux jours. Le 15 décembre, un tribunal ordonna l'arrestation de six d'entre eux.
    Le 4.12, on rapporte que le 18 novembre, l'armée fit un raid dans le village de Mutluca, district de Solhan (Bingöl), et battit et tortura de nombreux villageois dans le but d'obtenir de l'information concernant les militants kurdes. Parmi les gens torturés figuraient des personnes âgées: Selim Bükmez, 67 ans, Abdurrahman Kilinc, 65, Abdurrahman Küsmez, 72 et Hüseyin Demir, 65.
    Le 5.12, les parents d'Ibrahim Gündem, du village de Sarierik, district d'Hazro (Diyarbakir), déclarent qu'ils ignoraient où se trouve leur fils depuis sa détention, le 25 septembre.
    Le 8,12, à Gaziantep, un étudiant universitaire, Murat Özsat, qui avait été arrêté par la police le 23 novembre fut trouvé mort et son corps présentait des traces de brûlures. Son oncle, Veysi Özsat, accuse la police d'avoir tué l'étudiant qui refusait de devenir un informateur de la police. Quelque quatre mille étudiants ont boycotté l'école pour s'insurger contre la répression policière.
    Le 10.12, dans le village de Yolacti, province de Diyarbakir, un détachement spécial des forces de sécurité ouvrit le feu sur une voiture prétextant qu'elle ne s'était pas arrêtée en dépit de leurs injonctions. Le chef du village d'Erikyazi, Sigbetullah Eker, sa femme et son fils, qui voyageaient dans la voiture furent sérieusement blessés.
    Le 13.12, la famille d'un jeune de 25 ans, Hüseyin Toraman, qui disparut après avoir été arrêté par la police le 27 octobre, demanda à la Commission des Droits de l'Homme de l'Assemblée Nationale d'ouvrir une enquête.
    Le 13.12, le député de Sirnak, Orhan Dogan, annonça que le chef d'un village, Agit Akibe et un autre Kurde, Ibrahim Demir, avaient été trouvés morts dans le district d'Idil un jour après leur arrestation par les forces de sécurité. Aux funérailles des victimes, qui eurent lieu le 15 décembre à Sirnak, ont assisté environ huit mille personnes qui chantèrent ce slogan "A bas le fascisme, à bas la Contre-Guérilla!"
    Le 16.12, dans le district de Dargecit, province de Mardin, Mehmet Ata Vural, de 25 ans, fut abattu par des personnes non identifiées alors qu'il rentrait de son travail. En signe de protestation, les commerçants des districts de Sirnak, de Cizre, de Silopi et de Silvan ont fermé leurs commerces pour un jour.
    Le 17.12, la famille de Cengiz Kumanli, arrêté par la police le 13 décembre à Istanbul, annonça qu'elle n'avait aucune nouvelle de celui-ci.
    Le 18.12, dans le district de Nusaybin, province de Mardin, un travailleur du nom d'Hayrettin Cetin fut abattu par des personnes non identifiées alors qu'il rentrait de son travail. Le lendemain, quelque dix mille personnes ont assisté à ses funérailles et ont chanté de slogans dénonçant la Contre-Guérilla.

TERREUR D'ETAT A NOUVEAU EN DECEMBRE

    Le 1.12, le Gouverneur d'Istanbul interdit une réunion organisée par le Barreau d'Istanbul sur la "violation des droits de l'homme dans le cas de la Prison d'Eskisehir.
    Le 1.12, au cours d'une opération policière dans le district de Siverek, province d'Urfa, 13 personnes âgées de 14 à 18 ans furent arrêtées pour avoir aidé une organisation séparatiste.
    Le 2.12, à Izmir, neuf des 43 personnes détenues le 26 novembre pour avoir prit part à une célébration de l'anniversaire du PKK qui avait été interdite, furent placées en détention par un tribunal. Bien qu'elles aient été relâchés, les 34 autres personnes seront jugées en même temps que les détenues.
    Le 2.12, à Izmir, 53 personnes furent arrêtées pour avoir tenu une conférence de presse de solidarité envers les prisonniers faisant la grève de la faim à la Prison de Buca.
    Le 3.12, commença à la CSE d'Ankara, le procès de 14 personnes arrêtées au cours de l'ouverture d'une exposition commémorant le coup d'Etat de 1980. Ils sont accusés d'avoir organisé une manifestation illégale et d'outrage à la police.
    Le 3.12, dans le district de Viransehir, province d'Urfa, 15 personnes furent arrêtées pour avoir abrité des militants séparatistes.
    Le 4.12, à Istanbul, une femme du nom d'Hakime Esmeray, mère de deux enfants, déclara qu'après avoir été arrêtée en octobre dernier, elle fut torturée et violée par plusieurs policiers le 4 novembre.
    Le 5.12, les forces de sécurités arrêtèrent 3 sympathisants supposés du PKK au cours d'une opération de ratissage dans les districts de la province de Gaziantep.
    Le 5.12, sept personnes furent arrêtées dans le district d'Elbistan, province de Maras. Cinq d'entre elles sont des étudiants d'une école supérieure.
    Le 8.12, à Diyarbakir, un étudiant d'une école supérieure, Mahir Güneri, qui avait été arrêté cinq jours auparavant pour avoir porté un pull aux trois couleurs kurdes, rouge, vert et jaune, déclara avoir été torturé au cours de ses cinq jours de détention. Un rapport médical confirma les traces de torture.
    Le 9.12, la police arrêta neuf personnes dans le district de Palu, province d'Elazig. Parmi les détenus figuraient des hommes de plus de 60 ans. Le même jour, sept personnes furent arrêtées dans le district d'Elbistan, province de Maras.
    Le 10.2, à Istanbul, six personnes furent blessées au cours d'une escarmouche entre étudiants de gauche et islamistes de l'Université de Yildiz.
    Le 12.12, six membres présumés du Dev-Sol furent mis en détention par la CSE d'Istanbul.
    Le 16.12, une action en justice était introduite contre Turgut Kazan, président du Barreau d'Istanbul, pour avoir critiqué les pratiques antidémocratiques de Nusret Demiral, procureur de la CSE d'Ankara.
    Le 16.12, la police arrêta cinq personnes au cours d'une manifestation pour le respect des droits de l'homme organisée par la section d'Istanbul de l'Association des Droits de l'Homme (IHD) dans cette même ville.
    Le 16.12, une vingtaine de personnes furent blessées au cours d'une nouvelle escarmouche entre des étudiants de gauche et islamistes de l'Université de Yildiz à Istanbul.
    Le 16.12, trois députés du SHP, Uluc Gurkan, Salman Kaya et Selim Sadak, déclarèrent que le capitaine de gendarmerie Mehmet Göcmen, avait torturé des habitants du village d'Akbag, dans la province de Mardin, et les avait forcés à manger de la paille.
    Le 17.12, dans le district de Lice (Diyarbakir), quelque trois mille personnes prirent part à une manifestation devant le bureau du gouverneur pour dénoncer l'arrestation de deux Kurdes dans le village de Gökce.
    Le 17.12, quatre étudiants furent traduits devant la CSE d'Istanbul pour avoir collé des posters de l'Union des Communistes Révolutionnaires de Turquie (TIKB) à Istanbul. Les défendeurs, parmi eux se trouve Lale Colak, une fille de 17 ans, risquent chacun une peine de prison de 15 ans.
    Le 18.12, la peine de mort prononcée contre deux membres du Dev-Yol, Mustafa Kantas et Omer Tunca, fut approuvée par une Cour de Cassation Militaire. En vertu de la Loi Anti-Terreur, cette peine fut commuée en une peine de prison à perpétuité.
    Le 18.12, un groupe fondamentaliste fit un raid dans la cantine de l'Université de Mimar Sinan à Istanbul et blessa deux étudiants. La police arrêta sept personnes. Le même jour, à Bursa, les forces de sécurité firent une descente dans une réunion estudiantine à l'Université d'Uludag et arrêtèrent 69 personnes. 16 d'entre elles furent par la suite placées en détention par un tribunal.
    Le 20.12, s'ouvrit à la CSE d'Ankara le procès de 21 militants présumés du PKK.
    Le 21.12, au village de Zirver, dans le district de Palu (Elazig), 17 fermiers kurdes furent arrêtés pour avoir résisté à la gendarmerie au cours d'un raid.
    Le 22.12, les forces de sécurité arrêtèrent sept Kurdes dans le district de Gercüs (Batman) et quatre autres dans celui de Mazidag (Mardin).
    Le 23.12, le président du Syndicat de Mineurs, Semsi Denizer, fut condamné à 4 mois et 2 jours de prison pour avoir critiqué l'attitude d'un ministre durant la grève des mineurs en janvier 1991. La peine fut par la suite commuée en une amende de 3.032.000 LT.
    Le 24.12, eurent lieu une série de manifestations dans les universités d'Adana, de Diyarbakir et de Bursa pour commémorer le massacre commis à Kahramanmaras en 1978. La police arrêta 50 étudiants à Adana, 30 à Diyarbakir et 16 à Bursa.
    Le 24.12, l'ancien président du HEP à Adana, Kemal Okutan, fut arrêté par la CSE d'Ankara en raison du discours qu'il prononça lors de la Grande Convention du Parti Travailliste du Peuple (HEP) à Ankara. Le procureur demande la peine capitale en vertu de l'Article 125 du Code Pénal Turc. Six autres délégués sont également soumis à des poursuites pour les déclarations faites lors de la Convention.
    Le 26.12, à Izmir, 20 militants présumés du PKK furent arrêtés par la police et 12 d'entre eux furent mis en détention par le tribunal.
    Le 28.12, la section de Kastamonu du Syndicat des Enseignants et des Travailleurs Scientifiques (Egit-Sen) fut fermée par décision du gouverneur stipulant que les fonctionnaires publics n'ont pas le droit d'être syndiqués.
    Le 28.12, la police arrêta 22 militants présumés du PKK à Sanliurfa. Le même jour, la CSE d'Izmir arrêta 12 personnes pour le même motif.
    Le 29.12, la police arrêta 15 personnes au cours d'une cérémonie de mariage à Siirt parce qu'elles portaient les trois couleurs kurdes.
    Le 30.12, La police annonça l'arrestation de 25 personnes au cours des opérations de sécurité menées dans la province d'Urfa.
    Le 31.12, à Adana, 34 étudiants universitaires arrêtés le 24 décembre au cours de la manifestation pour l'anniversaire du massacre de Kahramanmaras, annonçaient une fois remis en liberté qu'ils avaient été torturés pour les forcer à devenir des informateurs de la police et les filles avaient été victimes d'harcèlement sexuel.
    Le 31.12, alors que les détenus ordinaires bénéficiaient d'une visite libre à leur famille pour la Nouvelle Année, les détenus politiques furent privés de ce droit en vertu de la Loi Anti-Terreur.

ACCENTUATION DE LA PRESSION SUR LES DEPUTES KURDES

    Tout juste au début de "l'ère de la démocratisation", le 21 décembre, le procureur de la Cour de la Sûreté de l'Etat d'Ankara mettait fin à une enquête sur 22 députés kurdes élus sur les listes du SHP et demandait la peine capitale pour chacun d'eux en vertu de l'Article 125 du Code Pénal Turc. Ils sont accusés d'avoir "tenté de séparer l'ensemble ou une partie du territoire de l'Etat" avec leurs discours électoraux et leurs déclarations sur la question kurde.
    Etant donné que les députés jouissent de l'immunité parlementaire, le procureur a demandé au Ministère de la Justice de s'adresser à l'Assemblée Nationale afin que leur soit retirée leur immunité. Si l'Assemblée accepte la demande, les 22 députés seront jugés devant la Cour de la Sûreté de l'Etat.
    A l'Assemblée Nationale, les nouveaux députés kurdes effectuent leur travail législatif soumis à des pressions et des menaces.
    Après les incidents de la session d'ouverture du Parlement (voir: Info-Türk, novembre 1991), au cours du débat parlementaire du 26 décembre sur la sécurité, le député kurde Mahmut Alinak, alors qu'il s'exprimait au nom du Groupe du Parti Populiste Social Démocrate (SHP), partenaire de la coalition actuelle, fut attaqué par les députés du Parti de la Juste Voix (DYP), l'autre partenaire de la coalition, parce qu'il défendait la fraternité turco-kurde. Lorsqu'il dit: "Il y a quelques jours, nos deux frères sont mort à Digor. L'un de deux était soldat, l'autre appartenait au PKK", ces mots soulevèrent un tolet parmi les députés du DYP, qui exclurent Alinak de la tribune par la force et l'empêchèrent de terminer son discours.
    Après l'incident, Alinak accusa les députés pro-gouvernementaux d'empêcher un débat démocratique sur un problème brûlant.
    "La question kurde ne peut être résolue que par des voies démocratiques, et devrait être débattue au parlement. Sinon, les gens vont commencer à la débattre sur d'autres tribunes, et ce serait très dangereux pour le pays."
    Alinak est un ancien membre du Parti Travailliste du Peuple (HEP) et fut élu au Parlement sur les listes du SHP.
    Le président du HEP, Feridun Yazar, qualifia l'incident d'honteux. "Alinak voulait seulement dire que les Kurdes et les Turcs sont des frères, qu'il est absurde de s'entre-tuer et qu'il faut mettre fin à tout ceci. Mais ceux qui ont des préjugés, ceux qui ne savent pas ce qu'est vraiment la démocratie, l'ont expulsé de la tribune. Ils ne tolèrent même pas que quelqu'un dise 'PKK' et ils réagissent sans vraiment écouter. C'est une insulte à la démocratie." Il avertit que si l'on n'a pas de liberté d'expression au Parlement, on ne l'aura nulle part ailleurs dans le pays.
    Le port des trois couleurs (rouge-jaune-vert) du mouvement national kurde est toujours considéré comme un délit par les autorités de l'Etat. Des jeunes gens sont encore arrêtés et même torturés pour avoir porté ces trois couleurs. Le 21 décembre, le président du HEP, Yazar, a ironiquement suggéré d'interdire également ces couleurs sur les feux de circulation.

LE RAPPORT D'HELSINKI WATCH SUR LES DECES SUSPECTS

    Helsinki Watch, dans un communiqué de presse daté du 15 décembre 1991, révèle que quinze personnes sont mortes au cours de détentions policières dans des circonstances suspectes pendant les onze premiers mois de 1991.
    Les décès en détention de sept personnes avaient déjà été exposés en mars. Parmi les huit décès les plus récents, deux se sont produits à Ankara, deux à Istanbul, et quatre dans des zones périphériques, principalement dans le sud-est de la Turquie. Dans un des cas, deux membres des forces de sécurité sont jugés pour le décès du détenu.
    Les huit décès rapportés depuis mars sont:

    Imran Aydin, arrêté à Ankara le 2 mars comme suspect politique, est mort le 3 mars. Selon la police, Aydin est mort en essayant de fuir d'une maison où il était amené pour une inspection des lieux. Le rapport de l'autopsie précise que la mort fut causée par un saignement du pancréas.
    Haydar Altun, membre du PKK, décéda en mars. Selon les forces de sécurité il fut tué dans un accrochage lors d'un raid mené contre un camp du PKK dans le territoire irakien. Le 14 mai, la Fondation des Droits de l'Homme de Turquie (TIHV) rapportait une information reçue par la mère d'Altun selon laquelle son fils avait été capturé vivant et était mort entre les mains des forces de sécurité alors qu'elles le torturaient.
    Mustafa Ilengiz aurait été tué le 2 avril par des membres d'une équipe spéciale des forces de sécurité au village de Cicekalan, dans le district de Pazarcik, Maras. Le 22 juin était intentée une action en justice contre les membres d'une équipe spéciale, Halil Ibrahim Cura et Esen Akbulut pour la mort de Mustafa.
    Hasim Sincar, détenu de délit de droit commun à Solhan (Bingöl), le 4 avril. Il décéda au poste de gendarmes de Solhan au cours de son interrogatoire. Les autorités affirment qu'il serait victime d'une crise cardiaque.
    Veli Geles fut arrêté en tant que suspect politique le 1er avril à Ankara. Le 5 avril, son corps était transporté à l'hôpital des Urgences et de la Circulation. Une autopsie révéla trois blessures par balle. Selon la police, Geles fut abattu alors qu'il tentait de s'échapper d'une maison où il avait été amené pour "une inspection des lieux". Sa famille fut informée de sa mort un mois plus tard.
    Alaadin Kürekçi, soupçonné de vol et arrêté à Istanbul, le 16 mai, fut transporté le 17 mai à l'hôpital dans le coma. Il décéda le 20 mai. Un membre de sa famille déclara avoir relevé, lorsqu'il se trouvait à l'hôpital, des hématomes rouges et des traces de coups autour de ses oreilles.
    Osman Ekinci, berger, fut arrêté le 20 juin par trois soldats du poste de gendarmerie de Görendoruk, là il fut battu avec trois autres personnes pendant quelque 13 heures. Son corps, couvert de blessures, fut alors ramenés à son village.
    Yücel Özen, de vingt-six ans fut arrêté en novembre à Istanbul et accusé de vol. Le 12 novembre, Özan fut hospitalisé à l'Hôpital des Urgences de Taksim après être tombé dans le coma au poste de Sécurité de Beyoglu. Il décéda le 24 novembre à l'hôpital. Son avocat indiqua qu'il avait été torturé et demanda une enquête.
    Le rapport d'Helsinki Watch attire l'attention sur les formes de torture pratiquées en Turquie:
    "En Turquie, la torture est généralement pratiquée dans des sections spéciales des postes de police au cours du premier interrogatoire du suspect. Les activistes des droits de l'homme et les avocats qui représentent les défendeurs continuent à rapporter à Helsinki Watch qu'entre 80 et 90% des suspects politiques et 50% des détenus soupçonnés de délits ordinaires affirment avoir été torturés au cours de leur détention.
    "La torture consiste à suspendre une personne nue par les bras ou les poignets; à lui appliquer des chocs électriques dans les parties du corps les plus sensibles; à diriger vers les victimes de l'eau à haute pression; la falaka (frapper dans la plante des pieds), et d'autres techniques horribles.
    "La torture n'est pas réservée aux adultes, Helsinki Watch a récemment interrogé neuf enfants âgés de 13 à 17 ans qui avaient été torturés par la police.
    "Contrairement à ce qui se produit dans les postes de police, la torture est en régression dans les prisons depuis 1984, mais au cours de ces derniers mois Helsinki Watch a de nouveau reçu des rapports dénonçant des matraquages en série dans les prisons à l'aide de matraques et de bâtons en bois."

    Les recommandations d'Helsinki Watch
   
    "Depuis de nombreuses années, Helsinki Watch dénonce le recours systématique à la torture en Turquie et a exigé sa suppression suggérant des mesures spécifiques que le gouvernement devrait adopter pour y parvenir. Récemment a été élu un nouveau gouvernement en Turquie. Le 25 novembre, le Premier Ministre Süleyman Demirel présentait le nouveau programme de son gouvernement de coalition; une clause indiquait que la torture était un délit inhumain qui serait aboli. Helsinki Watch exige du nouveau gouvernement qu'il tienne cette promesse et plus particulièrement:
    • qu'il reconnaisse l'ampleur de la torture dans les centres de détention policière et prenne des mesures pour y mettre fin.
    • qu'il mette en vigueur un décret de septembre 1989 garantissant aux détenus le droit d'être représentés par des avocats dès leur arrestation; les clauses de ce décret n'ont jamais été appliquées.
    • qu'il interdise l'utilisation dans les tribunaux des confessions faites sous la contrainte de la torture.
    • qu'il alourdisse les sentences possibles pour les délits de torture.
    • qu'il poursuive les tortionnaires.
    • qu'il permette au Comité International de la Croix Rouge et à d'autres organisations internationales de rendre visite aux prisonniers de manière régulière."

MODIFICATIONS PROPOSEES PAR LES JURISTES

    "Un développement efficace des droits de l'homme en Turquie requiert des modifications de la Loi, une éducation et une analyse objective de la communauté internationale," déclarait le Président du Barreau d'Ankara, Özdemir Özok, dans une interview parue dans le Turkish Daily News  du 14 décembre 1991. Le Barreau d'Ankara, membre de l'Union des Barreaux de Turquie, possède 7.000 membres.
    Voici les demandes des avocats d'Ankara:

    o Qui que soit le suspect, un terroriste ou un voleur à l'étalage, et indépendamment de l'acte abominable qu'il ait pu commettre, il doit être traité avec dignité tel que le précisent les normes internationales.
    o Le Ministère de la Justice devrait mettre fin aux détentions en isolement car celles-ci augmentent la probabilité de torture ou de mauvais traitements. La présence d'un avocat et des amis permet de contrôler l'attitude de la police. Le droit de bénéficier d'une assistance judiciaire est un droit humain fondamental.
    o Le gouvernement devrait fournir une assistance judiciaire gratuite aux défendeurs indigents. Alors que le Barreau fournit une assistance judiciaire gratuite aux défendeurs qualifiés, le Ministre de la Justice devrait contribuer à ces efforts.
    o La suppression des lois anti-démocratiques qui suivirent le coup d'Etat miliaire ne suffit pas, il faut enseigner les droits fondamentaux aux gens et leur apprendre à les appliquer et à les défendre. Actuellement, un pourcentage écrasant de la population turque ne connaît pas les droits les plus essentiels qu'elle pourrait faire valoir si elle devait exercer les pouvoirs démocratiques de manière efficace.
    o Le gouvernement, surtout le Ministère de l'Education, et les groupes de défense des droits de l'homme non-gouvernementaux doivent agir activement sur un développement éducatif et culturel qui mette en évidence les droits des individus et leur expression. Une grande partie de la population turque est jeune et énergique et l'expérience politique de la nation a favorisé la création d'un contexte social mûr dans lequel il est possible d'encourager chez les gens un désir de lutter pour une vie et un ordre social humanitaires.
    o La mobilisation de la honte entreprise par les médias internationales et des communautés de gouvernements encourage fortement les pays à agir de manière plus nette, mais seulement dans certains circonstances. Les médias ou le gouvernement étrangers doivent premièrement évaluer correctement un problème, et deuxièmement formuler leurs demandes en accord avec les possibilités réelles du pays à satisfaire ces demandes, autrement la mobilisation de la honte devient contre-productive et entrave les efforts consentis pour améliorer la situation.

LA PEINE DE MORT PERSISTE

    Le 11 décembre, au cours de sa première conférence de presse internationale, le Premier Ministre Demirel fit savoir que la suppression de la peine de mort ne figurait pas à ce moment-là sur l'agenda turque. A une question, il répondit que de nombreux pays maintenaient encore en vigueur la peine de mort dans le monde.
    En vertu de la Loi Anti-Terreur adoptée cette année, les condamnations à mort prononcées ou à prononcer pour des actes commis avant le 12 avril 1991 ne seront pas appliquées. Ceux qui sont condamnés pour des actes commis après cette date risquent la peine de mort.
    En fait, il n'y a pas eu d'exécution depuis 1984. Avant cette date, un total de 50 condamnés avaient été exécutés depuis le coup d'Etat militaire de 1980. Deux d'entre eux le furent en  1984, juste après l'élection du gouvernement d'Özal. Au cours de cette période, 18 activistes de gauche, 9 de droite, un Américain et 22 délinquants communs furent pendus.
    Parmi les 258 condamnés à avoir bénéficié d'une levée de la peine de mort, 100 appartiennent au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
    Des dizaines de militants du PKK sont encore jugés par les Cours de la Sûreté de l'Etat et risquent la peine de mort.

PRESSIONS CONTRE LES MEDIAS EN DECEMBRE

    Le 1.12, le correspondant à Kozluk (Bingöl) de l'hebdomadaire Yeni Ülke, Bengi Yildiz, était encore encore détention policière et ce depuis le 26 novembre.
    Le 2.12, la CSE d'Istanbul confisqua le N° 54 du bimensuel Emegin Bayragi en raison de son information concernant une personne disparue et le N° 7 de l'hebdomadaire Yeni Ülke pour la publication d'une lettre d'un exilé politique.
    Le 3.12, un calendrier de 1992 publié par la revue mensuelle Newroz fut confisqué par la CSE d'Istanbul car il portait les trois couleurs kurdes.
    Le 3.12, le quotidien Cumhuriyet rapportait que 3.286 interdictions visant des publications sont toujours en vigueur, bien que les Articles 140, 142 et 163 du Code Pénal Turc aient été abolis en avril 1990. 917 de ces interdictions furent prononcées par le Conseil des Ministres et 2.369 par des tribunaux.
    Le 4.12, le quotidien Yeni Tan fut confisqué pour obscénité.
    Le 5.12, commençait à la CSE d'Istanbul le procès de l'écrivain Yilmaz Odabasi. Il est jugé en vertu de la Loi Anti-Terreur pour son livre La Révolte Sheik Sait de 1925.
    Le 8.12, la première édition de la revue mensuelle Barikat fut confisquée par la CSE d'Istanbul en vertu de la Loi Anti-Terreur et son rédacteur en chef, Zekeriya Özdinc, fut arrêté. Par ailleurs, une soirée d'amitié et de solidarité organisée par la même revue fut interdite par le Gouverneur d'Istanbul.
    Le 11.12, une bombe explosa près de la tombe de Sedat Simavi, fondateur du quotidien Hürriyet, au cours d'une cérémonie de commémoration. Une organisation fondamentaliste, le Front de la Guerre Sainte de Turquie revendiqua l'attentat.
    Le 15.12, la dernière édition du mensuel Devrimci Emek fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 16.12, le sociologue Ismail Besikci fit à nouveau l'objet d'une action en justice en vertu de l'Article 159 du Code Pénal Turc, il est accusé de diffamer contre la République Turque dans son livre Le Terrorisme d'Etat dans le Moyen-Orient. Il sera jugé par une cour criminelle d'Ankara et risque une peine de prison de six ans. Il avait déjà été l'objet d'une autre action en justice à la CSE d'Istanbul pour le même livre, en vertu de la Loi Anti-Terreur. Il avait été accusé de séparatisme.
    Le 19.12, trois journalistes de l'hebdomadaire 2000e Dogru, Guner Tokgoz, Hasan Yalcin et Selami Ince furent condamnés à des peines de prison d'un an et trois mois parce qu'ils avaient des armes à feu dans le bureau de la revue à Ankara. Ils déclarèrent posséder ces armes pour leur propre défense.
    Le 19.12, on rapportait que le procès du journaliste Deniz Teztel, de trois avocats, Bedii Yarayici, Murat Demir et Fethiye Peksen, ainsi que 24 autres personnes, commencerait le 17 janvier à la CSE d'Ankara. Ils sont accusés d'avoir aidé la Gauche Révolutionnaire (Dev-Sol). Quatre des défendeurs risquent la peine capitale et les autres, y compris Teztel et les trois juristes, risquent des peines de prisons de 15 ans.
    Le 20.12, les cérémonies de l'anniversaire de mensuel Deng furent interdites par le Gouverneur de Diyarbakir.
    Le 22.12, deux livres, Comment nous avons lutté contre le peuple kurde - Réminiscences d'un Soldat d'Abidin Kizilyaprak et La Ballade d'une Révolte: Dersim d'Hüseyin Karatas furent confisqués par CSE d'Istanbul pour séparatisme et insulte contre les forces d'Etat.
    Le 23.12, le sociologue Ismail Besikci fut condamné à un an de prison par un tribunal correctionnel à Istanbul pour son article concernant la participation des femmes kurdes à la guérilla, publié par Yeni Ülke. Le rédacteur en chef de l'hebdomadaire, Ozkan Kilic fut également condamné à un an de prison, mais sa peine fut commué en une amende. En vertu de l'Article 312 du Code Pénal Turc, tous deux sont accusés de faire l'éloge d'un délit. Besikci a déjà passé 11 ans, 3 mois et 20 jours en prison pour propagande séparatiste.
    Le 24.12, deux musiciens turcs, Melike Demirag et Sanar Yurdatapan qui se sont exilés en Allemagne il y a onze ans, retournaient en Turquie pour une visite de 15 jours. Bien qu'acquittés par les tribunaux, ils sont toujours privés de la nationalité turque, ainsi que 15.000 personnes. Ils sont naturalisés allemands et visitent la Turquie en tant que touristes.
    Le 24.12, le gouverneur interdit un concert du groupe Yorum à Tekirdag.
    Le 25.12, le livre de Metin Ciyayi, Contes d'un pays d'éternité, fut confisqué par un tribunal pénal parce qu'il fait l'éloge de certains actes que la loi considère délictifs. Au même moment, l'auteur était arrêté à Izmir par décision de la CSE d'Ankara.
    Le 26.12, un livre intitulé Graffiti Erotiques fut confisqué par un tribunal pénal d'Istanbul pour obscénité.
    Le 29.12, pour la première fois dan les 69 ans d'histoire de la Turquie, paraissait un journal entièrement en kurde sous le nom de Rojname (Journal). Bien que les autorités n'aient pas entravé la publication des 40 pages que contient le journal, la campagne de publicité n'eut pas accès à la radio et à la télévision sous prétexte que la Loi sur la Radio et la Télévision interdit de faire des émissions dans une autre langue que le turc.
    Le 29.12, l'édition N° 11 de l'hebdomadaire Yeni Ülke fut confisquée par la CSE en raison d'un article dans lequel Besikci critiquait le fonctionnement des Cours de la Sûreté de l'Etat.

BASTÜRK, LEADER DU DISK, NOUS A QUITTE

    Un des personnages historiques du mouvement syndical turc, Abdullah Bastürk, décéda le 19 décembre d'une hémorragie cérébrale. Il était président de la Confédération des Syndicats Progressistes (DISK) et passa trois ans en prison après le coup d'Etat miliaire de 1980. Il était également membre du Conseil de la Confédération Européenne des Syndicats (CES).
    Il est né dans un village de l'Anatolie en 1929. A peine commencé, il dut quitter l'école supérieure à cause de la pauvreté de sa famille et commença sa vie d'agriculteur à l'âge de 14 ans. Par la suite, il travailla dans les secteurs public et industriel. Il joignit la lutte syndicaliste alors qu'il travaillait à la municipalité d'Istanbul et fonda un syndicat local. En 1962, en compagnie de ses camarades, il fonda le syndicat national Genel-Is, qui rassemblait tous les employés du secteur public turc,et fut élu à sa présidence. Au début, le Genel-Is était affilié à la Confédération des Syndicats Turcs (TURK-IS). Cependant, devant l'attitude pro-gouvernementale de cette dernière, le Genel-Is opta pour la DISK et avec ses 100.000 membres devint le plus grand syndicat de cette confédération progressiste. Pendant ce temps, Bastürk était élu député du Parti du Peuple Républicain (CHP).
    Il fut élu à la présidence du DISK lors de son 6ème congrès tenu fin 1977.
    Bastürk et ses camarades furent les premiers arrêtés et torturés après le coup d'Etat militaire du 12 septembre 1980.
    Après sa libération, Bastürk fut élu député du Parti Populiste Social Démocrate (SHP) en 1987. En 1990, il quitta le SHP et avec un groupe de députés progressistes, il fonda le Parti Travailliste de Peuple (HEP).
    En juillet 1991, la Cour d'Appel militaire annula la décision des cours inférieures d'interdire le DISK. Bastürk décida alors d'abandonner la scène politique pour consacrer toute son énergie à la réorganisation du DISK.
    Sa mort a causé une grande tristesse dans les cercle syndicaux et des droits de l'homme de Turquie. A ses funérailles ont assisté des milliers de personnes.
    C'est le 8 décembre, juste avant sa mort, que fut convoquée une réunion du Conseil Général de la Confédération des Syndicats Progressistes (DISK) après 11 ans d'intervalle, et commença à travailler pour modifier les statuts de la confédération pour les adapter à la nouvelle Loi sur les Syndicats.
    Bastürk souligna l'importance de la réunion avec un discours d'ouverture dans lequel il précisa que les principes défendus par sa confédération depuis sa fondation étaient encore de mise et toujours aussi fermes. "Nous avons été jugés pour un délit de peine capitale, mais nous sommes toujours là," dit-il.
    Dans son discours, Bastürk précisa que le DISK modifierait ses lois pour se conformer à la Loi sur les Syndicats N° 2821, mais que cela ne voulait pas dire qu'ils acceptaient la loi. "Nous continuerons à déployer tous nos efforts pour obtenir la suppression de cette loi qui n'est qu'une fausse défense des droits des travailleurs," dit-il. Bastürk défendait l'opinion selon laquelle même après la fin du pouvoir militaire en Turquie, les travailleurs n'avaient pas récupéré la place qu'ils méritent dans une société détériorée au point de vue économique, culturel et politique.
    Pour ce qui est des demandes que le DISK formulera au gouvernement, Bastürk précisa que premièrement il demandera à celui-ci d'approuver l'Accord N° 87 sur l'Organisation Internationale du Travail (OIT) concernant les droits des syndicats. Il ajouta qu'ensuite le DISK demanderait l'abolition de différence faite entre les travailleurs et le employés de l'Etat et de leur concéder à tous le droit de former des syndicats. Il dit également qu'il demanderait la restitution des biens et des avoirs confisqués au DISK et aux syndicats affiliés.

LES ORGANISATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE

    Après les élections qui mettaient fin à la période d'Evren-Özal, une semaine des Droits de l'Homme (10-17 décembre 1991) fut organisée en Turquie afin de rendre le public conscient des thèmes concernant les droits de l'homme, à travers des conférences, des films, l'art et d'autres moyens de communications.
    Les organisateurs de cette semaine sont l'Associations des Droits de l'Homme de Turquie (IHD) et la Fondation des Droits de l'Homme de Turquie (TIHV).
    Outre ces organisations non-gouvernementales, quelques organes gouvernementaux ont récemment été créés dans le but de renforcer le respect des droits de l'homme dans le pays.
    Le Turkish Daily News, dans son édition du 11 décembre 1991, apportait les informations suivantes sur ces institutions:

    L'Association des Droits de l'Homme de Turquie (IHD)

    Elle fut fondée en juillet 1986 conformément à l'esprit de la Charte des N.U. Celle-ci préconise la création d'organisations des droits de l'homme non-gouvernementales dans les pays membres. Aujourd'hui, le IHD compte 44 branches et 20.000 membres.
    Une des premières préoccupations de l'association est d'éviter la torture, d'améliorer les conditions dans les prisons et de protéger et libérer les prisonniers de conscience. L'association fournit des rapports concernants ces problèmes à Amnesty International, Helsinki Watch, la Fédération Mondiale des Droits de l'Homme, et d'autres organisations internationales.
    L'association s'adresse également au public turc à travers les activités de défense des droits de l'homme, tel que ladite Semaine des Droits de l'Homme, et la presse. Par ailleurs, l'association est en contact avec les Ministères de la Justice, des Affaires Intérieures et des Affaires Etrangères, ainsi qu'avec la Commission des Droits de l'Homme de l'Assemblée Nationale et le Ministère des Droits de l'Homme qui vient d'être créé.
    Le IHD a été nommé pour trois prix: le prix de l'Association des Droits de l'Homme Jimmy Carter, le Prix International de Paix Gandhi et le Prix Triennal des Droits de l'Homme de la Communauté Européenne.
    Le IHD a jalonné la "Semaine des Droits de l'Homme", entre le 10 et le 16 décembre, d'événements tels que des débats, des conférences, des pièces et de expositions. Au cours de la semaine, la cinquième en son genre en Turquie, des prix concédés au Président de l'Association des Droits de l'Homme, Nevzat Helvaci et le Président de la Fondation des Droits de l'Homme, Yavuz Önen, par le gouvernement français, furent remis le 11 décembre au cours d'une cérémonie.
    A cette occasion, Helvaci attira l'attention sur un rapport des Nations Unies publié au début de cette année et qui concédait à la Turquie sept petits points sur les quarante possible de l'échelle du respect des droits de l'homme, et avec ce score, la Turquie arrive à la 66ème place sur un total de 88 pays. Il ajouta qu'avant le 30 septembre de cette année, 18 personnes avaient perdu la vie dans les prisons ou au cours d'interrogatoires. La version donnée au public qualifie de "suicides" ces décès survenus dans des circonstances suspectes. Avec une pointe d'ironie, Helvaci déclara qu'il était difficile de concevoir pourquoi ces jeunes gens —tous entre 19 et 25 ans— choisissaient les bâtiments de la Sûreté pour se suicider.
    Helvaci indiqua qu'en réalité la Loi Anti-Terreur protège les tortionnaires.
    Les investigations que le IHD fit en 1987 sur ce sujet révélaient que des 644 prisons turques, aucune ne satisfaisait les normes minimales dans le traitement des détenus et des condamnés prévues par les N.U., et la situation n'a pas changé depuis.

    * La Fondation des Droits de l'Homme de Turquie (TIHV)

    Fondée à Ankara en avril 1990 sous la forme d'une clinique de consultation pour les victimes de la torture et de mauvais traitements, la Fondation des Droits de l'Homme a étendu ses services à Izmir (août 1991) et Istanbul (oct. 1991). La fondation ouvrira une autre section à Diyarbakir (sud-est de la Turquie) en 1992.
    La fondation procure des soins de réhabilitation aux victimes de la torture et des mauvais traitements au travers d'une thérapie psychiatrique et médicale. Elle fournit gratuitement des psychiatres et des médecins, grâce à l'apport d'une somme de 1.000$ par patient.
    Le Secrétaire Général du TIHV, Haldun Özen, déclara que la fondation n'entreprend aucun acte ("projet") sans préalablement s'être assuré de disposer du support financier nécessaire. Dans les cas où les coût excède les 1.000$ par personne, la fondation puise dans ses ressources privées pour obtenir le supplément.
    La fondation possède également un système d'archives et d'enregistrement informatisés qui garantissent un accès aisé. Les dossiers informatiques sont actualisés quotidiennement. Cependant, selon le spécialiste de l'information des données de la fondation, les systèmes informatiques et les logiciels ne sont pas adaptés à la quantité de travail. La fondation est en train de chercher dans les programmes de recherche documentaire d'autre organisations des droits de l'homme partout dans le monde.
    Un troisième aspect que la fondation commence à développer est l'enseignement des droits de l'homme. Özen déclara que les méthodes d'éducation s'inspireront des modèles internationaux et seront adaptés à l'environnement intérieur turc, prenant en compte les cultures régionales et les déficiences éducatives.
    Contrainte par un budget limité, la fondation s'est vue obligée à chercher des méthodes plus efficaces et créatives pour parvenir à ses fins. L'été dernier, Theresa Park, une érudite des droits de l'homme américaine, obtint une bourse avec la fondation grâce à un don de l'Ecole de Droit de Harvard.

    * La Commission des Droits de l'Homme de l'Assemblée Nationale

    En mars 1990, l'Assemblée Turque créait la Commission des Droits de l'Homme afin de répondre à la prise de conscience, mondiale et interne, sur la qualité de l'existence humaine dans le monde.
    Quand l'assemblée considère qu'une plainte constitue un cas de prima facie d'une violation présumée des droits de l'homme, la plainte est soumise à la Commission des Droits de l'Homme.
    La commission est alors investie du devoir d'examiner la plainte à fond et dresser un rapport et des recommandation au Conseil Consultatif de l'Assemblée. Après une étude du rapport de la Commission, le Conseil détermine si l'assemblée doit soumettre la plainte.
    Le président de la Commission, Ahmet Türk (SHP - Mardin) déclara que le seul grand pouvoir de la commission est d'enquêter sur toutes les entités ainsi que sur les établissement privés pour des violations présumés des droits de l'homme. "La commission ne peut pas ordonner au pouvoir législatif d'agir sur un cas; il s'agit purement d'un organe d'investigation et à certain égard consultatif. La commission manque sérieusement de personnel pour pouvoir traiter suffisamment toutes les plaintes. Les parlementaires doivent fournir un soutien politique et technique afin d'élargir le personnel de la commission et étendre son pouvoir."
    Le président de la commission souligne que le peuple turc fait état de ressource, de culture et de respect pour le processus démocratique, points essentiels pour renforcer le respect des droits de l'homme en Turquie. Il précisa, cependant, que les pouvoirs législatif et exécutif actuels de la Turquie manquent d'autorité légale pour cela.
    Türk expliqua que les lois promulguées après le coup d'Etat militaire du 12 septembre 1980 ont sérieusement limité les droits personnels et collectifs du peuple turc. Türk déclara: "Ces loi anti-démocratiques doivent être supprimées et d'autres plus démocratiques doivent être promulguées afin de donner au pouvoir législatif la liberté de légiférer efficacement et au pouvoir exécutif celui de bien appliquer les bonnes lois."
    Türk fit remarquer que la récente ratification par la Turquie de l'Accord de Paris sur l'uniformisation des normes internationales des droits de l'homme, place la Turquie dans une position vraiment contradictoire si l'Assemblée Turque n'apporte pas les modifications législatives nécessaires.
    Selon Türk, le grand défi qui attend le gouvernement turc, s'il parvient à apporter les modifications législatives nécessaires, c'est la question kurde dans le sud-est de la Turquie. Türk déclara qu'en théorie le nouveau gouvernement progresse dans la bonne direction dans le processus de démocratisation, mais ce sont les résultats qui décideront de la véritable volonté du gouvernement de résoudre le problème des droits de l'homme.

    Le Ministère des Droits de l'Homme

    C'est la première fois que le nouveau gouvernement constitue un Ministère des Droits de l'Homme. Le Ministre des Droits de l'Homme, Mehmet Kahraman déclara: "Comme vous le savez, le Ministère des Droits de l'Homme vient d'être créé. Nous avons autorité légale seulement pour discuter les problèmes et promulguer des règles. Cependant, pour l'instant nous ne disposons pas d'infrastructure ni des pouvoirs d'applications.
    "Premièrement, le pouvoir législatif doit promulguer des lois concernant les droits de l'homme.
    "Deuxièmement, les pouvoirs législatif et exécutif doivent créer les pouvoirs et les voies permettant au Ministère des Droits de l'Homme d'exécuter les nouvelles lois.
    "Troisièmement, étant donné que les problèmes des droits de l'homme ont des dimensions multiples, le Ministère des Droits de l'Homme peut avoir à travailler avec le Ministère de la Santé, de l'Education, de la Justice, d'un autre quelconque ou avec une combinaison de plusieurs d'entre eux.
    "Par conséquent, le Ministère des Droits de l'Homme doit coordonner les efforts avec les autres ministères afin de créer des voies de communication claires et des organes de décision efficaces. Le cas de la Prison d'Eskisehir constitue un bon exemple de réseau ministériel et législatif efficace. Ici, les Ministères de la Justice, de la Santé et des Droits de l'Homme coordonnèrent leurs efforts pour traite le problème des droits des prisonniers. Dans la fermeture de la Prison d'Eskisehir, le gouvernement eut recours à l'autorité légale, maintint le respect du processus démocratique et préserva la confiance da la population."

    Le Centre des Droits de l'Homme de l'Université d'Ankara

    La Faculté des Sciences Politiques de Université d'Ankara a décidé récemment de réanimer son Centre des Droits de l'Homme.
    Etabli en 1978, le Centre des Droits de l'Homme eut un bon départ et accueillit deux grandes conférences sur les droits de l'homme avant 1979. L'une d'entre elles traitait des droits de l'homme dans la région qui entoure la Turquie et l'autre traitait de l'enseignement des droits de l'homme à travers l'UNESCO.
    En raison de l'escalade de violence politique et du coup d'Etat militaire qui en suivit, le Centre des Droits de l'Homme n'eut aucune croissance en 1980. Le coup de grâce fut la Loi sur l'Université promulguée par le gouvernement militaire déracinant toutes les organisations universitaires et créant des lois qui limitaient sérieusement leurs libertés.
Tekin Akillioglu, doyen de la faculté, déclara:
    "Actuellement prédomine parmi les professeurs et certains étudiants un rafraîchissant esprit de liberté intellectuelle et de maturité qui sera de grande utilité pour traiter efficacement le problème des droits de l'homme.
    "En janvier 1991, le Centre des Droits de l'Homme fit un grand pas et publia la première édition du Journal du Centre des Droits de l'Homme de l'Université d'Ankara. Chaque édition couvre une étude et résume les décisions prises par le Tribunal Constitutionnel Turc et par la Cour Européenne des Droits de l'Homme. L'édition de janvier traitait de la liberté d'expression à propos de l'examen des comptes publics.
    "Actuellement, au niveau de la licence, les cours relatifs aux droits de l'homme ne sont que facultatifs à la Faculté de Sciences Politiques. Par ailleurs, il n'y a qu'un étudiant diplômé à faire des recherches et à écrire sur les droits de l'homme. La faculté va planifier des interactions avec les étudiants diplômés.
    "La Faculté des Sciences Politiques et le Centre des Droits de l'Homme se montrent également intéressés par des échanges d'étudiants boursiers avec les Etats-Unis. Il y a beaucoup de bons érudits et de juristes spécialistes des droits de l'homme aux Etats-Unis que nous voudrions voir venir chez nous pour un ou deux semestres. A ce propos, nous aurions besoin d'aide. Je suis en train d'analyser le problème avec la Commission turco-américaine Fulbright. L'UNESCO, le Conseil Européen et le Centre des Droits de l'Homme de Genève ont offert de financer toute recherche relative aux droits de l'homme en Turquie ou dans le Moyen-Orient entreprise par le Centre des Droits de l'Homme."

    Un Musée des Droits de l'Homme

    Le 11 décembre, le nouveau Ministre de la Culture, Fikri Saglar, annonçait la création d'un musée des Droits de l'Homme, la Paix et la Démocratie.
    "La création de ce musée nous permettra d'exprimer nos regrets aux personnes qui ont subi des injustices, ont été enfermés dans des cellules ou torturés à cause de leurs idées," déclara-t-il.
    Le musée sera aménagé dans un poste de police ou une prison, scène où se sont déroulés les tortures. Plusieurs documents concernant les droits de l'homme, la paix et la démocratie, même ceux qui ont été interdits par le passé, seront exposés dans ce musée.